lundi, 24 mars 2014
Ariane Dreyfus, « Les compagnies silencieuses »
Le lendemain du jour
« Comme une femme se glisse sous un homme
Je lis votre écriture
Ou alors c’est moi qui écris couchée
La page blanche fait cette lumière où j’oublie de me voir
Toujours commencée
Il y a un côté où l’encre n’est pas sèche
Qui mène jusqu’à vous
Quand vous me lisez vous le dites
Ou jamais
Je prends toutes les étoffes selon la chaleur
Les morceaux de vie selon
Ma bien future mort
Je n’étais pas penchée sur le vide
Une femme sur un homme
Qui écrit n’est pas longtemps une jeune fille
Plutôt souvent
Il faut des mots pour se glisser entre eux
Y voir
Aucun n’est vrai tout seul
Heureusement le tumulte ne refuse pas la main
Tant de poèmes que je suis cachée dans toute la forêt ?
C’est vous qui choisissez
L’écorce que vous dites que j’ai touchée. »
Ariane Dreyfus
Les compagnies silencieuses
Flammarion 2001
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samedi, 22 mars 2014
Maurice Scève, « Délie »
« Comme Hecate tu me feras errer
Et vif, & mort cent ans parmy les Umbres :
Comme Diane au Ciel me resserrer,
D’où descendis en ces mortelz encombres :
Comme régnante aux infernales umbres
Amoindriras, ou accroistras mes peines.
Mais comme Lune infuse dans mes veines
Celle que tu fus, es, & seras DELIE,
Qu’Amour à joinct a mes pensées vaines
Si fort, que Mort jamais ne l’en deslie. »
Maurice Scève
Poésies
Précédé de L’amour unique de Maurice Scève par Jean Tortel
Dessins d’Ingres
Mermod, 1972
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mercredi, 19 mars 2014
Edmond Jabès, « Dans la double dépendance du dit »
souvenir de paul celan
« Ce jour-là. Le dernier. Paul Celan chez moi. Assis à cette place que mes yeux, en cet instant, fixent longuement.
Paroles, dans la proximité, échangées. Sa voix ? Douce, la plupart du temps. Et, cependant, ce n’est pas elle, aujourd’hui, que j’entends mais le silence. Ce n’est pas lui que je vois mais le vide, peut-être parce que, ce jour-là, nous avions l’un et l’autre, sans le savoir, fait le tour cruel de nous-mêmes. »
Edmond Jabès
Dans la double dépendance du dit — Le livre des marges II
Illustrations de Antoni Tàpies
Fata Morgana, 1984
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lundi, 17 mars 2014
Edmond Jabès, « La clef de voûte »
« On dresse l’échafaud dans les jardins du bagne dans le jardin des tire-lires Fière jeune fille que le soleil éloigne
on dresse l’échafaud sur l’absence
Le couperet aux fines aiguilles à coudre la mort
le couperet aux franges de lune pour le sourire du bourreau
Siècle de pendus on dresse l’échafaud pour les retardataires
zébrés de langue-au-chat La vie n’a plus de secret
Seuls les yeux le regard seul attend interroge
On dresse l’échafaud sur l’épouvante de la foule
L’herbe demande à se faire entendre on la repousse
L’herbe sur qui le condamné à mort oublie qu’il va bientôt mourir
Le couperet de houpe d’oiseaux à tourmenter le vent
à poudrer les joues des jeunes épouses du vent
L’implacable couperet aux idylles de sapins de Justice
un monde déchu est suspendu à sa chute
un monde la langue dehors dont les pieds ne touchent plus le sol
et que le vent indifféremment balance
Je me souviens de tous les visages J’ai mis du temps à les reconnaître
aussi longtemps que le jour
On dresse l’échafaud sur l’impatience Le maître avec sa pierre-ponce
frotte les maigres doigts tâchés d’encre des écoliers humiliés
Tu lis je lis des mots d’innocence
que le couperet interrompt
On dresse l’échafaud sur chaque Dimanche
Une tête tombe dans le cahier ouvert
On dresse l’échafaud sur la mémoire du bourreau
sur la mémoire de la vie et de la mort
sur la détresse de l’amour
sur une tresse coupée
sur une coupe
sur un cou
brisé »
Edmond Jabès
La clef de voûte
Imprimé par Guy Lévis Mano en juin 1950. 20 exemplaires sur vélin du Marais et 380 sur vélin, numérotés de 1 à 20 et de 21 à 400. Ex : 306
GLM, 1950
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samedi, 15 mars 2014
Edmond Jabès, « Trois filles de mon quartier »
« I
Trois filles de mon quartier ont abandonné leurs fiancés à la misère ; trois rires, trois étoiles capricieuses. On n’a plus de nouvelles du cœur de la terre. Trois filles de mon quartier ont changé de nom ; leurs fronts brûlent dans la nuit. Trois pompiers, trois scaphandriers, trois amants éperdus, cherchent leurs fiancées. Le poisson et l’oiseau s’en émeuvent, car l’amour est partout. Trois bœufs, trois cailloux, trois trous embarrassent la route. On frappe aux portes que l’on connaît.
