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Édition - Page 57

  • Lyn Hejinian, "Gesualdo"

    lynhphoto.JPGMartin Richet sait toujours repérer l’inattendu et il excelle à le traduire. Ce mince livre commence en ré et se termine en « mesure pointillée » en la et ré fusionnant les [nos] voix. Carlos Gesualdo, musicien et assassin, ou l’inverse, mais fidèle, « une aptitude aux motifs, au couplage » — Gesualdo  « un nom ne doit pas annoncer une intention ».

     

    L’écriture de Lyn Hejinian est d’une rare complexité et d’une rare flamboyance. Elle entraine le lecteur sur des chemins qu’il n’envisageait même pas, c’est dire si elle est nécessaire. «  Je suis singulier et dépendant, d’un message plus urgent de l’artifice à une expression vivante. » Un effet de musique, un effet  de sauvagerie, un effet de désir, un effet de vacillement — page  5 coda —, une aventure  d’amour qui suggère la fin, sans réplique.

     

    Mêlant, entremêlant — fine et savante tapisserie, rugueuse et soyeuse à la fois — l’autobiographie du compositeur italien et sa musique, avec une précision et une exactitude rares, Lyn Hejinian donne ici un des textes les plus troublants qui soit, véritable « Contorsion en douceur, le rythme est immobile, un langage ultérieur guidé par la consolation ou le soulagement. »

     

    Claude Chambard


    Lyn Hejinian

     Gesualdo

    Traduit  de l’américain par Martin Richet

     Éric Pesty Éditeur

     16 p. ; 9 €

    http://www.ericpestyediteur.com/

     

    Cet article a paru une première fois dans CCP  n°20, cipM, octobre 2010

  • Lucie Braud, "Ferdinand"

     

    100_2187.JPG[…] J’ai huit ans. Un polo blanc et par-dessus, un pull bleu marine sans manche et col en V. Ferdinand a fait apporter le piano droit dans notre maison. Il a suivi le camion dans sa voiture. Il observe l’installation dans notre bureau, au rez-de-chaussée avec une fenêtre qui donne sur le jardin. Un monsieur viendra pour l’accorder, pour que je puisse jouer. Ferdinand a dit le piano sera bien ici. Maman a trouvé un tabouret à ma taille et une méthode pour débutant. Je ne connais pas les notes, je joue des mélodies simples à l’oreille, j’essaie de reproduire les gestes de maman.

    C’est dimanche. Jeanne et Ferdinand sont venus déjeuner. Papa et maman ont aménagé le grenier en salle de jeux. Il y a aussi nos bureaux, un cadeau de Jeanne et Ferdinand. En pin vernis. Un plateau sur des tréteaux. Et une lampe d’architecte noire offerte par papa. Après le repas, nous allons jouer. Ferdinand monte l’escalier. Il s’assoit à mon bureau. Mon cartable est ouvert. Je lui tends mon cahier de poésie. J’ai illustré Le Dormeur du Val. Il regarde. Il attend. Je récite, raide comme un I.

    Ferdinand me montre ce qu’il a trouvé, des pointes de flèches, des silex taillés, des gros des petits. Il me raconte. Quand il a fini, il attrape un sac de toile et y range une partie de son trésor. Il y a un dessin sur le sac, un chasseur armé d’une lance. Il me dit c’est pour toi. J’ai accroché le sac derrière mon bureau. J’ai étalé les silex devant moi. La pierre est douce. Du caramel au beurre salé.

    J’ai neuf ans. C’est l’été. La maison est fraîche. Je suis assise dans l’escalier en bois qui mène à la chambre de Ferdinand. Au-dessus de moi, les casquettes de Ferdinand sont accrochées. Elles sont toutes pareilles, des caquettes de marin, plates avec une visière, bleues presque noires. L’intérieur est satiné et matelassé. Je voudrais en attraper une et la mettre sur ma tête. Depuis la quatrième marche, je peux tendre le bras et choisir. Mais je reste assise à les regarder. Ferdinand s’est endormi dans le salon, devant la télé. Sur son fauteuil, il se tient bien droit.

