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  • CosmoZ

    9782742793198.jpgCeux qui lisent ce blog avec régularité savent que les notes de lecture y sont rares. J’ai choisi de plutôt mettre le petit extrait de texte qui donne envie, c’est tout de même l’écriture de l’auteur qui prime plutôt que les longs discours. Mais parfois, le livre est rétif, il ne se plie pas aisément à l’extraction, on se dit alors qu’un seul morceau aussi bien choisi soit-il ne suffira pas, sans doute à tort. C’est pourquoi je prends le risque d’être le énième, de rabâcher, et je me lance dans le cyclone CosmoZ, un des livres qui m’a raconté le plus de choses en cette rentrée. Un évènement à mon sens.

    D’emblée je le cale près de deux autres, dont il est parfois très proche – et cependant très éloigné –, que sont le Siècle des nuages de Philippe Forest (Gallimard) et Éclairs de Jean Échenoz (Minuit). Ces trois livres, chacun à sa manière, nous parlent du siècle passé, nous donnent des points de vue, ce qui n’est pas si courant (sans jeu de mot).

    D’entrée j’y ai entendu (cf. le post du 13 septembre), les Hommes creux de Thomas Stearns Eliot et, au fur et à mesure de l’avancée de ma lecture, j’ai vérifié ce son comme si j’étais l’homme en fer blanc, comme si la voix d’Eliot passait par là, que je la captais avec de plus en plus  d’ampleur. Mais c’est la voix de Claro qui résonne, qui vibrionne , qui remue, brutalise parfois, malaxe… Dès lors, pris dans le tourbillon de cette langue en mouvement qui brasse large et construit par strates, le livre s’ouvre sur Dorothy, que nous connaissons tous à priori, puis va de l’ablation d’une tumeur de la langue de Franck Baum, au XIXe siècle, à un certain jour de 1956 devant un poste de télévision CT-100 où passe le Magicien d’Oz de Victor Fleming . Car de la fiction de Baum à celle de Claro les personnages se modifient et font même des incursions dans l’Histoire, traversent le siècle, ses soubresauts, ses drames, ses horreurs.

    La violence des tranchées, les camps, la bombe atomique nous entrainent de trou noir en trou noir vers – dans – le magma du CosmoZ et la multiplicité des approches ne rend que plus dense, plus singulière, la façon de tracer le sillon du récit comme nous le propose Claro. Guère d’équivalences me semble t’il. Tant mieux.

    CosmoZ vous attrape et ne vous lâche plus, c’est un monde vaste, plus vaste que le monde, un ultramonde et un inframonde : un métamonde, une féerie qui démantibule la féerie, en fait autre chose, une impossibilité à choisir entre fiction et réalité pour mieux se glisser dans chaque possible de chaque personnage et du personnage que devient le texte, le corps du texte emplissant ceux qui sont creux, les freaks, les inadaptés, les réfractaires, repoussant les manigances des magiciens et autres manipulateurs.

     

    Claro

    CosmoZ

    14,5x24 ; 488 p. ; 22,80 €

    Actes Sud, 2010

     

  • Les Hommes creux, Thomas Stearns Eliot

     

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    Les Hommes creux

    un penny pour le vieux guy

     

    « Messa Kurtz – lui mort »*

     

    I

    Nous sommes les hommes creux

    Les hommes empaillés

    Cherchant appui ensemble

    La caboche pleine de bourre. Hélas !

    Nos voix desséchées, quand

    Nous chuchotons ensemble

    Sont sourdes, sont inanes

    Comme le souffle du vent parmi le chaume sec

    Comme le trottis des rats sur les tessons brisés

    Dans notre cave sèche.

     

    Silhouette sans forme, ombre décolorée,

    Geste sans mouvement, force paralysée ;

     

    Ceux qui s’en furent

    Le regard droit, vers l’autre royaume de la mort

    Gardent mémoire de nous – s’ils en gardent – non pas

    Comme de violentes âmes perdues, mais seulement

    Comme d’hommes creux

    D’hommes empaillés.

     

    II

    Les yeux que je n’ose pas rencontrer dans les rêves

    Au royaume de rêve de la mort

    Eux, n’apparaissent pas :

    Là, les yeux sont

    Du soleil sur un fût de colonne brisé

    Là, un arbre se balance

    Et les voix sont

    Dans le vent qui chante

    Plus lointaines, plus solennelles

    Qu’une étoile pâlissante.

     

    Que je ne sois pas plus proche

    Au royaume de rêve de la mort

    Qu’encore je porte

    Pareils francs déguisements : robe de rat,

    Peau de corbeau, bâtons en croix

    Dans un champ

    Me comportant selon  le vent

    Pas plus proche –

     

    Pas cette rencontre finale

    Au royaume crépusculaire.

     

    III

    C’est ici la terre morte

    Une terre à cactus

    Ici les images de pierre

    Sont dressées, ici elles reçoivent

    La supplication d’une main de mort

    Sous le clignotement d’une étoile pâlissante.

     

    Est-ce ainsi

    Dans l’autre royaume de la mort :

    Veillant seuls

    À l’heure où nous sommes

    Tremblants de tendresse

    Les lèvres qui voudraient baiser

    Esquissent des prières à la pierre brisée.

     

    IV

    Les yeux ne sont pas ici

    Il n’y a pas d’yeux ici

    Dans cette vallée d’étoiles mourantes

    Dans cette vallée creuse

    Cette mâchoire brisée de nos royaumes perdus

     

    En cet ultime lieu de rencontre

    Nous tâtonnons ensemble

    Évitant de parler

    Rassemblés là sur cette plage du fleuve enflé

     

    Sans regard, à moins que

    Les yeux ne reparaissent

    Telle l’étoile perpétuelle

    La rose aux maints pétales

    Du royaume crépusculaire de la mort

    Le seul espoir

    D’hommes vides.

     

    V

    Tournons autour du fi-guier

    De Barbarie, de Barbarie

    Tournons autour du fi-guier

    Avant qu’le jour se soit levé.

     

    Entre l’idée

    Et la réalité

    Entre le mouvement

    Et l’acte

    Tombe l’ombre

    Car Tien est le Royaume

    Entre la conception

    Et la création

    Entre l’émotion

    Et la réponse tombe l’ombre

    La vie est très longue

    Entre le désir

    Et le spasme

    Entre la puissance

    Et l’existence

    Entre l’essence

    Et la descente

    Tombe l’Ombre

    Car Tien est le Royaume

    Car Tien est

    La vie est

    Car Tien est

     

    C’est ainsi qui finit le monde

    C’est ainsi que finit le monde

    C’est ainsi que finit le monde

    Pas sur un boum, sur un murmure.

     

    La Terre est vaine et autres poèmes

    Traduit de l’anglais par Pierre Leyris

    Seuil, 1976, rééd. Coll. Points Poésie n°1448, 2006

     

    Dédicace spéciale à Claro & edg


    * Joseph Conrad, Au Cœur des ténèbres