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Œuvres complètes

  • Charles Cros, « La vie idéale »

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    Autoportrait de Charles Cros

     

    «  à May

    Une salle avec du feu, des bougies,

    Des soupers toujours servis, des guitares,

    Des fleurets, des fleurs, tous les tabacs rares,

    Où l’on causerait pourtant sans orgies.

     

    Au printemps lilas, roses et muguets,

    En été jasmins, œillets et tilleuls,

    Rempliraient la nuit du grand parc où, seuls

    Parfois, les rêveurs fuiraient les bruits gais.

     

    Les hommes seraient tous de bonne race,

    Dompteurs familiers des Muses hautaines,

    Et les femmes, sans cancans et sans haines,

    Illumineraient les soirs de leur grâce.

     

    Et l’on songerait, parmi ces parfums

    De bras, d’éventails, de fleurs, de peignoirs,

    De fins cheveux blonds, de lourds cheveux noirs,

    Aux pays lointains, aux siècles défunts. »

     

    Charles Cros

    Le coffret de santal — 1873

    in « Œuvres complètes »

    Jean-Jacques Pauvert, 1964

  • Tchouang-tseu, « … ils chassent le désordre social pour y substituer la violence »

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    « Jadis, lors de l’avènement des Tcheou, il y avait deux gentilshommes qui vivaient dans la principauté orientale de Kou-tchou, Po Yi et Chou-ts’i. Ils se dirent : “On rapporte qu’à l’Ouest règne un homme qui semble posséder le Tao. Essayons d’aller le voir.”

    Quand ils furent arrivés au sud du mont Ki (où se trouvait la capitale des Tcheou), le roi Wou les fit recevoir par son frère Tan qui leur dit : “Nous vous proposons des revenus qui ne seront seconds qu’après ceux de la famille royale et des charges de premier ordre. Convenez-en par un serment scellé au sang de bœuf et que nous enterrerons.”

    Les deux frères s’entre-regardèrent et dirent en riant : “Oh ! que c’est étrange ! cela ne répond pas à ce que nous appelons le Tao. Jadis Chen-nong, lorsqu’on possédait le monde, manifestait sa dévotion lors des sacrifices saisonniers sans demander aux dieux aucune faveur particulière. Il traitait les hommes en toute loyauté et en toute confiance sans rien leur demander en retour. Il n’étendait son gouvernement et son régime qu’aux peuples qui voulaient s’y soumettre de bon cœur. Il ne cherchait pas à cueillir le succès sur la ruine d’autrui ; il ne cherchait pas à faire ressortir sa supériorité par l’infériorité d’autrui ; il ne cherchait pas à profiter de l’occasion pour son propre profit. Or, maintenant les Tcheou, voyant le désordre où étaient tombés les Yin, tâchent d’imposer soudain leur gouvernement. En haut règne l’intrigue, en bas la corruption. Ils comptent sur les armes pour protéger leur prestige ; ils tuent les animaux pour sceller les serments ; ils vantent leurs bienfaits pour plaire au peuple ; ils attaquent leurs voisins pour s’enrichir. En un mot, ils chassent le désordre social pour y substituer la violence.

    “Nous avons entendu dire qu’en temps d’ordre, les Anciens n’esquivaient pas les charges, mais qu’en temps de désordre ils ne faisaient rien pour se maintenir en place. Actuellement le monde est dans les ténèbres ; la vertu des Tcheou est en décadence. Mieux vaut nous retirer pour rester pur que de nous salir au contact des usurpateurs.”

    Cette détermination prise, les deux frères allèrent vers le nord jusqu’au mont Cheou-yang où ils moururent de faim.

    Des gens comme Po Yi et Chou-ts’i, si la richesse et les honneurs leur sont offerts, se gardent de toute conduite perverse dissimulée sous des dehors d’intégrité. Ils ne se plaisent qu’à leur propre idéal et ne s’asservissent point au monde, telle est l’intégrité de ces deux gentilshommes. »

     

    Tchouang-tseu – IVe siècle av. J.-C.

    Extrait du chapitre XXVIII « Les rois qui abdiquent »

    In Œuvres complètes

    Traduit du chinois, préfacé et annoté par Liou Kia-hway

    Gallimard/unesco, 1969, rééd. Folio essais n°556, 2014

  • Tchouang-tseu, « …un vieil homme qui nageait dans les remous… »

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    Ike no Taiga – 1723-1776 – , Tchouang-tseu rêvant d’un papillon, ou un papillon rêvant de Tchouang-tseu

     

    « Confucius admirait la cataracte de Liu-leang dont la chute mesurait trente toises et dont l’écume s’étendait sur quarante stades. Dans cette écume, ni tortue géante, ni caïman, ni poisson, ni trionyx ne pouvaient s’ébattre. Soudain, Confucius vit un vieil homme qui nageait dans les remous. Le prenant pour un désespéré, il donna l’ordre à ses disciples de suivre la berge et de le retirer de l’eau. À quelques centaines de pas plus bas, l’homme sortit de l’eau par ses propres moyens. Les cheveux épars et tout en chantant il se promena au bas du talus. Confucius l’ayant rejoint, lui dit : “J’ai failli vous prendre pour un esprit, mais je vois que vous êtes un homme. Permettez-moi de vous demander quelle est votre méthode pour pouvoir nager si aisément dans l’eau.

    – Je n’ai pas de méthode spéciale, répondit l’homme. J’ai débuté par accoutumance ; puis cela est devenu comme une nature ; puis comme mon destin. Je descends avec les tourbillons et remonte avec les remous. J’obéis au mouvement de l’eau, non à ma propre volonté. C’est ainsi que j’arrive à nager si aisément dans l’eau.

    – Que voulez-vous dire, demanda Confucius, par les phrases suivantes : j’ai débuté par accoutumance ; je me suis perfectionné naturellement ; cela m’est devenu aussi naturel que mon destin ?

    – Je suis né dans les collines, répondit-il, et j’ai vécu à l’aise, c’est l’accoutumance ; j’ai grandi dans l’eau et je m’y trouve à l’aise, c’est la nature ; je nage ainsi sans savoir comment, c’est le destin. »

     

    Tchouang-tseu – IVe siècle av. J.-C.

    Extrait du chapitre XIX de « Avoir une pleine compréhension de la vie »

    In Œuvres complètes

    Traduit du chinois, préfacé et annoté par Liou Kia-hway

    Gallimard/unesco, 1969, rééd. Folio essais n°556, 2014