VII
Le rire est une jeune femme écartelée sur les routes. La mort est plus adroite. Tu mets le feu au paysage arraché aux paupières : Notre lieu de rencontre. L’histoire est compromise. Quand le monde est rouge les dents ont un éclat particulier ; les tourterelles s’y risquent. Avec toi, tout est simple mais réfléchi. Un fil ténu rattache l’univers à ton poignet. Tout est grave, sauvé, blessé.
XVI
C’était ma douleur blanchie à la chaux. Tu patientes, étendue sur les feuilles recueillies. Il faut pouvoir ressembler au vent. Tu voles. Tu chantes. Je t’aime pour chaque branche.
C’était un sourire sur nos doigts fiévreux. Une étrange silhouette détachée du soir : Elle découvrait, pour nous, le monde. Mais seule tu voyais.
Je te crois, je t’influence, je t’obéis. Un mur nous réunit. Jamais tu n’as le même visage.
XXIV
Les collines ont, aux chevilles, de fines blessures par lesquelles tu peux voir couler le sang de la terre. Toute plante est une plaie ! Rien que douleur mon amour ; mais tes seins déchirés, tes seins pendus aux arbres, c’est plus que l’on en peut supporter. Nos mains s’interrogent au-dessus des victimes, sœurs de l’eau ou du poignard. Les collines tentent d’en appeler aux étoiles. Nos yeux levés leur ressemblent. »
Edmond Jabès
Trois filles de mon quartier
Imprimé par Guy Lévis Mano sur sa presse à 315 exemplaires, soit 15 (1 – 15) sur vélin du Marais & 300 (16 – 315 sur Alfama, plus 25 sur Alfama, signés par l’éditeur & réservés aux amis de GLM. Ex : 220
GLM, 1948
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vendredi, 14 mars 2014
HORS ŒIL editions à Bordeaux
HORS ŒIL éditions
du 21 mars au 26 avril 2014
à l’initiative de la bibliothèque Mériadeck de Bordeaux & de Monoquini
http://www.calameo.com/read/000502266d753ee762ae3
10:12 Publié dans Édition | Lien permanent | Tags : hors Œil édiions, bibliothèque mériadeck, monoquini
mardi, 11 mars 2014
Iean d’Indagine, « Physionomie par le regard des membres de l’homme »
De la Physionomie de la bouche, et de ce qu’on doit deviner en la regardant.
Nous exposerons sous vne mesme description la Physionomie de la Bouche et des Levres. Or la Bouche est ou grande ou ouuerte, ou estroite. Celle qui est ouuerte, comme ont communément les Franconiens laffrus, signifie l’homme estre audacieux, temeraire, impudique, menteur, affronteur, superflu, et excessif en toutes choses, bruyant et raillard, et certes ie ne fus jamais nullement deceu en ce signe. Mais au contraire la bouche estroite, denote l’homme secret et posé, sobre, chaste, craintif, et liberal. Quant à la puanteur de la bouche et l’haleine, aussi des dents, nous la laissons aux Medecins, parce que cela est par eux tres amplement et diligemment declaré. On a trouué par expérience cecy estre vray, que ceux qui ont les levres menües ou petites et déliées, sont eloquens et parlent beaucoup, jaseurs, bien prevoyans les choses à venir, prudens et ayans bon esprit et entendement. Ceux qui ont les levres tres-grandes, et auxquels pend celle d’em-bas, en sorte que les dents apparoissent, sont lourdauts estourdis, gros sots, ausquels on ne peut rien apprendre, meschans, sales, excessifs en toutes choses, inconstans et mauuais. »
Iean d’Indagine
Physionomie par le regard des membres de l’homme — tiré des Secrets merveilleux du Petit Albert— enrichie de figures
30 exemplaires sur vélin du Marais, 1170 sur Alfama, chiffrés de 1 à 30 et de 31 à 1200, et, en plus, 25 sur Alfama marqués de A à Z signés par l’éditeur et réservés aux amis de GLM. Exemplaire 573
GLM, août 1948
L’orthographe de l’édition GLM a été respectée srcupuleusement.