    En face de la chambre de Jeanne et Ferdinand, il y a une porte. Elle mène dans le grenier sous les combles. Je n’y suis jamais allée. Ferdinand est devant la porte. Je suis derrière Ferdinand. Il me dit viens. Il y a deux pièces. L’une est tapissée d’étagères remplies de bocaux, de provisions, de boîtes en cartons, de vêtements rangés dans des plastiques transparents. L’autre pièce est fermée par une porte. Ferdinand l’ouvre. Les murs sont recouverts de bâches noires opaques et luisantes comme des sacs poubelle. La lumière est rouge. Il y a des cordes tendues entre les parois, des gros bidons remplis de liquide, des bacs, un appareil que je n’ai jamais vu. Ferdinand me montre. J’imite ses gestes. Des images apparaissent sous nos doigts.[…]

    Lucie Braud

    Ferdinand

    Coll. Alter & Ego

    Éditions de l’atelier In8

    32 p. 4 €

    isbn : 978.2.36224.017.1

    http://editions.atelier-in8.com/catalogue/collection-alter-a-ego/ferdinand/?category_id=3&flypage=flypage.tpl

    photographie : Claude Chambard

     

  • Stacy Doris, 21 mai 1962 — 31 janvier 2012

     

    Kildare001.jpgSynopsis de Kildare :


    Sheila est une animatrice de talk show dont le brio ne saurait compenser son minable sens du timing. Adulée malgré tout, pleine de karma, d’ambitions et de fric, elle part en quête de vies antérieures au cours de chirurgies bénignes (simple routine), sous l’effet d’anesthésies (locales).

     

    À partir du scénario arcadien d’une opération, la conscience de Sheila bascule à travers une série de vies antérieures (surtout les siennes) sous l’apparence (dans un ordre non chronologique) d’une petite voleuse, de Bénédicte (capturée par les pirates), d’Évelyne “Bouche-à-pipes”, de la fée Clochette (des chaumières), de Miss Kermesse, d’une contorsionniste, puis d’Elle-même — mais téléportée sur Mars, et autres archétypes de championnes.

     

    Après une brève interview, un examen de conscience, quelques réminiscences, et un voyage dans le Temps (retour involontaire sur le film de sa vie), Sheila tombe enfin sur le vrai New Age (futur et post-nucléaire) où, réincarnée en Carmen, elle joue le rôle principal (celui du Bien) dans une lutte conte Kildare le docteur fou, en pleine conquête de l’univers (du moins ce qu’il en reste). En raison de transmutations, de l’ambiguïté d’un esclave, et d’autres contre-temps, le duel finit en match nul (avantage Sheila malgré tout). Kildare est dissous (l’est-il vraiment ?).

     

    Enfin bref, de toutes façons, en une triomphale union de chômage et de béatitude, dans l’esprit d’être pour et contre à la fois, Sheila fusionne avec la demie-vie (putride, puante) de Kildare toujours en décomposition, donnant naissance (avant qu’il soit trop tard) à un prodigieux chœur d’infirmières interchangeables en quelque sorte (90.60.90) qui, accompagnées de leur toujours fidèle serviteur-géniteur Klink, s’envolent vers l’éternité pastorale du gaz hilarant.

     

    (trompettes)

     

    Stacy Doris

    Kildare

    (esquisse bariolée d’un tas de trucs incroyables)

    traduit et adapté de l’américain par l’auteur & Juliette Valéry

    Format américain, 1995

     

    Stacy Doris en français :

    Paramour, traduit par Anne Portugal & Caroline Dubois, P.O.L, 2009

    Parlement, P.O.L, 2005

    Le temps est à chacun, traduit par Martin Richet, Contrat Main, 2002

    Une année à New York avec Chester, P.O.L, 2000

    Paramour, traduit collectivement à la Fondation Royaumont, Créaphis, 1999

    La Vie de Chester Steven Wiener écrite par sa femme, P.O.L, 1998

    Kildare, traduit par l’auteur & Juliette Valéry, Format américain, 1995

    Une vidéo de Stacy lisant La Vie de Chester Steven Wiener écrite par sa femme http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=BIo5tMBFaHs

     

  • Bernard Vargaftig, Nancy 24 janvier 1934 — Avignon 27 janvier 2012 & l'éternité

    Bernard Vargaftig

    Le lieu exact — ou la peinture de colette deblé

     

    Vivantes

    Les orties ô même l’orage

    Et l’absence

    Et les galets vont si vite

     

