mardi, 28 juillet 2020
Gong Zizhen, « Un souhait de livre »
Air : « Les sables lavés par les vagues »
Au-delà des nuées s’élève un pavillon rouge,
Lieu retiré et loin de tout.
Au-dessus des Cinq Lacs le son de la flûte perce l’automne.
Après avoir rangé trente mille peintures et livres
Je monte avec eux sur ma barque.
Miroir et brûle-parfum,
Tendresse, grâce et tranquillité.
Je relève pour toi le rideau juste comme il faut.
Sans souci de la fraîcheur du vent et des vagues sur le lac,
Je te regarde te coiffer.
Gong Zizhen — 1792-1841
in « La dynastie des Qing » — Mandchous, 1644-1911
Traduit du chinois par Sandrine Marchand
Anthologie de la poésie chinoise
sous la direction de Rémi Mathieu
Pléiade / Gallimard, 2015
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dimanche, 19 juillet 2020
Marie-Hélène Lafon, « La demie de six heures »,
DR
« Plus tard les soirs de juin, d’été, Sylvianne lui avait montré la chambre parfaite de Saint-Andéol. C’était, après le lac, à main droite, un promontoire de roches grises, ourlé de vent, où se creusait le secret d’une chambre blonde, tapissée d’herbe fine. Un troupeau d’Aubrac paissait tout autour, souverain et indifférent, à l’exception du taureau, une bête de légende, tendue, longue, fière, qui meuglait gravement à leur approche et prenait dans la lumière des allures de rhinocéros argenté. Le ciel de la chambre était pavoisé de bleu. À plat dos contre la terre ils voyageaient. Les nuages dessinaient pour eux des figures de folie. Ils les suivaient, ils partaient avec elles. Parfois, ils racontaient, ceux qu’ils avaient aimés, les hommes, les femmes. Ils avaient gardé des images. Elles se déployaient dans la lumière, prenaient corps. Ils ne parlaient pas de Jeanne. Ils n’avaient pas de projets. Ils étaient suspendus au dessus du rien, en état de vertige. Ils n’avaient pas le temps d’êtres graves. Longuement il tremblait du désir d’elle dans la chambre ouverte et elle le gardait dans ses bras contre sa douceur. Elle aimait qu’il soit en elle, serré, serré, charnu, ardent, les reins creusés, les cuisses longues, les yeux fermés. Dans la chambre bleue ils prenaient au ventre le chaud du jour et griffaient la terre et buvaient à sa source à gueule touffue et se répandaient en elle, les deux, noués. »
Marie-Hélène Lafon
La demie de six heures
Fil d’Ariane, 2002, rééd. La Guêpine, 2017
https://laguepine.fr/web/Marie-Helene-LAFON-La-demie-de-six-heures
En préparant la conversation avec Marie-Hélène Lafon, à la Tour de Montaigne le 29 août à 18h — http://permanencesdelalitterature.fr/portfolio/litteratur... — lire et relire, ce passage d’une rare puissance de « La demie de six heures ». La chambre parfaite, la chambre blonde, la chambre bleue, la chambre d’amour. Ceux qui n’y seraient pas encore allés voir, doivent se précipiter sur cette œuvre majeure, aimée des Bergounioux, Michon et Riboulet…
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jeudi, 16 juillet 2020
Xiao Gang, « Poème sur des noms de simples »
Paysage, Dynastie des Ming
« La brise matinale fait trembler les fleurs,
Le soleil du soir brille sur l’appontement.
Tout en haut d’une tour une femme esseulée
Au crépuscule pleure sur sa solitude.
La lampe éclaire le lit des plaisirs à deux,
Dans les tentures flotte le parfum du benjoin.
Elle broie un peu d’encre, écrit deux ou trois vers,
Avec de la céruse essaie de se farder.
Elle voudrait tant voir de la fleur d’hellébore
La tige volubile emplir sa chambre vide. »
Xiao Gang ne fut pas qu’un poète à l’œuvre importante, il régna les deux dernières années de sa vie et mourut assassiné. Son œuvre fut longtemps mésestimée, pourtant, entouré par un cercle de poètes, il écrivit beaucoup dans un style très orienté vers les recherches formelles.
Xiao Gang — 503-551
in « Les Six Dynasties (de la fin des Han à la fin des Sui) » — 196-618
Traduit du chinois par François Martin
In Anthologie de la poésie chinoise
Pléiade / Gallimard, 2015
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dimanche, 12 juillet 2020
Alexis Pelletier , « Aujourd’hui »
Les Inédits du Malentendu, volume 5.
