UA-62381023-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Benoît Conort, « Sortir »

    Benoît%20Conord_web[1].jpg

    DR

     

    « Prologue

     

    I

     

    consentir que ça commence là

    de ce côté à cet endroit qu’on ignorait

    qui n’était pas le premier

    au milieu juste médian mitan

    combien croire et feindre que

    c’est la dernière fois qu’on

    brise le silence

     

    II

     

    un mot tombe

    sombre de la citerne

    quand cela revient

    on ne sait qui le ramène

    ni pourquoi

    de la douleur qui l’accompagne

     

    III

     

    on voudrait

    heurtée l’épaisseur de l’air

    cesser d’être

    nageur malhabile

    à pleins poumons pouvoir

    expirer la peur

     

    IV

     

    nulle parole qui

    ne soit nue

    même peau

    la caverne est d’ombre

    rêvée la paroi

    muqueuse des mots

     

    V

     

    j’écris peu

    le peu que j’écris je le jette

    je regarde le mur

    sur le mur il est dit rien

    ne s’écrit que rien ne s’écrira

    je me lève

    je regarde par la fenêtre

    il fait dehors comme

    dedans »

     

    Benoît Conort

    Sortir

    Coll . Recueil, Champ Vallon, 2017

    http://www.champ-vallon.com/

  • Alexandre Vialatte, « La Complainte des enfants frivoles »

    vialatte.jpg

    DR

     

    « Nous nous sommes retrouvés un soir d’automne quelques-uns de cette époque-là, un jeudi, devant la porte du vieux collège, comme si nous revenions de chez nos correspondants. La lanterne de fer, comme autrefois, éclaira nos ombres en accordéon qui tremblèrent sur le vieux mur campagnard, secouées par le vent du nord, et je me suis rappelé les ombres de la salle d’étude ; les ombres sont toujours plus éloquentes que les hommes ; elles déforment et multiplient ; autrefois nous étions plus petits, mais nous portions ces pèlerines véhémentes qu’on quitte à seize ans pour des pardessus sans éloquence. Les boules de pierre qui couronnent les piliers de la porte avaient l’air d’un exemple de dessin. Du haut du tertre où est bâti le vieux collège, les champs dévalaient dans la nuit, vers les campagnes des vacances ; c’est de là que partaient les routes que nous avons tous prises un soir, avec leurs tournants, leurs lacets, leurs espoirs, leurs carrefours… ; les routes qui tournent autour de la terre, comme une corde sur une toupie, tendues comme l’espoir des hommes ; et maintenant nous savons ce qu’il y a derrière ces brumes, sur les pitons bleus ; pour quoi faire ? Tout est pareil à notre adolescence derrière la nuit qui nous cache le pays comme un mouchoir sur la face d’un cadavre : le pré-verger, les salles de classe et les “barabans” dans la cour sous les tilleuls ; les barreaux quadrillent la lucarne de la tour de l’Horloge fermée sur son mystère mécanique, sombre, aveugle, sourde et muette. Que de fois quand nous étions enfants nous y sommes venus, attendant qu’un ange exprès délégué pour nous par l’après-midi trop pesante vînt nous y tenir des discours latins, remuer les horizons, secouer des merveilles, et, nous prenant par la main, nous emmenât vers ces monts qui barraient les routes, coulisses du monde d’où nous voulions tout espérer. Je me rappelle un défilé dans la montagne, plein d’arnicas et de digitales, qui m’a longtemps semblé comme l’un des couloirs du merveilleux… Un jour pourtant, collégiens ravis, nous sommes partis sur les petits trains noirs qui font une fumée blanche et qui sifflent. Mais nous laissions aux fenêtres du dortoir ces constellations magiques qui se décalquaient sur les vitres avec leurs noms d’animaux, de plantes et de déesses : toute la géographie, la flore, la faune et la mythologie du ciel. Nous abandonnions cela pour la terre. Peut-être en raclant un peu les vitres, trouverait-on une poudre d’or ?