    Même l’enfance

    Tout-à-coup et la cour

    Plus terrible où le mur craque

    Et le gouffre

     

    Et les arbres

    Qui dévalent jusqu’au vent

    Comme jamais

    Regardaient le langage

    ………………………………………

    Tant de fois

    Les roches le lieu exact

    La prairie et

    Quand il manque une page

     

    Tomber tomber

    Était comme un murmure

    Et le vent se précipite

    Et l’espace

     

    Loin derrière

    Effaçant pente et parfum

    Immensité

    Que l’horizon saisit

    ………………………………………

    Ah plus d’oubli

    Et l’instant qui commence

    Un récif

    Que tout aurait fait bouger

     

    Vent et lumière

    La plage dénouée

    Un murmure et si lointaine

    L’étendue

     

    Où sans cesse

    Avalanche dans le sens 

    Le rosier comme

    Mortellement échappe

     

    […]

     

    les trois premières pages debernard vargaftig,colette deblé,à passage

    Le lieu exact

    ou la peinture de colette deblé

    imprimé au plomb

    en Garamond corps 10

     en mars 1986 par mes soins
    à 15 exemplaires sur

    Gravure du Moulin de Larroque

    enrichis d’une peinture de Colette Deblé

     & à 300 exemplaires sur vélin blanc

     à Passage, Bordeaux

    isbn : 2.905391.11.5

     

     

     

  • Charles Racine, "le sujet est la clairière de son corps"

    Charles-Racine_01_f53b99d20a.jpg« Les entrailles de l’âme qui ouvrent les plaines sans lier les convois qui l’enlacent entendent le pas du vent   Le cheveu s’adoucit sous la main qui mit en sa joie le vent sous la nuit dessinée je frappe à pieds féconds qui montent sur la page atténuant l’écho qui monte en escalier dans le texte qui se procure un passage dans ce mot qui ne serait pas négocié et les abîmes que tu me dis côtoyer je les élis sur ma marche édifiante   Une déchirure un divorce a lieu sur les grands fonds de l’âme élevés en toiles écrues tendues déçues crevant à l’apparition de la mariée qui pratique le cours de la mort dont elle élève les yeux à la cime d’un vain effort   Savance progressive d’immanence m’anime que contourne merveilleuse soie ma peau   Gros œil océanesque célèbre dans la soie les yeux de l’enfant célèbre en ses joutes   Écriture a une vocation rallie le convoi qu’ouvre le poème ère de mie qui embue les yeux la prend en enfilade   Poésie a une vocation en porte-à-faux de l’écriture   Mie feu ! que n’éteint la cendre portée à la bouche est principe actif de mort   Partout où mort voudra s’accomplir où mort voudra mourir se mettre à mourir elle ira chercher mie quel qu’en soit l’endroit pour y mourir   Tu rattrapes dans le vertige le vertige, la nappe qui voyage circonvolutionne dans le vertige   O la face qui se surprend à coucher à son ombre un retour se démantèle dans l’ombre dont elle halète y repose le pas tombe ses chairs au profit de la robe   Un visage se cherche sur les épaules pour le désœuvrer se cherche vers le mystère   Tu dévoiles les vaisseaux en haute mer pour incliner ton corps prosodique sur le front des vagues que désigne la courbe portative appelante d’un homme qui t’appelle   Cette aventure se détache des syllabes qui la prononcent   Cette foi de sang battue geint sous la syllabe qui la martèle   L’éteignoir qu’élime la biche qui jamais ne se surprend dans sa lutte qui change de chemise dans l’autre bouche dont elle murmure d’être revêtue la chemise s’abandonne au titan   Le lointain s’édifie sur l’infime croissant lunaire   Le timbre oblitéré n’ajoute rien à cette gloire courbant l’échine sous la grandeur   Je frappe sur un chambranle lieu s’escorte   Le pan de texte ne m’ouvrit ses portes   Il y faudrait de l’âme à battre le fer   Façade inoubliable sur la place qui roule de ses veilles aux pieds d’un homme qui s’effeuille l’espace abdique ses pouvoirs mensongers sous le sceau de l’échec qui roule de ses veilles aux pieds d’un homme apriorique que leur inculque le pan de texte qui ne mettra jamais le visage à la fenêtre. »

    1964

     

    Charles Racine

    Le Sujet est la clairière de son corps

    avec quatre eaux-fortes de Chillida

    Maeght éditeur, 1975

    Repris in Ciel étonné

    Fourbis 1998

  • Denis Montebello : note sur "carnet des morts"

        Hui: une adhésion au jour mais timide, vaguement réticente. C‘est ainsi qu‘un ami dit oui, le libraire des Saisons à La Rochelle, un oui que j‘entends comme une trace, comme si l‘Argonne revenait avec lui et avec sa forêt, la grande forêt d‘enfance dont il fera, lui qui ne la connaît que par ouï-dire, sa guerre, qui écrira ses Pastorales de guerre.

