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  • Deszö Kosztolányi, « Le traducteur cleptomane »

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    « Mes amis, un dormeur, c’est quelqu’un qui comprend toujours et toujours pardonne. Un dormeur ne peut jamais être un ennemi. Dès qu’un homme s’endort, il tourne le dos à la vie, à toute haine, toute méchanceté cesse d’exister pour lui, comme pour un mort. Les Français disent que “partir, c’est mourir un peu”. Je ne l’ai jamais cru, car j’aime voyager, et chaque fois que je prends le train, je me sens revivre. Mais dormir, oui, dormir, c’est mourir un peu, et même plus qu’un peu, c’est mourir beaucoup, c’est quitter la vie, celle-ci, en fin de compte, n’étant rien d’autre que la conscience, c’est, pour un peu de temps, mourir totalement. C’est ainsi, l’homme qui dort met bats les armes, rengaine sa volonté à la pointe acérée et malfaisante, et se comporte envers nous avec l’indifférence, en effet, de celui qui depuis longtemps est entré en décomposition. Qui demanderait sur notre terre une plus grande bienveillance ? Pour moi, j’ai toujours exigé le respect à l’égard des dormeurs et jamais je n’ai permis qu’en ma présence on les insulte. “Des dormeurs, ou dites du bien ou ne dites rien”, telle était ma devise. À franchement parler, je ne comprends même pas pourquoi, de temps en temps, nous n’irions pas fêter également les dormeurs, déposer sur leur lit, non pas des couronnes, mais au moins une fleur, pourquoi nous n’irions pas, eux sitôt endormis, organiser un repas de funérailles, un tout petit, rien que pour nous réjouir, nous délivrés alors, pour quelques heures, de leur société trop souvent pesante, trop souvent ennuyeuse, et pourquoi, à leur réveil, nous ne pourrions pas faire retentir de burlesques trompettes d’enfants, saluant par cette fanfare leur résurrection quotidienne. C’est pour le moins ce qu’ils mériteraient. »

     

    Deszö Kosztolányi

    Le traducteur cleptomane et autres histoires (1933)

    Traduit du hongrois par Ádám Péter et Maurice Regnaut

    Alinéa 1985, Viviane Hamy, coll. bis, 1994

  • Ryoko Sekiguchi, « La Voix sombre »

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    « Il fut un temps où l’on s’échangeait des mèches de cheveux en gage d’amitié. Conserver une partie du corps d’un ami n’avait rien d’anormal, cette pratique a perduré jusqu’au xxe siècle. Mais aujourd’hui, on s’est retiré du territoire du corps pour entrer dans une zone sans odeur ni toucher. Car les cheveux appellent le toucher.

     

    La voix est la seule partie du corps que l’on ne puisse pas enterrer. On peut enterrer les cordes vocales ; pas la voix, les ondes enregistrées.

     

    Les photos sont des traces mais la voix est bien une extension du corps.

     

    De la peau et des cheveux on peut dire qu’ils sont plus proches du corps, plus concrets ; on peut dire qu’ils sont le corps même. Il n’empêche ; ils parlent moins de la personne que le corps. La voix, elle, peut parler des deux. »

     

    Ryoko Sekiguchi

    La Voix sombre

    P.O.L, 2015