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Je déballe ma bibliothèque - Page 19

  • Peter Handke, « L’histoire du crayon »

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    DR

     

    « Au sortir de certains films je me suis, un instant, senti un héros ; après la lecture de certains livres, je sais que j’en suis un (et je sais que c’est un devoir qui m’incombe)

     

    Les acteurs japonais (chez Ozu par exemple) savent porter le deuil (sans exemple et de façon exemplaire); ils portent le deuil comme je n’ai jamais vu le faire qu’en rêve; ils sont là, les visages illuminés, et portent le deuil

     

    Grande impression de réalité – c’est-à-dire : d’être dans la réalité – à la simple vue d’un chat qui au loin, saute du haut d’un mur ou de la marque des cheveux sur la buée d’une fenêtre du train. À partit de maintenant, je connais la réponse à la question : “Qu’est-ce que la réalité ?” – la réalité, c’est le chat qui saute du haut d’un mur

     

    Écrire quelque chose dont personne ne pourra demander : “Qu’est-ce que cela veut dire ?” et qui en même temps reste tout à fait énigmatique

     

    Les lecteurs sont des gens forts : ils transmettent la lecture, ils sont ces “quelques opiniâtres”

     

    En écrivant il ne faut pas que j’en arrive à mesurer les mots les uns aux autres – le seul mot juste il me faut l’atteindre sans mots. En écrivant, seule doit parler, mot pour mot, la voix intérieure. C’est la voix du dehors, celle des oiseaux par exemple. Écoute la voix du dehors, c’est la voix intérieure »

     

    Peter Handke

    L’histoire du crayon

    Traduit de l’allemand par Georges-Arthur Goldschmidt

    Gallimard, 1987

  • Luis Cernuda, « Ombres »

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    DR

     

    «  Ombres

     

    Il était blond et fin — avec un visage d’enfant, ajouterais-je, si je ne me rappelais ses yeux bleus, ce regard de qui a goûté la vie et l’a trouvée amère. Au poignet de sa manche, rouge comme une blessure fraîche, il portait un galon de caporal gagné au Maroc d’où il venait.

    Il était sur un char et déchargeait des bottes de paille dorée pour les chevaux qui, impatients à l’intérieur, logés comme des monstres infernaux sous d’énormes voûtes obscures, blessaient les pierres de leurs sabots en secouant les chaînes qui les maintenaient à la mangeoire.

    Son air distant et absorbé, dans l’humilité de sa tâche, rappelait le jeune héros d’un récit oriental qui, chassé du palais familial où tant d’esclaves veillaient à satisfaire ses moindres désirs sait se plier à leur travail, sans perdre pour autant sa grâce altière.

    *

    Il passait au crépuscule, petite tête ronde aux courtes boucles noires, bouche fraîche où s’ébauchait un sourire moqueur. Son corps agile, fort et harmonieux, rappelait l’Hermès de Praxitèle, un Hermès qui eût porté sous son bras replié contre la hanche, au lieu de Dionysos enfant, une énorme pastèque, l’écorce verte et obscure toute veinées de blanc.

    *

    Ces êtres dont nous avons un jour admiré la beauté, que sont-ils devenus ? Ils sont déchus, salis, vaincus, sinon morts. Mais l’éternelle merveille de la jeunesse reste vivante et, à la contemplation d’un nouveau corps jeune, certaine ressemblance parfois éveille un écho, une trace de celui que jadis nous avons aimé. Cependant, à la pensée que vingt ans séparent l’un de l’autre, que cet être n’était pas encore né quand le premier portait déjà allumée la torche inextinguible que les générations se passent de main en main, une douleur impuissante nous assaille, car nous découvrons, derrière la persistance de la beauté, la fugacité des corps. Ah ! temps, temps cruel, qui pour nous tenter par la fraîche rose d’aujourd’hui détruisis la douce rose d’hier. »

     

    Luis Cernuda

    Ocnos

    Traduit de l’espagnol et préfacé par Jacques Ancet

    Les Cahiers des Brisants, 1987

     

     

  • Yang Wan li, « la nuit, buvant »

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    « la nuit, je bois dans le studio vide et froid

    je me déplace pour me rapprocher du poêle gainé de bambou

    le vin est nouveau, pressé de ce soir

    la bougie est courte, restée de la nuit dernière

    un morceau de canne à sucre pourpre, gros comme une poutre

    une mandarine dorée, même le miel ne saurait lui être comparé

    dans l’ivresse monte un poème

    je saisis mon pinceau, impossible d’écrire »

     

    Yang Wan li –(1127-1206)