         Lire et cueillir c‘est tout un, et c‘est ce que fait Claude Chambard dans son carnet des morts, il cueille les traces, les recueille, il met ses pas dans des vestiges, ses mots.  Ce sont les mots de l‘enfant : de celui qui ne parle pas et que le poète, des années après, essaie de rejoindre dans sa forêt.

         « J‘ai couru vers l‘enfant. Dans la forêt. Dans la forêt en travail.

           Dans la scène oubliée où j‘ai appris à écrire.

           Quittant mon père pour écrire.

           Écartant ma mère pour écrire.

        J‘ai couru vers l‘enfant qui courait vers l‘école. »

         Le temps retrouvé a parfois un goût délicieux, ou c‘est la boîte de Coco, cette « petite boîte métallique, ronde, qui contient une poudre marron clair ou jaune foncé (je ne parviens pas à me décider)  ou un coquillage orange ou fraise  que je lèche avec application »  qui réveille les années d‘or : de souffrance. Ces figures qu‘on disait absentes du paysage. Ce Grandpère qu‘on croyait à jamais enfoui avec ses phrases.

         « Je puis me souvenir, sans nostalgie, du temps où nous étions autre chose. »

         C‘est ce qu‘écrit Claude Chambard.

        C‘est aussi ce que se dit le lecteur ce carnet refermé. Quand il songe à ces routes qu‘il ouvre, à toutes ces routes qui ouvrent à la grande forêt.

    Denis Montebello, 2 septembre 2011

     

    Claude Chambard

    cdm jpg.jpgcarnet des morts

    15x19,5 ; 112 p. ; ill. ; 14 €

    Dessin de couverture : François Matton

    isbn : 978.2.915232.72.1

    le bleu du ciel

    BP 38 — 33230 Coutras

    05 57 48 09 04

    bleuduciel@wanadoo.fr

     

     

    & aussi sur le même livre les chroniques de

    Anne Françoise Kavauvea :

    http://annefrancoisekavauvea.blogspot.com/2011/06/carnet-des-morts-claude-chambard.html

    & d'Éric Bonnargent :

    http://anagnoste.blogspot.com/2011/07/claude-chambard-carnet-des-morts.html


  • Mathieu Brosseau, Philippe Rahmy & Stéphane Dussel, Mots Tessons

    Une nouvelle maison d’édition, créée par Armand Dupuy, poète, et Stéphane Dussel, peintre, et voici  qu’intrigué on va humer les deux brefs livres qui viennent de paraître.

     

    Dans L’espèce, joli livre à l’italienne, Mathieu Brosseau pose deux questions essentielles (la première sans point d’interrogation cependant…), qui sont aussi les titres de chapitres : « Et s’il ne fallait plus dire/Que les signes du silence » et « Et s’il fallait dire l’absence/quels seraient les signes du silence ? » Tout le projet tient entre ses deux propositions et la réponse, si réponse il y a, nous parvient sous forme d’énoncés, d’entrelacements, d’assonances… dans « le brouhaha des siècles glissés ». Et comme le souligne Fabrice Thumerel dans sa préface : « Ouvrir l’espèce, c’est faire place à l’animal : c’est alors que les signes se font singes. » C’est dit et c’est dire, on va le voir, si les deux premiers livres de Mots Tessons se « parlent ».