    Devant la porte qu’aucune défense ne nous fermait plus, nous nous sommes raconté, ce soir-là, sans surprise, des choses qui auraient troublé le sommeil de nos mères et gêné l’instituteur adjoint dans sa conception géométrique du vraisemblable. En vain. Il restera toujours assez d’impossible pour nous faire regretter ces promesses absolues que la récréation de 4 heures fait aux écoliers chimériques et que la vie ne tiendra jamais. »

     

    Alexandre Vialatte

    La Complainte des enfants frivoles – écrit autour de 1925

    Précédé de « Premier roman, dernier paru » par Pierre Vialatte

    Le Dilettante, 1999

  • John Ashbery, « Sonate bleue »

    ashbery-e1306863060127.jpg

    DR

     

    « Il y a longtemps c’était alors le début de ce qui semble maintenant

    Comme maintenant n’est que départ pour un nouveau mais encore

    Vague chemin. Ce maintenant , celui qui est vu une

    Fois de loin, c’était notre destinée

    Peu importe ce qui peut nous arriver d’autre. Il est

    Le présent passé de quoi notre physionomie,

    Nos opinions sont faites. Nous en sommes la moitié et nous

    Nous soucions peu du reste. Nous

    Pouvons voir assez loin pour que le reste de nous soit

    Implicite dans l’entourage qu’est le crépuscule.

    Nous savons que cette partie du jour vient tous les jours

    Et nous le sentons, puisqu’il a ses droits, aussi

    Nous avons le droit d’être nous-mêmes dans la mesure

    Où nous sommes en lui et non dans quelque autre jour, ou

    À quelque autre endroit. Le temps nous convient

    Tout comme il est content de lui, mais dans la seule mesure

    Où nous ne cédons pas de ce pouce-là, souffle

    De devenir avant que devenir puisse être vu,

    Ou vienne à ressembler à tout ce qu’il semble signifier maintenant.

     

    Les choses qui venaient pour qu’on en parle

    Sont venues et parties et l’on se souvient encore

    Comme récentes. Il y a un grain de curiosité

    À la base des quelques nouveautés, qui déroulent

    Leur point d’interrogation comme une nouvelle vague sur le rivage.

    En venant pour donner, pour renoncer à ce que nous avions,

    Il nous faut, nous le comprenons, gagner ou être gagné

    Par ce qui passait, brillant du chatoiement

    Des choses récemment oubliées et ravivées.

    Chaque image trouve sa place, dans le calme

    De ne pas avoir trop, d’avoir juste assez.

    Nous vivons dans le soupir de notre présent.

    Si c’était tout ce qu’il y avait à avoir

    Nous pouvons ré-imaginer l’autre moitié, la déduire

    De la forme de ce qui est vu, insérés

    Que nous sommes dans l’idée qu’elle se fait de la façon dont

    Nous devons continuer à avancer. Il serai tragique de s’adapter

    Dans l’espace créé par notre arrivée retardée,

    Pour proférer le discours qui est de circonstance,

    Car le progrès survient à travers la ré-invention

    De ces mots tirés du pâle souvenir que nous en avons,

    En violant cet espace de façon telle

    Qu’on le laisse intact. Pourtant après tout

    Nous en sommes et nous avons franchi une considérable

    Distance, notre passage est une façade,

    Mais la comprendre nous justifie. »

     

    John Ashbery

    Quelqu’un que vous avez déjà vu

    Traduit de l’américain par Pierre Martory et Anne Talvas

    P.O.L, 1992

     

    Aussi de John Ashbery sur ce blog : http://www.unnecessairemalentendu.com/archive/2016/01/24/john-ashbery-le-serment-du-jeu-de-paume-5749577.html

     

    John Ashbery, né le 28 juillet 1927 à Rochester, est mort le 3 septembre 2017 à Hudson.