    In Éloge de la cabane

    Poèmes choisi et traduits du chinois par

    Cheng Wing fun & Hervé Collet

    Moundarren, 2009

  • Edmond Jabès, « La clef de voûte »

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     « On dresse l’échafaud dans les jardins du bagne dans le jardin des tire-lires Fière jeune fille que le soleil éloigne

    on dresse l’échafaud sur l’absence

    Le couperet aux fines aiguilles à coudre la mort

    le couperet aux franges de lune pour le sourire du bourreau

    Siècle de pendus on dresse l’échafaud pour les retardataires

    zébrés de langue-au-chat La vie n’a plus de secret

    Seuls les yeux le regard seul attend interroge

    On dresse l’échafaud sur l’épouvante de la foule

    L’herbe demande à se faire entendre on la repousse

    L’herbe sur qui le condamné à mort oublie qu’il va bientôt mourir

    Le couperet de houpe d’oiseaux à tourmenter le vent

    à poudrer les joues des jeunes épouses du vent

    L’implacable couperet aux idylles de sapins de Justice

    un monde déchu est suspendu à sa chute

    un monde la langue dehors dont les pieds ne touchent plus le sol

    et que le vent indifféremment balance

    Je me souviens de tous les visages J’ai mis du temps à les reconnaître

    aussi longtemps que le jour

    On dresse l’échafaud sur l’impatience Le maître avec sa pierre-ponce

    frotte les maigres doigts tâchés d’encre des écoliers humiliés

    Tu lis je lis des mots d’innocence

    que le couperet interrompt

    On dresse l’échafaud sur chaque Dimanche

    Une tête tombe dans le cahier ouvert

    On dresse l’échafaud sur la mémoire du bourreau

    sur la mémoire de la vie et de la mort

    sur la détresse de l’amour

    sur une tresse coupée

    sur une coupe

    sur un cou

    brisé »

     

     Edmond Jabès

    La clef de voûte

    Imprimé par Guy Lévis Mano en juin 1950. 20 exemplaires sur vélin du Marais et 380 sur vélin, numérotés de 1 à 20 et de 21 à 400. Ex : 306

    GLM, 1950

  • Edmond Jabès, « Trois filles de mon quartier »

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    « I

    Trois lles de mon quartier ont abandonné leurs ancés à la misère ; trois rires, trois étoiles capricieuses. On n’a plus de nouvelles du cœur de la terre. Trois lles de mon quartier ont changé de nom ; leurs fronts brûlent dans la nuit. Trois pompiers, trois scaphandriers, trois amants éperdus, cherchent leurs ancées. Le poisson et l’oiseau s’en émeuvent, car l’amour est partout. Trois bœufs, trois cailloux, trois trous embarrassent la route. On frappe aux portes que l’on connaît.

     

    VII
    Le rire est une jeune femme écartelée sur les routes. La mort est plus adroite. Tu mets le feu au paysage arraché aux paupières : Notre lieu de rencontre. L’histoire est compromise. Quand le monde est rouge les dents ont un éclat particulier ; les tourterelles s’y risquent. Avec toi, tout est simple mais ré
    échi. Un l ténu rattache l’univers à ton poignet. Tout est grave, sauvé, blessé.

     

    XVI

    C’était ma douleur blanchie à la chaux. Tu patientes, étendue sur les feuilles recueillies. Il faut pouvoir ressembler au vent. Tu voles. Tu chantes. Je t’aime pour chaque branche.

     

    C’était un sourire sur nos doigts évreux. Une étrange silhouette détachée du soir : Elle découvrait, pour nous, le monde. Mais seule tu voyais.

     

    Je te crois, je t’inuence, je t’obéis. Un mur nous réunit. Jamais tu n’as le même visage.

     

    XXIV

    Les collines ont, aux chevilles, de nes blessures par lesquelles tu peux voir couler le sang de la terre. Toute plante est une plaie ! Rien que douleur mon amour ; mais tes seins déchirés, tes seins pendus aux arbres, c’est plus que l’on en peut supporter. Nos mains s’interrogent au-dessus des victimes, sœurs de l’eau ou du poignard. Les collines tentent d’en appeler aux étoiles. Nos yeux levés leur ressemblent. »

     

     

    Edmond Jabès
    Trois
    lles de mon quartier

     Imprimé par Guy Lévis Mano sur sa presse à 315 exemplaires, soit 15 (1 – 15) sur vélin du Marais & 300 (16 – 315 sur Alfama, plus 25 sur Alfama, signés par l’éditeur & réservés aux amis de GLM. Ex : 220

    GLM, 1948

  • Iean d’Indagine, « Physionomie par le regard des membres de l’homme »

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    De la Physionomie de la bouche, et de ce qu’on doit deviner en la regardant.