Carmelo Zagari, Les forains, gravure à l’eau forte sur cuivre, 2017
il y a une voix qui continue dehors
qui voyage quand personne ne le peut
qui répète heureuse
je ne suis pas celle que vous croyez
je n’ai pas d’autre intention que
d’être la voix qui continue
et c’est parce que je sais qu’on m’entend
que je trouve la force d’être là
sans majuscule
sans commencement ni fin
et quand on croit qu’elle s’arrête
c’est qu’elle reprend un souffle
en écoutant ce qui à l’intérieur
d’elle doit se réduire encore
pour être au plus vif du timbre
au plus simple des inflexions
pour au moment où elle reprend
alors même que personne n’a
entendu son arrêt
mieux saisir l’espace
avec elle
ce qui se présente
est peut-être un murmure
peut-être une affirmation
quelque chose qui tient et
se retient
un espoir
le mot serait trop fort
une nécessité
pas assez décalé
une entrevue plutôt
celle qui consiste à remonter
à prendre l’époque à contre-courant
un murmure à contretemps
jamais la voix ne demande où
elle est
jamais elle ne considère
les jours comme des
tranchoirs et jamais les jours
ne nous mangent le front
comme un linceul
jamais l’on n’est incrédule
pour suivre dans la voix
un oiseau qui vole entre les
murs jamais dans la voix
l’oiseau n’est obscène
jamais la voix sans doute
native ne se dissout-elle
parce que jamais elle n’a à persister
parce que toujours elle est
là jamais
il n’y a d’écart ni de
centre avec elle
jamais elle ne se désigne
autrement que par elle-même
puisqu’elle n’est ni souffle ni
note tenue qui porterait
jamais elle ne se fait à la
complaisance des
images
à leur hystérie
la voix est sans
doute une
contre-voix
quelque chose qui
vient d’en-dessous
et laisse avec
cette impression de
vague qui ferait dire
que c’est un murmure
alors qu’il n’en est rien
c’est détimbré mais
contre l’époque ou plutôt
à rebours
du discours moral
des propos de ceux et celles qui
ne savent pas dire qu’ils ne savent
rien
et qui n’ont jamais vu que la langue
est minée et que
les mots de
la tribu sont déjà ceux
d’un asservissement de
l’autre
la voix et sa désappartenance
elle n’accepte rien de
tous les mots qui lui viennent
et parce qu’ils causent et détruisent
elle continue sans eux
sans moi
toujours en puissance même
dans son retrait toujours ferme
même quand muette
englobant tout
le malaxant le formulant
dans une pâte qui invalide
chaque certitude et laisse
pantois et en plein suspens
pas une pâte
pas une matière
quelque chose de l’infra-sonore
qui saisit le corps et destitue
la certitude au moment où
elle s’acquiert
sans moi sans toi
peut-être pour éviter la question
pourquoi continuer
le fait de tout abandonner
ça n’est pas l’essentiel
rien n’existe
quoi
encore un vers
Alexis Pelletier
Aujourd’hui
Inédit – extrait
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vendredi, 10 juillet 2020
Wang Shifu, « Le pavillon de l’aile ouest »
Le mariage de Zhang et Yingying, représentés sous forme de marionnettes.
Édition de Min Qiji, 1640
« Vous balbutiez de honte, n’osez lever la tête,
Votre visage caché dans l’oreiller.
De vos cheveux en nuages épars tombent vos épingles d’or
Et le désordre de votre chevelure ajoute à votre charme.
Je déboutonne votre robe, dénoue votre ceinture,
Une odeur de musc se répand dans la chambre obscure.
Cruelle, pourquoi vous détourner ?
Pourquoi fuir mon regard ?
Je presse contre moi ce corps tiède et parfumé d’une beauté élancée,
Le printemps vient au monde, les fleurs se colorent,
Votre taille si souple s’agite à mon rythme,
Le bouton de votre fleur s’ouvre à moitié,
Les gouttes de ma rosée font s’épanouir votre pivoine.
Une seule libation m’engourdit à demi.
Je suis le poisson qui s’ébat dans les eaux,
Je suis le papillon qui recueille le parfum des bourgeons.
Vous reculez un peu pour vous rapprocher de nouveau.
Le surprise et l’amour se disputent en moi,
Je baise votre bouche vermeille et vos joues odorantes.
Vous êtes mon cœur et mes entrailles,
Vous dont j’ai terni la pureté. »
Cette pièce – dont les protagonistes sont Yingying et Zhang – fut écrite aux environs de 1300. Elle est une adaptation d’un texte plus ancien de monsieur Dong, portant le même titre, elle-même influencée par La vie de Yingying de Yuan Shen – les voies de la littérature chinoise sont sans fin, et c’est tant mieux.
L’extrait donné ici est chanté par Zhang alors que les amoureux viennent de se retrouver dans la chambre de Yingying. Il provient du merveilleux ouvrage de Jacques Pimpaneau, Anthologie de la littérature chinoise, paru chez Philippe Picquier en 2004 et réédité dans la collection de poche de l’éditeur en 2019.