     

    Cellules souches se tient bien droit, permettant aux encres, lavis, de se frotter aux textes sur des valeurs de noir et blanc qui se répondent avec pertinence. Car le livre est « fabriqué » à quatre mains et l’on ne sait jamais très bien à qui l’on doit quoi. Bâti à partir d’une lettre de Dussel à Rahmy, dont on retiendra comme éléments déclencheurs ces deux phrases, la première et la dernière : « Il faut d’abord question d’un singe, d’un singe que j’avais sur l’épaule et qui te grignotait les cellules . », « Je ne te connais pas. Tu ne me connais pas. Nous nous connaissons. Le singe est un point de départ. »

    Claude Chambard

     


    Mathieu Brosseau

    L’espèce

    60 p. ; 13 €

     

    Philippe Rahmy & Stéphane Dussel

    Cellules souches

    30 p. ; 15 €


     Cette chronique a paru une première fois dans CCP n° 20, septembre 2010.

    Mathieu Brosseau vient de publier Uns au Castor Astral , nous y reviendrons prochainement.

     

  • Joanne Anton “Le Découragement”

    decouragement.jpgDans la très élégante collection à 6€10, Allia publie un premier livre, qui doit certes à Thomas Bernhard, mais surtout au fait même d’écrire, à l’angoisse, au découragement, à la folie… Tout de digressions souvent drôles, emmené par une pensée en effervescence, obsessionnelle et démentielle souvent, Le Découragement mérite que l’on s’y attarde, et on pourra en profiter pour relire Marcher, que l’on ne  trouve bizarrement que dans « Récits, 1971-1982 » dans la collection Quarto aux éditions Gallimard.

     

     « Dans Marcher de Thomas Bernhard, un homme parle à un autre de la folie d’un autre. Et. Il serait bon de s’en inspirer si d’aventure on marchait nous aussi avec quelqu’un. On parlerait à un autre du découragement d’un autre, comme Oelher parle de la folie de Karrer à un autre.

    On aurait peut-être dû faire ça, pense-t-on à présent sur le boulevard, l’écrivant plus tard. Oh ! On aurait dû ! On remue le couteau dans la plaie du lundi ; tout est bon lundi, tout nous sert lundi à prouver que notre récit sur le découragement ça ne va pas. On aurait dû pousser notre imitation bien plus loin, se dit-on, l’écrira-t-on, et dès mercredi dernier, écrire une conversation où converser de manière conversante avec un autre sur le découragement d’un autre. On s’est trompé de chemin depuis le début. Nous tenons la preuve de ne pas avoir mis notre récit suffisamment sous protection, sinon le jugerions-nous ? Se dit-on Thomas Bernhard, ça ne va pas ? On serait bon pour Steinhof si l’on pensait le contraire de sa pensée, hurlant sur le boulevard que Thomas Bernhard, c’est de la marchandise de rebut autrichien. Et. Qu’à bien y regarder, Marcher, c’est raté. »

     

    Joanne Anton

    Le Découragement

    Allia, 2011

  • The Black Herald N° 1 vient de paraître

     animé par Blandine Longre & Paul Stubbs

    voici le premier numéro de 

    The Black Herald

    2011-01-13-13-38-52.jpg


    Issue #1 January 2011 – Janvier 2011
    160×220 – 148 pages - 13.90 €
    ISBN 978-2-919582-02-0
    Poetry, short fiction, essays, translations.
    Poésie, fiction courte, essais, traductions.
    Texts by / Textes de : Laurence Werner David • John Taylor • Valeria Melchioretto • Tabish Khair • Émile Verhaeren • Will Stone • Philippe Rahmy • Rosemary Lloyd • Osip Mandelstam • Alistair Noon • Onno Kosters • Willem Groenewegen • Sandeep Parmar • Georges Rodenbach • Andrew O’Donnell • Khun San • Sylvie Gracia • Georg Trakl • Anne-Sylvie Salzman • James Byrne • Claro • Brian Evenson • Siddhartha Bose • Romain Verger • Yahia Lababidi • Sébastien Doubinsky • José Mena Abrantes • Cécile Lombard • Darran Anderson • Anne-Françoise Kavauvea • Emil Cioran • Nicolas Cavaillès • Mark Wilson • Zachary Bos • Paul Stubbs • Blandine Longre. Images: Emily Richardson • Romain Verger • Will Stone. Design: Sandrine Duvillier.
    More about the contributors / les contributeurs <http://blackheraldpress.wordpress.com/2011/01/13/the-black-herald-contributorscontributeurs/>
    http://blackheraldpress.wordpress.com/2011/01/13/the-black-herald-contributorscontributeurs/ <http://blackheraldpress.wordpress.com/2011/01/13/the-black-herald-contributorscontributeurs/>

