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  • Gong Zizhen, « Un souhait de livre »

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     Air : « Les sables lavés par les vagues »

     

    Au-delà des nuées s’élève un pavillon rouge,

    Lieu retiré et loin de tout.

    Au-dessus des Cinq Lacs le son de la flûte perce l’automne.

    Après avoir rangé trente mille peintures et livres

    Je monte avec eux sur ma barque.

     

    Miroir et brûle-parfum,

    Tendresse, grâce et tranquillité.

    Je relève pour toi le rideau juste comme il faut.

    Sans souci de la fraîcheur du vent et des vagues sur le lac,

    Je te regarde te coiffer.

     

    Gong Zizhen — 1792-1841

    in « La dynastie des Qing » — Mandchous, 1644-1911

    Traduit du chinois par Sandrine Marchand

    Anthologie de la poésie chinoise

    sous la direction de Rémi Mathieu

    Pléiade / Gallimard, 2015

  • Marie-Hélène Lafon, « La demie de six heures »,

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    DR

     

    « Plus tard les soirs de juin, d’été, Sylvianne lui avait montré la chambre parfaite de Saint-Andéol. C’était, après le lac, à main droite, un promontoire de roches grises, ourlé de vent, où se creusait le secret d’une chambre blonde, tapissée d’herbe fine. Un troupeau d’Aubrac paissait tout autour, souverain et indifférent, à l’exception du taureau, une bête de légende, tendue, longue, fière, qui meuglait gravement à leur approche et prenait dans la lumière des allures de rhinocéros argenté. Le ciel de la chambre était pavoisé de bleu. À plat dos contre la terre ils voyageaient. Les nuages dessinaient pour eux des figures de folie. Ils les suivaient, ils partaient avec elles. Parfois, ils racontaient, ceux qu’ils avaient aimés, les hommes, les femmes. Ils avaient gardé des images. Elles se déployaient dans la lumière, prenaient corps. Ils ne parlaient pas de Jeanne. Ils n’avaient pas de projets. Ils étaient suspendus au dessus du rien, en état de vertige. Ils n’avaient pas le temps d’êtres graves. Longuement il tremblait du désir d’elle dans la chambre ouverte et elle le gardait dans ses bras contre sa douceur. Elle aimait qu’il soit en elle, serré, serré, charnu, ardent, les reins creusés, les cuisses longues, les yeux fermés. Dans la chambre bleue ils prenaient au ventre le chaud du jour et griffaient la terre et buvaient à sa source à gueule touffue et se répandaient en elle, les deux, noués. »

     

    Marie-Hélène Lafon

    La demie de six heures

    Fil d’Ariane, 2002, rééd. La Guêpine, 2017

    https://laguepine.fr/web/Marie-Helene-LAFON-La-demie-de-six-heures

     

    En préparant la conversation avec Marie-Hélène Lafon, à la Tour de Montaigne le 29 août à 18h — http://permanencesdelalitterature.fr/portfolio/litterature-en-jardin-au-chateau-michel-de-montaigne-samedi-29-aout-2020/ — lire et relire, ce passage d’une rare puissance de « La demie de six heures ». La chambre parfaite, la chambre blonde, la chambre bleue, la chambre d’amour. Ceux qui n’y seraient pas encore allés voir, doivent se précipiter sur cette œuvre majeure, aimée des Bergounioux, Michon et Riboulet…

  • Xiao Gang, « Poème sur des noms de simples »

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    Paysage, Dynastie des  Ming

     

     « La brise matinale fait trembler les fleurs,

    Le soleil du soir brille sur l’appontement.

    Tout en haut d’une tour une femme esseulée

    Au crépuscule pleure sur sa solitude.

    La lampe éclaire le lit des plaisirs à deux,

    Dans les tentures flotte le parfum du benjoin.

    Elle broie un peu d’encre, écrit deux ou trois vers,

    Avec de la céruse essaie de se farder.