Wang Shifu
Extrait du Pavillon de l’aile ouest (Xixiang Ji)
traduit par Jacques Pimpaneau
Philippe Picquier
http://www.editions-picquier.com/ouvrage/anthologie-de-la-litterature-chinoise-classique-2/
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mercredi, 01 juillet 2020
Guiseppe Bonaviri, « Harmonie »
« Si – depuis le Timée de Platon jusqu’à saint Augustin et de ces derniers jusqu’à Kant et Newton – l’idée du temps nous conduit tout au long des siècles, au sentiment projectuel (progettuale) de Heiddeger, aux relations des mouvements et aux variations électromagnétiques d’un champ, selon Einstein, elle demeure pour moi liée à la mémoire d’un temps immobile et sphérique dont me parlait mon père. Tailleur dans la Grand’rue de Mineo, lorsqu’il était jeune, homme des plus timides, silencieux, plutôt sombre même si prompt à des colères soudaines.
Lorsque nous regardions depuis le haut plateau de Camuti, où mêlé au blé le vent brillait, explosait ; me montrant face à nous, par-delà la vallée de Fiumecaldo, notre village qui s’arrondissait sur la montagne en splendeur, il me disait : “Entends, Pippino, Mineo se dresse devant nous avec ses artisans affairés, ses femmes vaquant à leurs tâches quotidiennes, sans jamais s’interrompre ; et, en contrebas, dans les vallées, dans les jointures des cimes dédoublées, et sur les hauteurs, travaillent les paysans ; ou, encore, parmi les maquis et les sommets dépourvus d’arbres, les chèvres cherchent leur nourriture. Si en esprit tu assembles le tout à l’aide de fils, de soie, par exemple, et le couds, comme je le fais d’un costume, dans la même aiguillée, tu emmêles artisans, femmes, paysans, animaux et arbrisseaux. Autrement dit, tu obtiens un temps rond, parfait, qui en chacun de ses points vibre circulairement d’harmonie.”
Enfant, et jeune homme, mon père avait écrit des poèmes que j’ai rassemblés, du moins ceux que j’ai pu retrouver, dans une plaquette intitulée L’Arcano (Ed. Bibò. Fr). D’après ce volume, j’en cite quelques vers qui reflètent l’intuition esquissée ci-dessus d’un temps sphérique syncrétique par une animisme et une pensée magique : “Entendez, c’est un chant suave / d’enfants qui dans la journée / fragrante, monte par enchantement / à travers l’air parfumé. / C’est un chant joyeux / qui s’égare à travers champs / dans l’air voltigeant / se cherche, se trouve, se dissipe.” (Le 20 octobre 1919, lorsqu’il écrivait ces vers, mon père avait dix-sept ans). Certes, tandis qu’à cette époque les femmes de Mineo tissaient du lin, ou appelaient des centaines de poules et de coqs dispersés le long des pentes, avec des cris comme “kikkì, kikkì”, ou encore “pouripò, pouripò”, dans ce temps omniprésent où, parce que contemporains, tous les êtres non séparés par la mort, étaient vivants, il fallait qu’Achille aille combattre à Troie, tandis que vers le royaume de Cambaluc1, transportant de l’encens, des épices, des dattes et des vêtements d’or, marchaient des chameaux, des marchands.
Harmonie
Les fourmis contournaient une ronde aire
de battage où en deux mille rotations l’âne
suivait le lent paysan chanteur,
sur l’olivier joyeuse était la pie.
Toute blanche, dans l’été de paresse,
parmi sauterelles et grillons,
à travers des guirlandes d’épis,
et des grottes gonflés de racines,
s’avançait la déesse Cérès.
Le chevrier jouait de la cornemuse, qui, ivre,
reparcourait le cristal de roche et les raidillons,
les aiguilles des tailleurs résonnaient
d’ardeur, dans les abysses le poisson dormait.
Sur les tuiles brisées, de cramoisi et de fils d’or,
le maçon coiffait les gouttières ;
auprès du torrent Xanthos à la grève rouge,
Achille somnolait sous la forteresse de Troie.
Un coq chanta vers le noble royaume de Cambaluc,
le potier pétrissait des argiles jaunes selon les règles
de l’art, depuis un noyer, d’une voix mélodieuse,
le pic recrachait des pièces d’argent. »
1. Cambaluc, est le nom donné par Marco Polo, à la capitale de l'empereur mongol Kubilai Khan, et correspondant à la ville de Pékin
Guiseppe Bonaviri
Les Commencements — 1983
Traduction de l’italien, postface & annotations de Philippe Di Meo
La Barque, 2018
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