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Édition - Page 58

  • Lambert Schlechter, « Lettres à Chen Fou »

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    « Maintenant, ici, c’est l’automne, il y a encore des moments où le soleil brille, on l’accueille avec émotion & gratitude. Mais il faut se résigner. Froidure nous est promise, froidure viendra, c’est inexorable. Il  y a quelques jours, dans la grande pièce en bas, j’ai allumé le poêle, après l’avoir d’abord nettoyé, il restait de la suie de mai dernier ; puis j’ai versé dix litres de combustible, j’ai fait brûler le petit carton rose imprégné de cire et l’ai laissé tomber au fond du poêle, dans l’étroite traînée de mazout qui commençait à suinter, et aussitôt le feu a pris, j’étais content et soulagé : ça brûle, ça va chauffer. La grande pièce sera un peu trop chaude, mais la chaleur, par la porte ouverte, va se propager dans la maison. Les pièces du premier étage restent fraiches. Et nous sommes encore loin, pour le moment, du froid de l’hiver ; jusqu’au premier gel il y a encore quelques semaines. Ce soir cher Chen, j’ai relu la première page de ton “Premier Cahier” et à la huitième ligne je retrouve la citation de Su Tung po : Le monde est semblable à un rêve printanier qui se dissipe sans laisser de trace. Froidure nous est promise, froidure viendra. J’ai l’impression qu’au départ de ton livre tu te places sous la protection de quelqu’un qui, il y a très longtemps, écrivait. Et moi, c’est à toi que je vais encore & encore faire appel, afin de… afin que…, on verra… »

     

     Lambert Schlechter

    Lettres à Chen Fou

    L’Escampette, 2011

     

    On peut lire avec profit  Récits d’une vie fugitive (Mémoires d’un lettré pauvre) de Chen Fou, traduit du chinois par Jacques Reclus. Connaissance de l’Orient, Gallimard/Unesco

  • Julien Blaine, « Thymus »

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    © : Claude Chambard

     

    « Par exemple, à partir de cette constatation d’une banalité confondante et vérifiée, ce jour d’été, dans un des vallons des sources du Verdon :

    Mon ombre disparaît sous les nuages.

    Ce n’est qu’une constatation d’un pas-encore-tout-à-fait-vieil-homme qui marche dans un sentier de berger en montagne.

    La petite phrase ; chacun va la charger un max…

    On va y aller à fond dans la métaphore, et comme cette simple remarque est universelle : nous possédons tous une ombre (affirmation soumise à condition) et il y a partout des nuages.

    Mais que va lire le lecteur qui aime la poésie arabe ou perse ? Et que va lire le lecteur qui aime tant la poésie t’ang ou le haïku ? Ou celui qui se passionne pour les textes d’Edgar Allan Poe ou de Villiers de l’Isle-Adam…

    Et déjà j’imagine le sens caché qui sera dévoilé par mes lecteurs préférés !

     

    Le ciel était très fort, le soleil très dru et le nuage très mobile. Et moi, sous les trois, je montais, appuyé sur mon bâton, vers la crête, accompagné par la ribambelle de mes petits enfants. Voilà.

     

    Cette phrase, aussi, chacun va la charger un max. »

     

    Julien Blaine

    Thymus

    Le Castor Astral, 2014

     

  • Claire Malroux, « Dits du cerf & de quelques biches »

    claire malroux,dits du cerf & de quelques biches,l'escampette

    L’apparition

     

    « En fermant les yeux  je l’ai aperçu         Il se tenait devant moi à distance et dans une attitude d’attente

    Sur les fougères des gouttes de rosée tremblaient dans un petit vent frais

    La lumière redorait le monde

    C’était, ce ne pouvait être que l’aube, nul autre moment du jour ni de la nuit pour notre rencontre

     

    Avant même le corps j’ai vu les bois s’avancer posément, non pas otter sur l’élément liquide,

    Mais marcher dans le ciel quoique fermement rattachés au sol

    Aérienne couronne, animal mi-arbre, arbre mi-animal, rêve ambulant

     

    Il était là     Je n’ai pas perçu le bond qui lui a permis de pénétrer dans l’enceinte de mon cerveau

    C’était un jour d’automne, période de brame

    Moi, roulant en autobus le long des grilles du jardin du Luxembourg

     

    Il venait de loin, de si loin, de plus loin que mes souvenirs, que tous mes ascendants