     

    Nous exposerons sous vne mesme description la Physionomie de la Bouche et des Levres. Or la Bouche est ou grande ou ouuerte, ou estroite. Celle qui est ouuerte, comme ont communément les Franconiens laffrus, signie l’homme estre audacieux, temeraire, impudique, menteur, affronteur, superu, et excessif en toutes choses, bruyant et raillard, et certes ie ne fus jamais nullement deceu en ce signe. Mais au contraire la bouche estroite, denote l’homme secret et posé, sobre, chaste, craintif, et liberal. Quant à la puanteur de la bouche et l’haleine, aussi des dents, nous la laissons aux Medecins, parce que cela est par eux tres amplement et diligemment declaré. On a trouué par expérience cecy estre vray, que ceux qui ont les levres menües ou petites et déliées, sont eloquens et parlent beaucoup, jaseurs, bien prevoyans les choses à venir, prudens et ayans bon esprit et entendement. Ceux qui ont les levres tres-grandes, et auxquels pend celle d’em-bas, en sorte que les dents apparoissent, sont lourdauts estourdis, gros sots, ausquels on ne peut rien apprendre, meschans, sales, excessifs en toutes choses, inconstans et mauuais. »

     

     Iean d’Indagine

     Physionomie par le regard des membres de l’hommetiré des Secrets merveilleux du Petit Albert— enrichie de figures

    30 exemplaires sur vélin du Marais, 1170 sur Alfama, chiffrés de 1 à 30 et de 31 à 1200, et, en plus, 25 sur Alfama marqués de A à Z signés par l’éditeur et réservés aux amis de GLM. Exemplaire 573

    GLM, août 1948

     L’orthographe de l’édition GLM a été respectée srcupuleusement.

  • Denis Roche, « Essais de littérature arrêtée. »

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    « 6 septembre 1980 (samedi). (…) Plus tard, je suis en train de ranger mon bureau. J’ouvre l’une des fenêtres de la verrière et, dans l’infime espace ainsi dévoilé dans la rainure dessous, je trouve un petit papillon de nuit gris, bien étalé, aux larges antennes lancéolées. Il bouge un peu, pas beaucoup. Je le mets dans la paume de ma main et je le laisse tomber au-dehors. Sur fond de verdure des arbres et de rougeur de la grande façade de brique de l’immeuble d’en face, dans l’air calme et tiède, je le regarde choir en vol plané, tournant lentement en décrivant des cercles simples. Il tombe dans la vieille cuvette en fer, reste de ce qui fut sans doute autrefois une brouette et qui sert de barbecue aux ouvriers dans la semaine, pour faire griller leurs côtes de mouton. Je laisse la fenêtre ouverte juste au-dessus, et la nuit tombée, je pense aux cendres grises dans la brouette et au papillon gris posé dessus.

    (…) »

     

     Denis Roche

    Essais de littérature arrêtée.

    Achevé d’imprimer en juillet 1981 sur la presse d’Alin Anseeuw à Catorive, à 123 exemplaires numérotés à la main, à savoir : 103 sur vélin et 20 exemplaires sur bouffant Argentine comportant une photographie originale de l’auteur. Exemplaire 12.

     Ecbolade, 1981

  • Laurent Debut, Dado, « Le Sable »

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    « En dessous de ce ciel

    s’ouvre, s’imagine

    l’accueil, l’empreinte

    d’une phrase morte :

     

     

    – Vous vous teniez là, ordonnant l’espace et le temps, en ce lieu où se réalise le livre, où le blanc s’est laissé ronger par la lettre, par cette nuit du sens au bout de laquelle nous nous effacions.

     

     

    Il ne reste rien dans la main

    que le sable issu

    de sable…

     

     

    La main dont je rêve

    s’avance avec des mots de persuasion,

     

     

    et s’éclaire du mot

    t e r r e. »

     

    Laurent Debut

    Le Sable

    60 exemplaires sur Rives,  numérotés de 1 à 60, imprimés par Thierry Bouchard, signés au colophon par l’auteur, comportant deux eaux-fortes de Dado, signées par le peintre. Exemplaire n° 36.
    Brandes, 1981

  • Christian Gabriel Guez Ricord — « Lettre à Colette Deblé »

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    «  J’ai habité votre fenêtre, tel pourrait être le début d’une lettre amoureuse ; si elle n’était vôtre, c’était du moins une fenêtre que j’ai habitée une nuit. Quelle chute y attendais-je ? La fenêtre serait le lieu limite de l’attente, celui qu’habitent folie et suicide. C’est pourquoi les fenêtres me fascinent, regards mais aussi abris quand on ne peut ni entrer ni se jeter dans le vide. Un monde qui n’est pas le monde et qui n’est pas non plus le non-monde de la transcendance, voici la fenêtre, lieu d’un vécu imaginaire et parfois dangereux. Ni être ni ne pas être, tel est le cri du fou coincé sur le rebord de la fenêtre et, passée l’anecdote, vos fenêtres sont aussi là pour être des lieux en soi, elles pourraient être les reliures d’un dernier cri comme la patène d’un rouge-gorge.

