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w. g. sebald

  • W. G. Sebald, « La sombre nuit fait voile »

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    DR 

    « III

     

    Dans une cage à grillons chinoise

    nous avons gardé un temps le bonheur

    enfermé. Les pommes de paradis prospéraient,

    splendides, il y avait plein d’or

    sur l’aire de battage, et tu disais

    que la nuit il fallait veiller sur le fiancé

    comme sur un clerc. C’était plus souvent carnaval

    pour les enfants. Il y avait dans le ciel

    des petits nuages en forme d’agneau. Les amis

    venaient déguisés en Ormuz

    et Ahriman. Mais ensuite il y eut, inattendue,

    cette histoire à propos du monsieur

    élégant de l’Opéra, et je trouvai

    un orvet dans le poulailler.

    Une corneille en volant perdit une plume

    blanche, le curé, messager

    boiteux en pardessus noir,

    apparut seul le matin du Nouvel An

    sur le vaste champ de neige.

    Depuis nous nous armons

    de patience, depuis le sable

    s’écoule par la boîte aux lettres,

    les plantes en pots ont une drôle de manière

    de garder le silence. Une tragédie

    nordique, coups d’échec et coups en coin,

    nécessairement s’accomplit toujours

    la fin. Pourquoi faut-il qu’on s’évertue

    à une entreprise aussi difficile ? Le malheur

    d’autres gens reste comme consolation

    jaune poisson au chapeau de la bien-aimée,

    et pourtant il était si beau naguère.

    Prose du siècle dernier,

    une robe qui s’est prise

    dans les chardons, un peu de sang, une

    exaltation, une lettre déchirée,

    une petite étoile d’uniforme et d’assez longues

    stations à la fenêtre. Des rêveries

    mauvaises dans une chambre

    obscure, des péchés ressassés,

    des larmes même et dans la mémoire

    des poissons un feu mourant,

    Emma en train de brûler

    son bouquet de mariée. Que peut bien se dire alors

    un pauvre médecin de campagne ? Aux funérailles

    il rêve d’une paire de bottes vernies

    étincelantes et d’une séduction

    posthume. Mais maintenant vient

    un temps sans couleur. Toi, au milieu

    de l’obscénité aveuglante,

    je vais me rappeler ton œil

    apeuré, tel que je l’ai vu

    pour la première fois,

    à Haarlem le jour où

    le flot nous emporta par une brèche dans la digue.

    Anniversaires et nombres,

    comme tout cela est loin,

    un tableau plein de lettres à peine

    déchiffrables à travers les lentilles

    de verre. En fait, j’entends

    la petite opticienne chinoise dire en fait,

    vous devriez maintenant pouvoir

    lire cela facilement, et l’espace d’un instant

    je sens le bout de ses doigts

    sur mes tempes, je sens

    une onde traverser

    mon cœur, et je vois dans le carré

    lumineux de l’image-test

    alignées les lettres

    YAMOUSSOUKRO, le nom,

    je le sais pertinemment, d’un

    grand bateau rouillé

    d’Abidjan, qu’il y a des années

    j’ai vu un jour sortir

    du port de Hambourg.

    Des matelots noirs étaient

    accoudés au bastingage.

    Ils faisaient signe au passage,

    le soleil se couchait,

    et les ombres déjà

    tremblaient

    sur leurs bords. »

     W. G. Sebald

    D’après nature – Poème élémentaire (1988)

    Traduit de l’allemand par Sibylle Muller et Patrick Charbonneau

    Actes Sud, 2007

  • W. G. Sebald, « Les émigrants »

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    DR

     

    « Nous partions aussi à la campagne, les jours où il faisait particulièrement beau, pour découvrir le règne végétal ou, sous prétexte d’herboriser, nous occuper tout simplement à ne rien faire. Pour ces sorties qui avaient lieu le plus souvent au début de l’été, il arrivait que se joignît à nous le fils du coiffeur et “croque-mort” Wohlfahrt, qui passait pour n’avoir pas toute sa tête. D’âge indéterminé et d’une humeur infantile et toujours égale, ce grand échalas que personne n’appelait jamais autrement que Mangold, vocable qui désigne à la fois un prénom et ce légume filandreux qu’est la bette, était aux anges quand il pouvait nous accompagner, nous qui n’étions même pas encore adolescents, et nous faire la démonstration que, bien qu’incapable de venir à bout du calcul le plus élémentaire, il était en mesure de dire à quel jour de la semaine correspondait n’importe quelle date prise au hasard dans le passé ou le futur.

    Ainsi, si l’on disait à Mangold que l’on était né le 18 mai 1944, il répondait aussitôt que c’était un jeudi. Et quand on essayait de le mettre à l’épreuve en lui posant des questions plus difficiles, comme la date de naissance du pape ou du roi Louis, il nous disait illico qu’il s’agissait de tel jour ou de tel autre. Paul, qui lui-même était excellent mathématicien et de surcroît très bon en calcul mental, essaya des années durant, en le soumettant à toutes sortes d’expériences et de tests sophistiqués, de percer le secret de Mangold. Mais autant que je sache, ni lui ni personne n’y parvint jamais, pour la simple raison que Mangold ne comprenait presque rien aux questions qu’on pouvait lui poser. »

     

    W. G. Sebald

    « Paul Bereyter », in Les Émigrants — 1992

    Traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau

    Actes Sud, 1999

    Max Sebald est né le 18 mai 1944.

    Bon anniversaire Max.

  • W. G. Sebald, « Un rêve de valse »

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    © : Jan Peter Tripp, 1990

     

    « Le voyageur à présent

    est enfin arrivé

    à la gare-frontière

     

    Un douanier lui a

    dénoué ses lacets

    quitté ses chaussures

     

    Sur les planches rabotées

    au sol sont posés les

    bagages sans maître

    La valisette en cuir de porc

    s’est ouverte, la pauvre

    âme envolée

     

    Une pénible investigation

    attend le corps, dernière

    pièce du déménagement

     

    Va entrer le Dr Tulp

    avec son chapeau noir

    ses ustensiles de prosecteur à la main

     

    Ou bien l’enveloppe est-elle

    déjà vidée, allégée de son poids,

    flottant, tout juste guidée

    du bout des doigts vers

    le pays où l’on ne peut

    pénétrer que pieds nus ? »

     

     W. G . Sebald

    Un rêve de valse (inspiré du tableau de Jan Peter Tripp)

    Traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau

    In Face à Sebald

    Collectif

    Éditions Inculte, 2011

     

    Max Sebald est né le 18 mai 1944.

    Bon anniversaire Max