     

     

     

     

     

    Du temps où les idées et les mots, tout l’humain bagage à venir, n’étaient que nébuleuses sur la langue

     

    Occultée par son grand corps, la biche derrière lui, sa compagne »

     

     Claire Malroux 

    Dits du cerf & de quelques biches

    L’Escampette, 2014

  • Claude Tasserit, « Maison Blanche »

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    « Une fois que la voix de chair est enregistrée, tu ne la réécoutes pas. Pour le moment, il ne s’agit pas de choisir. Tu ne peux que parler à cet autre en toi, et le laisser parler aussi – que laisser parler les autres, et leur parler aussi. Des heures et des heures de propos incertains, quand plus tard tu les écouteras, parfois méconnaissables, prononcés dans la confusion du souvenir ou du demi-sommeil, dans l’enchevêtrement des époques et des visages.

     

    Mais les fantômes auxquels tu t’adresses, sauras-tu ensuite les changer en un lecteur à venir et à chaque fois unique ? Transmuer la voix de chair en voix de silence ?

    Ton travail ne fait que commencer.

    Ces paroles, il te faudra encore les démêler quand elles se confondaient, les relier quand elles se dispersaient. Tous ces fragments, tu devras leur accorder une cohésion qu’ils n’avaient pas, les inscrire dans un ordre factice et une durée nouvelle : leur prêter enfin la forme trompeuse d’un livre. »

     

    Claude Tasserit

    Maison Blanche

    L’Escampette, 2014

  • HORS ŒIL editions à Bordeaux

    HORS ŒIL éditions
    du 21 mars au 26 avril 2014

    à l’initiative de la bibliothèque Mériadeck de Bordeaux & de Monoquini

     

    http://www.calameo.com/read/000502266d753ee762ae3

     

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  • Jean-Paul Chague, « Expansion sans profondeur »

    jean-paul chague, Expansion sans profondeur, l'attente

    « tant de nos livres sont muets

     

    à quoi l’attribuez-vous     des corps

    pourtant y passent entre les lignes

     

    ni cris ni revendications qui les fassent

    se retourner     désir plaisir même

    demeurent affaire privée

     

    ils passent ce sont des entités

     

    ni hoquets ni râles ni murmures

    ni douleur à opérer l’organique

    nous est une langue étrangère

    et tombe de la bouche une mélopée »

     

     Jean-Paul Chague

     Expansion sans profondeur

     Coll. Philox, L’Attente, 2013

  • Jacqueline Merville, « Juste une fin du monde »

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    « J’ai un corps qui attend sans cesse que je l’emmène loin du massacre, loin du supplice. Il est devenu dans la nuit au bord de la lagune africaine le lieu de la mort. Il sait qu’il va mourir, il sait la mort. Il sait vraiment que mourir lui appartient. Je demeure avec lui dans la peur. Une peur vaste et obscure et très ancienne. Elle évoque l’épaisseur de la vase, pas sa substance, une vase faite d’air onduleux, compact, sans origine ni fin. Une autre respiration est là, ni animale ni humaine, une respiration qui ressemble à l’ordre tourmenté des étendues cosmiques. Je ne refuse pas cette peur, elle est comme une compagne. Avoir peur est devenu un seuil, un pointillé charnel vers du sacré. Je ne sais lequel. J’ignore ce qui viendra ou ne viendra pas avec la mort du corps. Le corps se souvient parfois de quelque chose d’aérien, de plein, d’une délivrance, d’une éternité peut-être. Il accepte alors sa dissolution, sa totale disparition. Puis cela s’efface très vite, comme un rêve, un effleurement auquel il ne s’accroche pas.

    Le savoir de ce corps vulnérable, supplicié, menacé, et pourtant encore vivant, pourrait donner une saveur joyeuse à chaque instant de vie, à chaque jour. Sa peur pourrait se déplacer, s’écouler comme un fleuve, traverser l’inconnu, la lumière ou l’absence de la lumière. Mais il ne le fait pas, il préfère attendre, faire le gué, repousser l’instant de sa dissolution. Il préfère me donner l’ordre de survivre, de gagner du temps. Je l’écoute comme le lieu, le seul, qui soit le mien. Il a toujours su plus que je n’ai appris avec les livres, avec la rencontre de gens remarquables. »

     