    Elle voudrait tant voir de la fleur d’hellébore

    La tige volubile emplir sa chambre vide. »

     

     

    Xiao Gang ne fut pas qu’un poète à l’œuvre importante, il régna les deux dernières années de sa vie et mourut assassiné. Son œuvre fut longtemps mésestimée, pourtant, entouré par un cercle de poètes, il écrivit beaucoup dans un style très orienté vers les recherches formelles.

     

    Xiao Gang — 503-551

    in  « Les Six Dynasties (de la fin des Han à la fin des Sui) » — 196-618

    Traduit du chinois par François Martin

    In Anthologie de la poésie chinoise

    Pléiade / Gallimard, 2015

  • Alexis Pelletier , « Aujourd’hui »

    Les Inédits du Malentendu, volume 5.

    alexis pelletier,aujourd'hui, Carmelo Zagari, Les forains,

     

    Carmelo Zagari, Les forains, gravure à l’eau forte sur cuivre, 2017

     

    il y a une voix qui continue dehors

    qui voyage quand personne ne le peut

    qui répète heureuse

    je ne suis pas celle que vous croyez

    je n’ai pas d’autre intention que

    d’être la voix qui continue

    et c’est parce que je sais qu’on m’entend

    que je trouve la force d’être là

    sans majuscule

    sans commencement ni fin

     

     

     

    et quand on croit qu’elle s’arrête

    c’est qu’elle reprend un souffle

    en écoutant ce qui à l’intérieur

    d’elle doit se réduire encore

    pour être au plus vif du timbre

    au plus simple des inflexions

    pour au moment où elle reprend

    alors même que personne n’a

    entendu son arrêt

    mieux saisir l’espace

     

     

     

    avec elle

    ce qui se présente

    est peut-être un murmure

    peut-être une affirmation

    quelque chose qui tient et

    se retient

    un espoir

    le mot serait trop fort

    une nécessité

    pas assez décalé

    une entrevue plutôt

    celle qui consiste à remonter

    à prendre l’époque à contre-courant

     

    un murmure à contretemps

     

     

     

    jamais la voix ne demande où

    elle est

    jamais elle ne considère

    les jours comme des

    tranchoirs et jamais les jours

    ne nous mangent le front

    comme un linceul

     

    jamais l’on n’est incrédule

    pour suivre dans la voix

    un oiseau qui vole entre les

    murs jamais dans la voix

    l’oiseau n’est obscène

     

    jamais la voix sans doute

    native ne se dissout-elle

    parce que jamais elle n’a à persister

    parce que toujours elle est

    là jamais

    il n’y a d’écart ni de

    centre avec elle

    jamais elle ne se désigne

    autrement que par elle-même

    puisqu’elle n’est ni souffle ni

    note tenue qui porterait

     

    jamais elle ne se fait à la

    complaisance des

    images

    à leur hystérie

     

     

     

    la voix est sans

    doute une

    contre-voix

    quelque chose qui

    vient d’en-dessous

    et laisse avec

    cette impression de

    vague qui ferait dire

    que c’est un murmure

    alors qu’il n’en est rien

    c’est détimbré mais

    contre l’époque ou plutôt

    à rebours

    du discours moral

    des propos de ceux et celles qui

    ne savent pas dire qu’ils ne savent

    rien

    et qui n’ont jamais vu que la langue

    est minée et que

    les mots de

    la tribu sont déjà ceux

    d’un asservissement de

    l’autre

     

    la voix et sa désappartenance

     

    elle n’accepte rien de

    tous les mots qui lui viennent

    et parce qu’ils causent et détruisent

    elle continue sans eux

    sans moi

    toujours en puissance même

    dans son retrait toujours ferme

    même quand muette

    englobant tout

    le malaxant le formulant

    dans une pâte qui invalide

    chaque certitude et laisse

    pantois et en plein suspens

     

    pas une pâte

    pas une matière

    quelque chose de l’infra-sonore

    qui saisit le corps et destitue

    la certitude au moment où

    elle s’acquiert

     

    sans moi sans toi

    peut-être pour éviter la question

    pourquoi continuer

    le fait de tout abandonner

    ça n’est pas l’essentiel

    rien n’existe

     

    quoi

     

    encore un vers

     

