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  • Jean-Christophe Bailly/Éric Poitevin, « Le puits des oiseaux »

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    © éric poitevin

     

    « […] cette chute que l’on voit, c’est sa répétition infiniment recommencée qui s’espace d’image en image d’une photographie à une autre, ce qui revient à dire que chacune de ces images est comme un tombeau léger, comme une feuille légèrement posée sur la mort. Cette chute n’est pas absolu, n’est pas une essence – c’est celle, à chaque fois, d’un être qui, vivant, fut la vie même, et dont la vie, ainsi, nous est renvoyée. La vie, c’est-à-dire aussi, dans son rayonnement, le pays dans lequel l’oiseau vivait, le territoire d’air et de brindilles, de terres lourdes et de soirs distendus où il avait fait son nid. Dans la conception chinoise de l’émotion musicale, la qualité la plus grande est atteinte lorsque justement le son commence à s’en aller – c’est au moment où elle s’évanouit que peut-être perçue dans sa plénitude l’exacte résonance du timbre. Les oiseaux morts, ici, sont les sons disparaissant du pays qui les porta ou qui les vit passer. Et ce n’est pas seulement qu’il y ait une solidarité native entre les lignes de crête des collines et les trajectoires des envols, ou entre les plus fines matériologies du sol et les enchevêtrements des ramures et le jeu, en eux, sur eux, du soleil et de l’ombre, c’est aussi que, sous la portée des ailes et selon leur idée, c’est tout le pays survolé qui revient. »

     

    Jean-Christophe Bailly

    Le puits des oiseaux – nature morte

    pour des photographies d’Éric Poitevin

    Seuil / Fiction & Cie, 2016

    la série de photographies présentée dans ce livre est l’objet d’une exposition organisée par le centre d’art Vent des Forêts dans la nef de l’ancienne église fortifiée à Dugny-sur-Meuse, durant le mois de juillet 2016

    http://ventdesforets.org/oeuvre/le-puits-des-oiseaux/

  • Tarjei Vesaas, « Vie auprès du courant »

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    « Le Chemin

     

    Les traces ne paraissent pas.

    N’estampillent pas les flaques de boue,

    les fondrières.

    Le pied a été léger.

    Mais celui qui est arrivé connaît le chemin.

    Sait l’encoche essentielle

    où placer le pied.

    Arrive au sommet de la colline et contemple heureux

    le chemin plus loin devant.

    S’allonge sur le coteau pour se reposer

    et attend de la compagnie.

    Les voilà qui se présentent, tels d’aimables conseillers,

    ceux qui ont déjà pris leur forme.

    Il nous semble pouvoir leur parler de

    nos affaires les plus secrètes,

    tout en taillant une baguette

    avec un petit canif.

    Nous sommes tous rassemblés. Personne ne le sait

    ni ne le saura.

    Nous taillons de baguettes et les plantons dans la terre

    et parlons jusqu’au coucher du soleil.

     

    Après, alors que le crépuscule descend sur nous,

    nous en savons davantage :

    Il nous faut marcher dans le noir,

    en grands virages et lacets.

    Nous ne disons plus un mot.

    Si nous parlions, le chemin sombrerait.

    Mais arriver, personne n’ose le mentionner.

    Cela doit se produire sur le vaste site

    où des bassins limpides confluent

    des quatre vents,

    et fusionnent

    en immenses espaces transparents

    sans le savoir, sans le vouloir.

    On est alors arrivé

    et l’on n’est plus. »

     

    Tarjei Vesaas

    Vie auprès du courant – 1970

    Traduit du nynorsk par Céline Romand-Monnier

    avec la complicité de Guri Vesaas & Olivier Gallon

    bilingue

    postface d'Olivier Gallon

    La Barque, 2016