  • Gérard Bobillier

    Bob002.jpgPierre Michon vient de le dire à l'instant sur France Cuture, Gérard Bobillier, notre cher Bob, vient de mourir. Fondateur, avec Colette Olive, Michèle Planel et Benoît Rivéro, des éditions Verdier qui fêtent cette année leur trentième anniversaire, il aura été l'éditeur d'un catalogue rigoureux, puissant, juste, net, exigeant. Mêlant littérature – française et étrangère –, philosophie, sciences humaines, les littératures fondamentales de la tradition juive, l'Islam sprituel, aussi bien que la tauromachie, la cuisine… Repreneur, quand il le fallait, de Deyrolle, Antigone, L'Éther vague, Farrago/Fourbis, pour que nous puissions continuer à les lire, il avait surtout cette part rare d'humanité, d'amitié, d'authenticité qui en faisait un être infiniment fréquentable.

    Je ne puis que conseiller à chacun de se rendre sur le site des éditions Verdier http://www.editions-verdier.fr/v3/index.php pour l'exemplaire catalogue et parce que bien entendu les éditions vont continuer, avec la peine, mais parce que ce sera lui rendre honneur que de poursuivre. Que Colette trouve ici toute mon affection.

    Feu le le Centre régional des lettres d'Aquitaine (devenu autre chose) avait reçu Verdier en Aquitaine en 1995. J'avais à cette occasion réalisé un livre à l'identique de leurs éditions :  Carte blanche aux éditions Verdier – on doit encore le trouver ici et là, comme un objet de collection. C'est de ce livre, truffé d'entretiens, de textes réflexifs, que j'extrais cette photographie de Gérard Bobillier et cette réponse à une question d'Éric des Garets : “Éditer n'est pas une attitude, plutôt un mouvement qui suscite, porte, conjugue dans les valises d'un catalogue des fragments de toujours pour une errance infinie.”

  • Inventaire/Invention ✝

    couv_doppelt-monde.gifInventaire/Invention disparaît. C'est grave. D'autres éditeurs, diffuseurs, associations… sont dans des situations plus que précaires, intenables.

    Patrick Cahuzac s'ouvre ici sur la façon dont les pouvoirs publics résolvent les difficultés de ceux qui portent la culture dans ce pays.


    Chers amis,
    Au mois de décembre 2008 et, de nouveau, en janvier 2009, le Conseil général de Seine-Saint-Denis, notre principal partenaire depuis 10 ans, nous a refusé une subvention pour l'année 2008 et l'avance habituelle de notre subvention de fonctionnement, versée en début d'année, pour 2009. Il ne nous a pas été donné d'explication bien claire au sujet de ce désengagement brutal (d'autant plus brutal qu'une convention nous liait jusqu'en 2010).
    La gestion de l'association ne saurait être en cause puisqu'en dix ans d'existence, nous n'avons jamais été déficitaires. Il semblerait que l'explication soit à chercher du côté de « la nouvelle politique culturelle » du conseil général de Seine-Saint-Denis, mise en œuvre depuis le changement de majorité politique de cette assemblée, en mars 2008...
    Le Conseil général savait parfaitement qu'en agissant ainsi, il nous condamnait. Ce retrait brutal s'est en effet produit au pire moment de l'année, lorsque nos caisses sont vides. Il ne nous laissait aucune chance.
    Comme il n'était pas dans les intentions de nos autres partenaires (Drac et Conseil régional) de pallier au désengagement du conseil général de Seine-Saint-Denis, nous avons été contraints de nous placer en cessation de paiement. La liquidation de l'association sera probablement prononcée dans les jours prochains par le Tribunal de Grande Instance de Paris.
    Depuis les élections présidentielles de mai 2007, la vie de l'association était devenue difficile. L'État avait réduit son aide de près de 50%. Continuer n'allait pas de soi. Certains savent que je travaillais à peu près bénévolement depuis ce temps dans le but de préserver l'équilibre financier de l'association et de ne licencier personne. C'était précaire mais nous y arrivions. Les ateliers de lecture étaient conduits dans des dizaines de classe, en Seine-Saint-Denis principalement, les livres paraissaient, le site était vivant...
    Inventaire/Invention a été une aventure intellectuelle et humaine extraordinaire. Elle a été possible grâce à des hommes et des femmes qui ont aimé ce projet et qui s'y sont reconnus, s'y sont investis, y ont cru. Je les remercie tous et toutes, du fond du coeur.
    Patrick Cahuzac
    le 9 fevrier 2009


