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  • Antoine Wauters, un sprint heureux

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    Antoine Wauters à la Machine à Lire, le 20 septembre 2023

    par Hélène des Ligneris, avec son amicale autorisation

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    à propos de Le plus court chemin, Antoine Wauters,

    14x21 cm, 256 p., éditions Verdier, 19,50 €

     

    Depuis la lecture de Césarine de nuit chez Cheyne éditeur, en 2012, je n’ai pas laissé passer un seul livre d’Antoine Wauters.

    C’est dire si d’année en année je lis avec la meilleure attention ses livres, suis son travail d’aussi près que possible. Ainsi lors de l’ouverture de ce Le plus court chemin le jour de son arrivée, le 27 mai, j’ai été frappé par la disposition, brèves pages comme dans Césarine de nuit & Sylvia, et puis très vite en le lisant j’ai songé aussi, sous une autre forme à Pense aux pierres sous tes pas (Verdier, 2018) surtout dans sa première partie. Oui, pensons aux pierres sous nos pas pour emprunter ce plus court chemin, épatant cheminement à travers l’enfance, l’enfance de l’écriture, les souvenirs et ce que l’on en fait, cette tentative de restitution d’un monde pour ainsi dire disparu, inconnu certainement en grandes parties aux plus jeunes de ses lecteurs, et qui, paradoxalement malgré les nombreuses années qui nous séparent n’est pas bien loin du mien, ce qui me laisse à penser que les changements s’accélèrent sans cesse et dangereusement.

    Pensons aux pierres sous nos pas, elles sont suffisamment solides et neuves encore d’être si anciennes pour nous permettre de nous glisser un peu dans ses pas, dans ceux de cette narration fine, sobrement efficace, et pourtant toute entachée de ce lyrisme très spécifique à l’écriture d’Antoine Wauters et ce depuis le début — on ne devient pas l’écrivain tant aimé sans faire un peu vibrer, rêver, pleurer et toutes ces sortes de choses — lyrisme, ce n’est pas un gros mot, n’est-ce pas —, car attraper les souvenirs c’est en quelque sorte attraper le temps, mais quel serait dès lors le temps le plus heureux, et le temps d’hier serait-il possiblement plus heureux que celui du jour, lequel serait le plus présent, ce temps qui de quelque façon qu’il le conjugue aurait permis donc le livre le plus heureux qu’il a écrit.

    Ce serait donc un livre d’apprentissage, de préapprentissage pour ainsi dire, un livre écrit sans rien savoir des trucs, des ficelles, qu’on apprend au fur et à mesure que l’on avance dans les livres et dont il aurait au moins tenter de te débarrasser — on tente le coup à chaque fois et il faut reprendre sans cesse, une vue de l’esprit. Je ne perds pas de vue que le premier livre d’Antoine s’intitule Debout sur la langue (maelstrÖm reEvolution, 2008) et qu’il a obtenu le Prix Goncourt de la nouvelle pour Le Musée des contradictions (éditions du Sous-Sol, 2022), je ne l’oublie d’autant moins que ces deux titres forment tout un programme.

    Ce serait aussi une douce nostalgie, un appel à ceux qui ont fondés nos vies ­— les vivants et les morts : Papa, Maman, Papou & Nènène, Pépé & Mémé, Charles, Lorraine. Et ils répondent présents à tous les temps de la vie, encourageants, vifs, écrivant des lettres magnifiques, donnant l’allant qu’il faut au petit gars, dans ces temps où l’argent n’est pas tout, où l’on porte les vêtements jusqu’au bout et où on fait ressemeler les chaussures, ce temps n’est pourtant pas si lointain — Antoine Wauters est né en 1981 —, et ce temps il le rend élastique, allant d’hier aujourd’hui avec le naturel d’un qui dit « j’écris sans réfléchir », tout en sachant  « se traverser de part en part en acceptant tout ce que l’on croisera, tout ce que l’on touchera du doigt et que l’on entendra. Même ce qu’il y a de plus terrible. Car cela, il faudra parvenir à l’aimer. »

    Ce serait donc ce livre-là, livre de sons, d’odeurs, de choses vues, ces sensations  instinctives sans apprentissage, pas vraiment besoin de décoder, la joie, la peur, le rire, les pleurs, le cœur qui bat parce qu’on sprinte tout le temps ­— c’est fou ce qu’un gamin peut courir, n’est-ce pas —, et que l’écrivain – « je n’écris pas ce livre je le sprinte » – qui retrouve des bribes de tout cela marche maintenant quand il n’écrit pas… et peut-être même s’affuble-t-il d’autre nom pendant le travail de l’écriture, chaque jour après la lecture sans laquelle rien ne serait possible. Ces noms qui pourraient être du genre : Anton Libermans, Evgueni Sakomatov, que sais-je.