    Je veux célébrer en vous cette illumination d’un ordre qui est à côté, d’un espace différent, ni le haut ni le bas, d’un support qui tente l’impossible de sa situation objective comme définitive et, semble-t-il, soumise à un destin unique et immortel, être ouvert ou fermé. Vous avez peint le lieu de la poésie quand elle se souvient d’avoir bâti une demeure dans les temps, la nue du principe ; et d’y avoir veillé, dans l’attente de quelqu’un, la proximité de la flamme qui, près du lit des chambres, se réfléchit sur la vitre d’un silence improbable, que l’immobile retient comme l’impossible salut des nuits où le soleil ne se lève jamais. »

     

    Christian Gabriel Guez Ricord

    Lettre à Colette Deblé

    33 exemplaires accompagnés d’une gravure originale de Colette Deblé numérotés de 1 à 33 et 100 exemplaires numérotés de 34 à 133, tous signés par l’auteur, imprimés sur vélin d’Arches par Soulié, Atelier Breteuil à Marseille. Exemplaire n° 15.

    L’Atelier Blanc, 1979

     

    Note : Christian Gabriel Guez Ricord a donné à son prénom  la forme définitive Christian Gabrielle à partir de 1986

     

  • Emmanuel Hocquard, Raquel, « Du 1er janvier »

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    « Les champs décolorés et la chaleur aussi paraissaient sans limites.

     

     

    Sans violence. Jour après jour. Fixant la contrée dans ses habitudes et son isolement.
    Comptant les pas.

     

     

    C’est un murmure loin de l’été.

     

    Dans le froid, un petit feu qui réchauffe mal.

     

     

    Quand on va tomber de sommeil, le silence sépare du peu de bruit que font ceux qui parlent.

     

     

    Le costume lui-même devient un accident.

    Une étendue vide en forme d’arc-en-ciel.

     

     Emmanuel Hocquard

    Du 1er janvier

    avec une gouache de Raquel

     200 exemplaires sur vélin d’Arches, tous numérotés.

    Exemplaire n° 41, avec un envoi

     Orange Export Ltd, 1980

  • Michaël Glück, Anik Vinay, « Tour Aurore, place des Reflets »

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    I
    quai d’une gare

    l’attente d’un train

    la patience minutieuse

     

    les pas

    le long le large

    la geste des voyageurs

     

    les talons hauts

    près des valises

     

     

    VII

     

    la destination

    l’adresse de la langue

     

    une flaque d’eau

    un nuage entre les rails

    j’attends

     

    tu es là dans le jour »

     

    Michaël Glück

    Tour Aurore, place des Reflets

    avec une gravure d’Anik Vinay

    130 exemplaires numérotés et signés. Achevé d’imprimer en juillet 1987 par l’Atelier des Grames, 9e titre de la collection « Les Florets » animée par Gil Jouanard. Exemplaire : 35

    Atelier des Grames

     

  • Maurice Roche, Philippe Sollers, « Correspondance complète »

    J’ouvre aujourd’hui une nouvelle rubrique que j’intitule, en hommage à Walter Benjamin : Je déballe ma bibliothèque. On y trouvera quelques extraits et une image des livres rares que je range dans une grande bibliothèque noire et vitrée.

     

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    « Cher Roche,

    “Si la pierre tombe sur l’œuf,

    malheur à l’œuf.

    Si l’œuf tombe sur la pierre,

    malheur à l’œuf.”

    (Proverbe bulgare)

    Philippe Sollers

     

     

    Cher Sollers,

    “Quand on pédale dans le yaourt, on fait son beurre.”

    (Autre proverbe bulgare)

    Maurice Roche »

     

     

     Maurice Roche, Philippe Sollers

    Correspondance complète

    achevée d’imprimer le 31 décembre 1986 à 33 exemplaires  sur Pur Chiffon du Moulin de Larroque numérotés, ainsi que quelques H.C. Exemplaire : H.C

    Éditions Unes