    Alexis Pelletier

    Aujourd’hui

    Inédit – extrait

    5ème Inédit du Malentendu : Alexis Pelletier, Aujourd'hui – premier mouvement –, avec une eau-forte de Carmelo Zagari, Les forains. J'aime infiniment les livres d'Alexis Pelletier, que mon copain Claude Rouquet m'a fait découvrir – il l'a d'ailleurs publié quelques temps plus tard – lisez le magnifique Comment quelque chose, suivi de Quel effacement à L'Escampette. Sa poésie est une des rares qui me touchent vraiment en ces temps de misère. Je me réjouis chaque fois que quelque nouvelle page me parvient (un livre pauvre est en cours dans la collection de Sophie Chambard, avec Iris Dickson, je le célèbre d'avance). C'est vif, résolument chantant & plastique, joyeusement irrévérencieux, éminemment politique – au sens juste du terme –, (lisez Slamlash à l'atelier Rougier V) et on ne peut qu'avoir envie de se lier d'amitié avec son épatant Mlash – un double de lui-même à n'en pas douter.
    On pourra lire aussi, avec profit, ses entretiens avec Claude Ollier, Cité de mémoire, parus chez P.O.L en 1996.
     
  • Wang Shifu, « Le pavillon de l’aile ouest »

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    Le mariage de Zhang et Yingying, représentés sous forme de marionnettes.

    Édition de Min Qiji, 1640

     

    « Vous balbutiez de honte, n’osez lever la tête,

    Votre visage caché dans l’oreiller.

    De vos cheveux en nuages épars tombent vos épingles d’or

    Et le désordre de votre chevelure ajoute à votre charme.

    Je déboutonne votre robe, dénoue votre ceinture,

    Une odeur de musc se répand dans la chambre obscure.

    Cruelle, pourquoi vous détourner ?

    Pourquoi fuir mon regard ?

    Je presse contre moi ce corps tiède et parfumé d’une beauté élancée,

    Le printemps vient au monde, les fleurs se colorent,

    Votre taille si souple s’agite à mon rythme,

    Le bouton de votre fleur s’ouvre à moitié,

    Les gouttes de ma rosée font s’épanouir votre pivoine.

    Une seule libation m’engourdit à demi.

    Je suis le poisson qui s’ébat dans les eaux,

    Je suis le papillon qui recueille le parfum des bourgeons.

    Vous reculez un peu pour vous rapprocher de nouveau.

    Le surprise et l’amour se disputent en moi,

    Je baise votre bouche vermeille et vos joues odorantes.

    Vous êtes mon cœur et mes entrailles,

    Vous dont j’ai terni la pureté. »

     

    Cette pièce – dont les protagonistes sont Yingying et Zhang – fut écrite aux environs de 1300. Elle est une adaptation d’un texte plus ancien de monsieur Dong, portant le même titre, elle-même influencée par La vie de Yingying de Yuan Shen – les voies de la littérature chinoise sont sans fin, et c’est tant mieux.

    L’extrait donné ici est chanté par Zhang alors que les amoureux viennent de se retrouver dans la chambre de Yingying. Il provient du merveilleux ouvrage de Jacques Pimpaneau, Anthologie de la littérature chinoise, paru chez Philippe Picquier en 2004 et réédité dans la collection de poche de l’éditeur en 2019.

     Wang Shifu

    Extrait du Pavillon de l’aile ouest (Xixiang Ji)

    traduit par Jacques Pimpaneau

    Philippe Picquier

    http://www.editions-picquier.com/ouvrage/anthologie-de-la-litterature-chinoise-classique-2/ 

     

  • Guiseppe Bonaviri, « Harmonie »

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    « Si – depuis le Timée de Platon jusqu’à saint Augustin et de ces derniers jusqu’à Kant et Newton – l’idée du temps nous conduit tout au long des siècles, au sentiment projectuel (progettuale) de Heiddeger, aux relations des mouvements et aux variations électromagnétiques  d’un champ, selon Einstein, elle demeure pour moi liée à la mémoire d’un temps immobile et sphérique dont me parlait mon père. Tailleur dans la Grand’rue de Mineo, lorsqu’il était jeune, homme des plus timides, silencieux, plutôt sombre même si prompt à des colères soudaines.