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mercredi, 05 mars 2014
Denis Roche, « Essais de littérature arrêtée. »
« 6 septembre 1980 (samedi). (…) Plus tard, je suis en train de ranger mon bureau. J’ouvre l’une des fenêtres de la verrière et, dans l’infime espace ainsi dévoilé dans la rainure dessous, je trouve un petit papillon de nuit gris, bien étalé, aux larges antennes lancéolées. Il bouge un peu, pas beaucoup. Je le mets dans la paume de ma main et je le laisse tomber au-dehors. Sur fond de verdure des arbres et de rougeur de la grande façade de brique de l’immeuble d’en face, dans l’air calme et tiède, je le regarde choir en vol plané, tournant lentement en décrivant des cercles simples. Il tombe dans la vieille cuvette en fer, reste de ce qui fut sans doute autrefois une brouette et qui sert de barbecue aux ouvriers dans la semaine, pour faire griller leurs côtes de mouton. Je laisse la fenêtre ouverte juste au-dessus, et la nuit tombée, je pense aux cendres grises dans la brouette et au papillon gris posé dessus.
(…) »
Denis Roche
Essais de littérature arrêtée.
Achevé d’imprimer en juillet 1981 sur la presse d’Alin Anseeuw à Catorive, à 123 exemplaires numérotés à la main, à savoir : 103 sur vélin et 20 exemplaires sur bouffant Argentine comportant une photographie originale de l’auteur. Exemplaire 12.
Ecbolade, 1981
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dimanche, 02 mars 2014
Lucrèce, « De la nature »
Les nuages
« Les nuages se forment quand maints atomes voltigeant
dans les hauteurs du ciel se rassemblent soudain :
hérissés de manière à s’entraver faiblement
mais suffisamment pour se tenir comprimés,
ils composent d’abord de petites nuées
qui se réunissent, s’agrègent entre elles,
par leur union s’accroissent et s’envolent aux vents
jusqu’à l’instant où se déchaine la tempête.
Il se trouve aussi que les sommets des montagnes,
plus ils avoisinent le ciel, plus leur hauteur exhale
assidûment l’épaisse fumée d’un nuage fauve ;
car, lorsque les nuées commencent à se former,
avant que l’œil puisse les voir, ténues, les vents
les portent et les assemblent au plus haut de la cime.
C’est là qu’enfin réunies en troupe plus nombreuse
et plus dense elles peuvent apparaître tout à coup,
s’élançant du pic montagneux dans l’empyrée.
Que les sommets s’offrent au vent, l’expérience sensible
nous le prouve quand nous escaladons une haute montagne.
Et puis la nature prélève sur toute la mer
maints éléments, comme le montrent sur le rivage
les linges suspendus qui prennent l’humidité.
Il est d’autant plus clair que pour accroître les nuages
maints atomes peuvent surgir du flux salé de l’océan :
il existe une parenté entre les deux humeurs.
Et de tous les fleuves ainsi que de la terre même
nous voyons des brumes et des vapeurs surgir :
comme leur haleine expirée, elles s’envolent bien haut,
dispersent leur ténèbre, obnubilant le ciel
à mesure qu’elles se fondent en nues altières.
Car la chaleur de l’éther étoilé ajoute sa pression
et, comme les condensant, voile l’azur de leur nimbe.
Il arrive aussi que le ciel reçoive de l’extérieur
les atomes qui forment nuées et nuages volants.
Innombrable est en effet leur nombre, infini
l’ensemble de l’espace, comme je l’ai montré.
Quelle vitesse anime le vol des atomes, quelle distance
impensable ils franchissent d’un trait, je l’ai montré.
Il n’est donc pas étonnant qu’en peu de temps, souvent,
la tempête et les ténèbres couvrent de si grandes nuées
les mers et les terres, d’en haut les oppressant,
puisque de tous côtés, par tous les pores de l’éther,
par des sortes de soupiraux autour du vaste monde,
la sortie et l’entrée s’offrent aux particules. »
Lucrèce
De rerum natura — De la nature
Traduction et présentation par José Kany-Turpin
(Cette traduction a obtenu, en 1993, le prix Nelly Sachs, décerné en Arles par les Assises de la Traduction)
Aubier, 1993, Garnier-Flammarion, 1997
16:10 Publié dans Blog, Écrivains | Lien permanent | Tags : lucrèce, de la nature, josé kany-turpin, aubier, garnier-flammarion