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  • Pierre Albert-Birot, « Mon ami Kronos »

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    DR

     

    « Quand je m’éveille le matin, j’entrouvre un œil et j’entrevois le cadran d’une petite pendule placée avec la meilleure intention juste sur la trajectoire de ce filet de regard. Huit heures ! Oh !… Mais non. Il n’est que sept heures. La petite pendule, toujours avec la meilleure intention, avance d’une heure.

     

    Une pendule qui avance d’une heure, ce n’est rien, ce mensonge ne donne pas la moindre bousculade au roulement de chaque jour, et si peu doué qu’on soit pour l’arithmétique, on l’est toujours plus qu’il ne faut pour lire instantanément sur le cadran l’heure “exacte” en voyant l’aiguille affirmer de toute sa rigidité l’heure fausse. Pourtant le matin, à l’instant du retour au monde, on reste peut-être une demi-seconde sous l’influence de cette sorte de serment que fait la pendule aux bras si petits mais si impératifs : moi, pendule, je dis, j’affirme, je jure qu’il est huit heures. C’est tout de même amusant d’avancer une pendule, rien que pour voir avec quelle astuce et quelle sérénité elle va mentir. Amusant, oui – mais il faut bien reconnaître que de son mensonge va naître pour nous une peine qui créera de la joie. Au contact des aiguilles, ou plutôt de leur image sur la rétine, nous l’avons crue, cette menteuse, huit heures, hélas ! Puis, une lumière. Non, ce n’est pas vrai, il n’est que sept heures, j’ai une heure de plus. Notre peine a duré le temps de dire “elle ment”. Notre plaisir va durer tout le temps que nous voudrons y penser. »

     

    Pierre Albert-Birot

    Mon ami Kronos (1935)

    Zulma, 2007

    http://www.zulma.fr/

  • Pierre Albert-Birot, « Grabinoulor »

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    Cette page est dédiée à Sylviane

     

    Extrait du chapitre seizième : On ne sait pas si Grabinoulor a les cheveux frisés mais on sait qu’il prédit l’individuïsme absolu qu’il construit le Château des Poètes et qu’il va voir Dieu

     

    «  […] à bien réfléchir le meilleur château pour eux est encore celui que chacun se construit personnellement le plus souvent en Espagne pays des grenadiers (fruits) de la sorte il est à la taille et aux commodités de qui l’habitera car en effet qu’auraient pu faire et comment auraient pu marcher poétasser et dormir dans ce château-monde édifié par Grabinoulor tous ces bouts de poètes auteurs de huit pages in 8° pleines de huit poèmes de douze vers oui on peut se poser la question et y répondre sans se mordre la langue – heureusement car ce n’est pas agréable de mordre dans cette personnelle viande-là – mais enfin Grabinoulor prétend que cela fait tout de même 96 vers ou soi-disant vers et que si méchants soient-ils – les vers et pas les poètes ni les chiens – leur auteur est quand même un poète puisqu’il a eu mais oui une intuition poétique assez ventrue pour qu’il en vint à la désentrailler et à la poser en forme de figure de mots sur un papier mais oui mesdames et messieurs écrire un poème voire un peu nul c’est faire son “Dieu dit et le Monde fut” c’est donc assez conclut Grabinoulor pour qu’il soit en état de construire tranquillement son petit château châtelet ou castelet (bonjour guignol) bien à lui “Çamsufi” où il pourra pieusement conserver ses huit pages car c’était surtout pour que les écritures des poètes (les 8 pages comme les 300) ne traînent pas dans les poubelles à bouquins au choix 1 franc – car on les y jette même quand ils sont de simples “bouquins” brochés – que Grabinoulor avait eu la fraternelle attention de construire son Château des Poètes peut-être plutôt Château des Poèmes […] »

     

    Pierre Albert-Birot

    Les six livres de Grabinoulor

    Jean-Michel Place, 1991, rééd. 2007

  • Grabinoulor, Pierre Albert-Birot

    x1h64wav.jpgAucune nécessité de faire une note sur Grabinoulor, un des rares livres que je ne quitte pas, aucune actualité particulière, mais tout de même reprendre cette note écrite pour CCP lors de la dernière réédition par Jean-Michel Place pourrait en ces jours maussades amener quelques nouveaux lecteurs à un livre bien mal connu.