    Lorsque nous regardions depuis le haut plateau de Camuti, où mêlé au blé le vent brillait, explosait ; me montrant face à nous, par-delà la vallée de Fiumecaldo, notre village qui s’arrondissait sur la montagne en splendeur, il me disait : “Entends, Pippino, Mineo se dresse devant nous avec ses artisans affairés, ses femmes vaquant à leurs tâches quotidiennes, sans jamais s’interrompre ; et, en contrebas, dans les vallées, dans les jointures des cimes dédoublées, et sur les hauteurs, travaillent les paysans ; ou, encore, parmi les maquis et les sommets dépourvus d’arbres, les chèvres cherchent leur nourriture. Si en esprit tu assembles le tout à l’aide de fils, de soie, par exemple, et le couds, comme je le fais d’un costume, dans la même aiguillée, tu emmêles artisans, femmes, paysans, animaux et arbrisseaux. Autrement dit, tu obtiens un temps rond, parfait, qui en chacun de ses points vibre circulairement d’harmonie.”

    Enfant, et jeune homme, mon père avait écrit des poèmes que j’ai rassemblés, du moins ceux que j’ai pu retrouver, dans une plaquette intitulée L’Arcano (Ed. Bibò. Fr). D’après ce volume, j’en cite quelques vers qui reflètent l’intuition esquissée ci-dessus d’un temps sphérique syncrétique par une animisme et une pensée magique : “Entendez, c’est un chant suave / d’enfants qui dans la journée / fragrante, monte par enchantement / à travers l’air parfumé. / C’est un chant joyeux / qui s’égare à travers champs / dans l’air voltigeant / se cherche, se trouve, se dissipe.” (Le 20 octobre 1919, lorsqu’il écrivait ces vers, mon père avait dix-sept ans). Certes, tandis qu’à cette époque les femmes de Mineo tissaient du lin, ou appelaient des centaines de poules et de coqs dispersés le long des pentes, avec des cris comme “kikkì, kikkì”, ou encore “pouripò, pouripò”, dans ce temps omniprésent où, parce que contemporains, tous les êtres non séparés par la mort, étaient vivants, il fallait qu’Achille aille combattre à Troie, tandis que vers le royaume de Cambaluc1, transportant de l’encens, des épices, des dattes et des vêtements d’or, marchaient des chameaux, des marchands.

     

    Harmonie

     

    Les fourmis contournaient une ronde aire

    de battage où en deux mille rotations l’âne

    suivait le lent paysan chanteur,

    sur l’olivier joyeuse était la pie.

     

    Toute blanche, dans l’été de paresse,

    parmi sauterelles et grillons,

    à travers des guirlandes d’épis,

    et des grottes gonflés de racines,

    s’avançait la déesse Cérès.

     

    Le chevrier jouait de la cornemuse, qui, ivre,

    reparcourait le cristal de roche et les raidillons,

    les aiguilles des tailleurs résonnaient

    d’ardeur, dans les abysses le poisson dormait.

     

    Sur les tuiles brisées, de cramoisi et de fils d’or,

    le maçon coiffait les gouttières ;

    auprès du torrent Xanthos à la grève rouge,

    Achille somnolait sous la forteresse de Troie.

     

    Un coq chanta vers le noble royaume de Cambaluc,

    le potier pétrissait des argiles jaunes selon les règles

    de l’art, depuis un noyer, d’une voix mélodieuse,

    le pic recrachait des pièces d’argent. »

     

    1. Cambaluc, est le nom donné par Marco Polo, à la capitale de l'empereur mongol Kubilai Khan, et correspondant à la ville de Pékin

     

    Guiseppe Bonaviri

    Les Commencements — 1983

    Traduction de l’italien, postface & annotations de Philippe Di Meo

    La Barque, 2018

    https://www.labarque.fr/livres21.html