     Jacqueline Merville

    Juste une fin du monde
    L’Escampette, 2008

    le site de Jacqueline Merville : https://sites.google.com/site/jacquelinemerville/home

     

     Trente-deuxième page pour fêter les vingt ans de L’Escampette

  • Catherine Ternaux, « Olla-podrida »

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    Les cailloux

     

     « Elle était assise devant la maison au milieu des cailloux et elle entendait comme un chuchotement. Elle ne bougea pas. Prenant de l’assurance, les cailloux se mirent à palabrer. Il était question d’elle, de ses atermoiements. Et de lui aussi, au pas plus lourd évidemment. Fut évoquée une certaine fois où il la prit dans ses bras. Ce soir là, ils avaient entendu un chuchotement. Il lui avait glissé au creux de l’oreille : “Pourquoi donc ai-je des mains si ce n’est pour te toucher ?” Eux, ils avaient méchamment rigolé : l’après-midi même, ils l’avaient vu lancer sauvagement dans le mare les plus plats d’entre eux pour faire des ricochets. »

     

     Catherine Ternaux
    Olla-podrida

    L’Escampette 2001, réédition en poche, 2013

     

    Trente-et-unième page pour fêter les vingt ans de L’Escampette

  • Jean-Charles Depaule, « Définition en cours »

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    où commence le travail

    Josée Lapeyrère

     

    faisant à soi-même coupures petites

    ecchymoses conjuratoires

     

    déchiffrant de nouveau

     

    la lampe

     

    de nouveau copiant

    activités terrestres vues du ciel

                            fleuve de tout un tas de choses

    d’eau de terre de bois de pierres sang rouge fer

    glace miroirs écailles variables

    étoiles et tresses d’eau indiscernables lignes

    corps blond / soie jambe brunie

     

    bouchons dansent mousses

    lancer de bâtons en suspens sur le ciel

     

    en rotation

    tapis de feuilles sur l’eau l’ombre sur le fond

    a tournoyé maintenant suit le courant

    évolutions sans hâte de pales tiges fléaux dans l’air

    ramassés

    dispersés buisson lustre du monde

                la lampe a atteint sa durée de vie maximum

    des musiques à entendre

    l’air refroidit à l’approche du fleuve

     

    maintenant tu manges des fraises qui les détestais

    ni n’aimais Verlaine

     

    je recopiais le visage d’Elisabeth reine

    sur calque exposé au soleil de la fenêtre

    fixé à l’hyposulfite dentelle

    ou feuille sur feuille c’est photogramme

    serait prose

    je me rappelle le couronnement au cinéma

    et Sous le plus grand chapiteau du monde

    en face du coiffeur près de l’église Saint-Paul que je confonds

    avec Sainte-Perpétue Dien Bien Phu

    était une cuvette

     

    je m’accoude à la même fenêtre

    au-dessus de la cuisine

    mouvement de bras de poignet commencé répété

     

     Jean-Charles Depaule

    Définition en cours

    le bleu du ciel, 2013

     

  • Marc Mauguin, « Ponts coupés »

    marc mauguin, ponts coupés,l'escampette

    Gérard

     (extrait)

     

    « Alors pour rien de ce qui m’entoure venant de si loin jusqu’à aujourd’hui et peut-être demain, je ne trouverai plus de mot ? Ni mot ni voix désormais. Bien fini cette fois. Accepter. Cesser de m’asseoir à ma table tous les matins, après avoir pris mon café dans la cuisine pour ne pas l’éveiller, puisqu’il dort encore. Cesser de chercher, à tâtons dans la nuit, le stylo pour écrire sur le dos de ma main une phrase avortée des ténèbres. Trouver des occupations du matin jusqu’au soir, sans rien dire à personne. Le cinéma, la bibliothèque. Ou rien. Marcher dans les rues, passer le temps jusqu’à son retour. Rentrer un peu avant. Faire semblant. Tu as bien travaillé aujourd’hui ? C’est lui qui pose la question depuis quelques semaines, moi jamais, comme si ce que je faisais était le plus important alors que j’essaie de sourire. Quelques pages aujourd’hui. Des gribouillages. Il rit. Tu me feras lire ? Avant, il ne posait pas ces questions. Quand il rentrait j’écrivais encore, sans m’apercevoir que le jour était tombé. Dans le noir, de travers et à toute vitesse, guidé seulement par le contraste de l’encre foncée sur le papier blanc. Je m’arrêtais au milieu d’une phrase. Continue, je ne veux pas te déranger. Il parcourait, j’ignorais depuis combien de temps, les lignes par-dessus mon épaule. Puis s’éloignait sans rien dire, passait dans une autre pièce. Je n’entendais plus rien. Un moment après, je sentais sa main sur mon cou ; la nuit était tombée depuis longtemps. Il faut venir dîner. Les mêmes mots que ceux de maman. Il riait comme devant quelqu’un qu’on réveille, qui revient doucement à la vie avec l’empreinte du rêve dans les yeux. Tu es un insecte ! Mets tes lunettes. Riait encore. »

