Marina Tsvétaeva, « Les brumes des amours anciennes »
« 1
Au-dessus de l’ombre noire de la jetée
La lune brille comme une armure.
Sur le quai — un chapeau et une fourrure,
On imagine : Un poète et une actrice.
Le souffle immense du vent.
Le souffle des jardins d’hiver, —
Et le soupir immense et triste :
— Ne laissez pas traîner mes lettres*
2
Les mains au fond des poches
Je suis là. Le courant d’eau est bleu.
Aimer quelqu’un encore —
Tu pars tôt demain matin.
Les brumes chaudes de la City —
Dans tes yeux. Voilà, voici…
Dans ma mémoire — ta bouche —
Et ton cri passionné : — Vivez !
3
L’amour efface sur les joues les plus belles
Couleurs. Goutez comme les larmes
Sont salées. J’ai peur de
Me réveiller morte demain matin.
Des Indes, envoyez-moi des pierres.
Où nous verrons-nous ? — En rêve.
— Quel vent ! — Bonjour à ta femme
Et à l’autre dame aux yeux verts.
4
Le vent jaloux accroche le châle,
Cette heure m’est destinée.
Je sens sur les paupières et près des lèvres
Une tristesse presqu’animale.
Quelle faiblesse dans les genoux !
— La voici donc, la flèche fatale !
— Quelle lumière ! — Je serai
Aujourd’hui — Carmen enragée.
…Les mains au fond des poches
Je suis là. Entre nous — l’océan.
Sur la ville — entre la brume, la brume.
Les brumes des amours anciennes.
20 août 1917 »
* En français dans le texte
Marina Tsvétaeva
Le Ciel brûle
Traduit du russe et préfacé par Pierre Léon
Les cahiers des brisants, 1987
Commentaires
somptueux! je retrouve ces brumes anciennes et nos amours, les premières de feu et de larmes. Et toujours cette sensibilité mélancolique à travers la passion.