    Alors on ouvre les yeux et il nous apparaît bien qu’il fait comme ça parce qu’il n’est pas un « poing serré », non, bel et bien un poète quoi qu’il écrive, un poète avec un complexe campagnard mais le poète sait le manque, après la fracture, après la faille, c’est maintenant que vient l’écriture, qui saurait nommer ce qui est peut-être innommable mais que l’on perçoit de l’autre chemin, l’opposé, peut-être pas le plus court, donc, et que l’on a toujours peur de ne pas vivre assez.

     

    Claude Chambard

  • Antoine Wauters, « Pense aux pierres sous tes pas »

    antoine wauters,pense aux pierres sous tes pas,verdier

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    «  […] à l’insu de Paps et Mams, une drôle de langue poussait en nous, en réaction à leur langue à eux, qui rétrécissait tout : “S’aimer trop fort abrège la vie, dessèche le corps, réduit le cerveau, détruit les yeux.” ; « la recherche du plaisir est un pêché mortel” ; “Travaille, idiote !” ; “Plus vite, allez !”

    Ravis par elle, cette langue qui n’était pas autre chose qu’un chant, et parfois simplement des cris en écho aux cloches de l’église de Barbaragia, le village voisin, on se propulsait dans la lumière, près des arbres et de ces champs de blé noir où on avait pris l’habitude de se cacher d’eux, je veux dire de nos bourreaux.

    Et puis grâce à cette langue, j’avais beau ne pas voir les arpents de terre que Marcio parcourait, serpe à la main, n’avoir vue que sur des piles de linge et des tas de poussière, je savais qu’il était là. Je le sentais. À chaque seconde. Même là, dans l’étroitesse de la cuisine, avec Mams collée à mes basques, il était là. Il respirait en moi et suait avec moi, tant il est vrai qu’on n’avait droit à aucun repos.

    Allez comprendre ceci : toute notre enfance, on vécut dans un temps hors du temps, où l’espoir enjambait le mal.

    Le soir, on se retrouvait dans les ravines où on se jetait avec Zbabou qui nous regardait nous toucher l’entrejambe et, parfois, quand on le lui demandait, nous bourrait le slip de tout un tas de petites choses qu’on aimait follement, comme des épines, des orvets, du bois flotté, mouillé, des coquilles, de la boue, des salives. On avait besoin, au contact de ces choses, de préserver notre corps, sa lumière, sa beauté. Et de se laver de tous ces mots que Paps et Mams nous enfonçaient dans le crâne pour qu’on arrive – c’est ce qu’ils disaient – à devenir quelqu’un. Des travailleurs, des gens biens.

    La nuit, dans le silence de la ferme, on se racontait des choses, des espèces de poèmes :

    – La tristesse est un mur élevé entre deux jardins, disait Marcio. Nous aussi on aura notre jardin, ma sœur. Nous aussi on y arrivera, à être heureux. […] »

     

    Antoine Wauters

    Pense aux pierres sous tes pas

    Verdier, 2018

    https://editions-verdier.fr/livre/pense-aux-pierres-2/

  • Antoine Wauters, « Sylvia »

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    « Écrire dis-tu, mais à mi-mots, tout bas, pour qu’entre nous quelque chose soit, quelque chose reste qui, lui, ne mourra pas. Un lien. Une mémoire. Fragile.

    Et chaque mot que j’écris veut ça : que ce qui s’achemine et court ou même le en droite ligne jusqu’à l’évanescence, ne s’efface tout à fait et reste, même gommé, blanchi ou légèrement jauni, à l’intérieur de moi. En moi. Comme odeur qui s’accroche, intacte, à vos vêtements : slips, chapeau, blazer, pantalons et chemises qui, je le crains, niront bientôt dans de grands sacs plastiques à fermeture Éclair, à moins que je ne les porte moi-même – je les porte moi-même.

    Et chaque mot que j’écris – qui me maintient en vie et dans le même temps m’éloigne de la vie – me rapproche de vous. De toi Charles et de ton corps Armand, maintenant plus mince qu’un ballot de paille, un corps de petite lle ou la moitié du mien, corps vivant qui reste là : à moitié inconscient, ottant et ou, perdu et sans mémoire comme sont perdus et sans mémoire tes propres personnages, Sylvia. »

     

    Antoine Wauters

    Sylvia

    Coll. Grands fonds, Cheyne éditeur, 2014