lundi, 16 novembre 2015
Les voix de Jacques Roman
« La cruauté rôde autour de la salle de bal. La mort peut toujours s’inviter à danser. C’est là où ma position est très radicale. Je suis inquiet des discours apocalyptiques qui toujours nous renvoient à la mort comme héroïne. Le danseur ne cesse de résister, et en somme dans une période critique danse pour maintenir une flamme. Qu’est-ce qu’on peut faire sinon maintenir une flamme ? C’est aussi la figure du veilleur qui est si fréquente dans mon travail. D’ailleurs à la fin des Lettres à la cruauté, il y a une adresse qui permet de renvoyer la cruauté dans les cordes. Ne pas céder au désespoir, ne pas céder aux sirènes apocalyptiques. C’est difficile de nos jours, si on lit le journal, si on écoute les informations, les propagandes… Des esprits faibles, il y en a beaucoup, et ils sont tentés de sombrer en passant notamment par la peur, et la peur étrangement les fait suivre le loup jusque dans la forêt. Quand je pense au loup, je pense au nationalisme, au totalitarisme. Les forces, les outils que nous avons pour résister, c’est aussi la joie, l’attention aux autres, c’est l’écriture, bien sûr, être en état de perception. »
Jacques Roman
Extrait d’un entretien avec David Collin
In Les voix de Jacques Roman
Études, dialogues, inédits récents.
Sous la direction de Doris Jakubec, Fanny Mossière et David Collin
L’Âge d’Homme, 2015
13:10 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : jacques roman, david collin, doris jakubec, fanny mossière, les voix de jacques roman, l'age d'homme
vendredi, 06 novembre 2015
Rose Ausländer, « Pays maternel »
« Je cherche
Une fois un poème
Trouvé
Je cherche
Le mot interligne
Dans la danse des lettres
Consonnes voyelles
Je palpe la longueur la largeur
Des mots
Cherche et invente
Le mot
Animé du souffle
Voix II
Dans la frondaison résonne encore
L’élégiaque
Rossignol
Des voix d’abeilles
D’une clarté mielleuse
Éther
Polyphonique
Écoute
Le mot haleine du poète
Écoute
Tes propres mots »
Rose Ausländer
Pays maternel
Traduit de l’allemand par Edmond Verroul
Héros-Limite, 2015
15:51 | Lien permanent | Tags : rose ausländer, pays maternel, edmond verroul, héros-limite
lundi, 02 novembre 2015
Pascal Quignard, « Princesse Vieille Reine »
© cchambard
« Ce n’est pas le besoin qu’éprouvait George Sand de s’écarter le plus possible des siens, des domestiques, du groupe, de se réfugier dans un coin de l’espace qui me paraît constituer une aspiration extraordinaire, c’est le nom qu’elle donnait à ce refuge : elle l’appelait “l’absence”.
Elle ne disait pas retraite, otium, cabinet de travail, cellule, chambre à soi, solitude. Elle nommait ce “petit coin” de sa maison de Nohant : L’Absence.
Toute sa vie elle désira être absente à l’intérieur de l’Absence.
Il se trouve que, toutes les fois où elle se retrouvait chez elle, à Nohant, George Sand écrivait dans la chambre où lui avait été annoncé, lorsqu’elle était enfant, la mort de son père, désarçonné sur la route de La Châtre.
C’était là où on lui avait fait enfiler des bas noirs.
C’était là où on avait enseveli son petit corps maigrelet et nu de petite fille âgée de quatre ans sous une lourde robe de serge de Lyon beaucoup trop grande pour elle.
C’était dans cette chambre qu’on avait forcé la fillette à envelopper ses cheveux du long voile noir des veuves.
C’est dans cette chambre, toute sa vie, qu’elle attendit que son père “eût fini d’être mort”.
Où elle ouvrait son livre.
Toute sa vie on cherche le lieu d’origine, le lieu d’avant le monde, c’est-à-dire le lieu où le moi peut être absent, où le corps s’oublie.
Elle lisait.
C’est ainsi qu’elle était heureuse. »
Pascal Quignard
Princesse Vieille Reine
Galilée, 2015
11:27 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : pascal quignard, princesse vieille reine, galilée