    Inventaire/Invention
    pôle [multimédia] de création littéraire
    Parc de la Villette
    211, avenue Jean-Jaurès 75019 Paris
    info@inventaire-invention.com

  • Un diamant brut

    szczupak.jpgL’Yonne, Maman Blanche et Papa Edgar sont de braves gens, de ces bons paysans qui encaissent autant qu’ils savent donner. Yvette, leur est confiée par l’Assistance publique, même si encore, pas loin, rôde l’ombre d’un père qui ne l’est peut-être pas. Mais l’administration n’aime pas le bonheur aussi la belle enfant aux beaux cheveux blonds est déplacée dans une famille de brutes où la patronne l’humilie jour et nuit. L’hôpital peut sauver les malheureux. Après un séjour entre les infirmières en cornettes, toutes de gentillesse et d’humilité, Yvette ira, à deux pas de Vézelay, chez Maman Phasie et Papa Gustave qui aimeraient bien une petite pour habiter – plus tard – la maison destinée aux enfants qui sont partis.
    Et elle est bien Yvette dans ce petit monde simple et paisible, entre l’école et les animaux, les douceurs et l’affection. Ce pourrait se terminer comme ça, une vie simple à la campagne, mais ce serait sans compter le fait qu’à partir de 14 ans les pupilles de l’Assistance doivent travailler pour rembourser l’État, sans compter sur les quasis voisins, des parisiens de « la haute », trouvent que la mignonne est « un diamant brut » qui sait même dessiner. Christian et Yvonne Zervos vont s’engager à adopter la jeune beauté. En traversant le champ qui sépare la ferme de Phasie et Gustave de La Goulotte, la maison de Taky et Yvonne, la jeune fille ne sait pas encore dans quel monde elle est tombée. Elle a 13 ans, et bientôt elle partira à Paris, rue du Bac. Entre Eluard et Nusch, Bataille, Balthus, Miró, Léger, Giacometti, Char – l’amant d’Yvonne – aux shorts si larges qu’ils laissent apercevoir des breloques, Braque, Brauner, Hélion… c’est Picasso qui sera son préféré, lui qui la guide, l’accompagne, sans rien demander – ce qui n’est pas le cas de tout le monde, pensez… Zervos, ce cher Taki, l’homme des Cahiers d’art, le mécène, l’ami du tout Paris, lui demande – ce n’est pas bien méchant, n’est-ce pas – de « moucher son tuyau à pipi », puis on passera, tandis que Char et Yvonne frétillent, aux choses sérieuses… Yvette tournera dans un court-métrage poético-artistique de René Char financé par les Zervos avec Jacques Dupin en jeune premier... mais déjà elle pense à fuir cette existence insouciante. Elle part avec Monsieur Sacha Szczupak (Choux-Pâques, dit-elle, car elle raffole des surnoms qui font malentendus – on pourrait dire si exactement entendus) en Israël. Là-bas elle trouve quelque chose en elle-même qui n’attendait que pouvoir se révéler : « L’Ailleurs, c’est ici ».

    Elle quittera la France, et le couple qui l’avait adopté et ne savait que la manipuler, deux mois avant sa majorité. Elle obtiendra le certificat de conversion n° 6 de l’État d’Israël, épousera Sacha et après avoir écrit ce livre simple et complexe pourtant elle s’y éteindra en 2003. Livre simple et complexe à la fois car son auteur est un écrivain. Elle sait remuer sa phrase pour, en racontant, faire passer ce qui compte, ce qui bâtit une demeure pour soi où l’on peut accueillir l’autre, les bras grands ouverts. Sans regret, sans haine non plus, elle décrit des mondes, des époques, des êtres avec une justesse et une drôlerie étonnantes.
    De surcroît elle donne à lire un redoutable témoignage sur ce que ne devrait jamais être l’adoption.

    Yvette Szczupak-Thomas
    Un diamant brut
    14x21, 448 p. ; 20 € ; isbn : 978.2.96424.654.1
    Métailié, 2008