     

     

    Cette rubrique est dédiée à Anne-Françoise K.

     



    C’est Emmanuel Hocquard qui m’a appris l’existence de Grabinoulor
    Grabinoulor naît en 1918 et ses aventures ont été racontées dans un livre – Grabinoulor – jusqu’en 1960 par Pierre Albert-Birot qui s’est inventé là un double majeur
    PAB naît à Angoulême en 1876 où il passe une enfance heureuse avant de rejoindre Bordeaux où son adolescence est compliquée (ce qui n’est pas étonnant, être adolescent n’est pas une sinécure, alors en plus à Bordeaux !) puis Paris où il meurt en 1967
    C’est Max Pons qui m’a appris la mort de Pierre Albert-Birot (plus tard il m’a offert un des plus beaux livres de son ami, L’homme coupé, avec une postface d’Arlette Albert-Birot,  – troisième épouse de PAB et sans qui le Marché de la poésie…) publié à son enseigne de La Barbacane en 1995
    PAB a dirigé une revue extrêmement importante SIC de 1916 à 1919, il y a publié aussi bien Apollinaire, les futuristes italiens, Tzara, les noucentristes catalans, Reverdy, Max Jacob, Zadkine…
    PAB a écrit toute sa vie, toute sa vie PAB a écrit et beaucoup édité, beaucoup édité ses propres livres à cette enseigne SIC (sons idées couleurs) car toute sa vie PAB ne sera jamais aussi lu qu’il faudrait et il serait temps que ça change – mais même Grabinoulor a du mal avec le temps – et s’il ne tenait qu’à lui, à Grabi, si Rabelais, Pétrarque, La Fontaine (le poète pas le fabuliste) Lamartine, Montaigne, Cervantès, Shakespeare et j’en passe (Sterne, doit y être, je ne le trouve plus dans les mille pages, mais il doit y être), si donc, ceux-là et bien d’autres n’étaient pas chez lui ce soir, un soir, hier, aujourd’hui, demain, le soir de Grabinoulor, en six livres – ils le sont chez lui, chaque jour, chaque nuit, chaque instant de Grabi –, publiés en petits morceaux et enfin intégralement en 1991 par – déjà – Jean-Michel Place – que sa mémoire soit louée par mille générations – qui aujourd’hui nous en donne une réédition fort bienvenue puisque la première était devenue introuvable
    Grabinoulor est un livre, rien qu’un livre, un livre que l’on n’abandonne jamais quand on y a plongé – highdive en vrille avec entrée groupée dans le texte –, une fois, mille fois, encore et encore, car le lecteur de Grabinoulor n’est jamais fatigué puisque Grabinoulor est toujours de maintenant, présent au présent de l’épopée de tous les possibles, et le lisant, merveilleusement contaminé, nous ne quittons jamais une éternelle jeunesse
    Il suffit pour cela, par exemple, de ne pas expliquer, car comme le dit Grabi « expliquer c’est perdre son temps et sa dignité » et la dignité et le temps ne courent pas tant les rues que l’on risque d’en manquer pour des sottises
    PAB a inventé à Grabi un double négatif Furibar et toute une bande de zinzins – Lérudi, Keskedieu, Gaulois Pur, Statuco, Zéphirin Grosrêveur, Madame Evergreen, Arthur-Georges Lefin… – pour le distraire ou le contrarier – ce qui revient un peu au même
    La seule chose que PAB n’a jamais voulu pour Grabinoulor c’est un point, jamais, car Grabi « doit  vivre où il lui plaît et sans fin malgré le POINT » et le simple fait d’ouvrir Grabinoulor, de faire bruisser ses pages supprimera celui de la page 944, puisque la lecture est de toutes les choses humaines la seule ( ?) qui n’a pas de fin


    albert_birot_pierre.jpgClaude Chambard

    Pierre Albert-Birot
    Grabinoulor
    Jean-Michel Place
    17x23,5 :1006 p. ; 35 €