     Marc Mauguin

    Ponts coupés

    L’Escampette, 2013


    Trentième page pour fêter les vingt ans de L’Escampette

  • Mohammed Bennis, « Fleuve entre des funérailles »

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    Lettres

     

    « f.l.e

    ce sont ceux-là que j’ai retrouvés isolés dans la moitié d’un cercle qui tournait dans un mouvement lié à la rotation du soleil ils avaient laissé une marque blanche à la chaux afin d’aviver le désarroi et pour qu’il ne reste de toute chose que de l’eau qui s’écoule tandis que les mots lui confient leurs désirs assurés de l’empreinte de leurs tatouages sur les âmes qu’habitent ceux qui passent

     

    e.u.v

    je t’ai déjà ordonné de mélanger l’eau au safran de teindre tous les ruisseaux en bordure du fleuve en bleu coupé de blanc et de plonger la charpente des ponts dans la rivière qui a forme de canal prends toute la quantité d’encre noire à ta disposition et entre avec en ville du côté du silence toute sa splendeur se verra

     

    u.v.e

    cette nuit ta brise t’accueillera comme elle a reçu avant toi l’étranger qui s’est enquis auprès du vieillard de ceux qui ne reviennent jamais de leur perplexité il ne lui a montré que des débris observe la raideur de ces deux battants de porte derrière il y a le chant des tiens au milieu de ceux qui avaient été surpris par la terre nue ils lui ont dit nous sommes venus à toi par temps de canicule et de froid extrême sans nous en soucier privés de toi nous ne sommes que miséreux »

     

     Mohammed Bennis

     Fleuve entre des funérailles

     Traduit de l’arabe par Mostafa Nissabouri

     L’Escampette, 2003

     

    Vingt-neuvième page pour fêter les vingt ans de L’Escampette

  • Marc Le Gros, « Icaria & autres lieux »

    Marc le gros, icaria & autres lieux, l'escampette

     

    « Dans la campagne d’Icaria les bruits de la nature règlent immuablement les commencements du jour. À cinq heures, à Armenistis, c’est le coq qui ouvre le feu, un coq solitaire et sans rival, l’unique spécimen du lieu sans doute car on ne connaît pas ici les répons interminables qui réveillent en fanfare les îles de Siphnos ou de Serifos, pour ne rien dire d’Amorgos où ses congénères ont colonisé toutes les collines, des hauteurs de Katapola jusqu’aux derniers moulins de la Chora.

    Puis c’est le tour des ânes, déchirants, pathétiques, lugubres avec ce cri de Golgotha qu’ils semblent chaque fois lancer dans le désert. Leurs hoquets éperdus hésitent entre l’agonie respiratoire des noyés et ce sifflement rauque des pompes à eau mal graissées dont on devine qu’elles vont bientôt rendre l’âme. À six heures et demie très précises la première cigale précède de peu l’éveil de l’homme. Pétarade des tracteurs qui partent aux champs pour la journée. Ce sont des engins minces et verts, à trois roues avec un guidon et un moteur découvert qui luit comme une carapace. On dirait de gros criquets.

    Des vieilles femmes, le visage recouvert d’un fichu blanc, sont assises dans les remorques. Chacune porte une gourde emmaillotée d’un tissu bleu nuit. Comme à Kalymnos ou à Astypalea au départ des autobus, elles se signent avant d’entreprendre le voyage. Alors seulement avec le soleil, le vide s’installe, et le grand silence du jour. »

     

    Marc Le Gros

     Icaria & autres lieux – carnets grecs

     L’Escampette, 2013

     

     

    Vingt-huitième page pour fêter les vingt ans de L’Escampette