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  • Tanikawa Shuntarô, « Le vert des herbes folles »

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    DR

     

    « Quand je promène un œil distrait sur le vert des allées envahies d’herbes folles, je suis tenté de tout prendre à la légère

    La vieille, têtue comme une mule, mourra un jour elle aussi

    Ce que je pourrais faire pour elle ne pèse pas lourd dans la balance

    On traîne dès la naissance le fardeau du karma, et personne n’y peut rien

     

    Or, quand je me figure l’enfance de cette vieille,

    quand je l’imagine, sous les coups de trique de la marâtre, qui va puiser de l’eau,

    les poèmes que j’écris m’apparaissent comme de simples tentatives

    Aux yeux de la vieille, tout ce que j’écris ne vaut pas plus qu’un maigre bol de riz

    Ça ne l’empêche pas de me féliciter en caressant chacun de mes nouveaux recueils

     

    Supposons (ce qui a peu de chances de se produire)

    que je puisse décrire dans un poème l’état de cette vieille à bout de forces

    Alors, il cesserait d’être un état pour devenir de la poésie

    Rien de plus qu’un soupir poussé, de très loin, par un homme sans la moindre attache avec elle

     

    Ce que je dis est bizarre, mais moi, toujours en quête

    de poésie, je suis pareil à cette vieille

    Si j’éprouve de la joie à lire des poèmes c’est uniquement

    parce qu’ils me permettent de m’oublier

    Quand je reviens à moi, je ne suis qu’un être vivant, un homme incorrigible

     

    Si on doit tout prendre à la légère, autant aller se pendre pour en finir dit la vieille

    Promenant un œil distrait sur le vert des herbes folles qui se fane à mesure que le soir tombe

    je me sens basculer dans l’ivresse de la nuit sans pitié »

     

    Tanikawa Shuntarô

    L’Ignare

    Traduit du japonais et préfacé par Dominique Palmé

    Bilingue

    Coll. D’une voix l’autre, Cheyne, 2014

  • Fabio Pusterla, « Le merle »

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    DR

     

    « À la clarté de l’aube

    s’il siffle,

    et si le jour n’est pas plus

    qu’une fente grise à l’intérieur du froid,

    personne ne peut l’entendre : dans le garage

    il fait encore nuit. Sursauts de tôle,

    sporadiques. Drapeaux bleus immobiles.

    Sur la glace,

    un souffle de vent passe, presque un frisson,

    un câble d’acier bat. Et s’il fouille

    dans le noir des plumes avec le bec, s’il cherche

    entre les cailloux une miette, un fil d’herbe verte

    peinant dans la fissure,

    regarde-le, regarde mieux : voilà, un moteur

    tousse derrière le coin,

    l’épuisement dure, ponctuel, opiniâtre. Mais le merle

    sautille, lève la tête,

    s’envole. »

     

    Fabio Pusterla

    Deux rives

    Traduit de l’italien par Béatrice de Jurquet & Philippe Jaccottet

    Préface de Béatrice de Jurquet

    Postface de l’auteur

    Bilingue

    Coll. D’une voix l’autre, Cheyne, 2002

    http://www.cheyne-editeur.com/index.php/d-une-voix-l-autre/184-deux-rives

  • Claude Tasserit, « Derniers gestes »

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    © : Claude Chambard

     

    «    effacer, effacer

       il cherchait d’autres mots et ne les trouvait pas

       les mots de la révolte et de l’indignation liales, et proclamés avec un soufe tel, que ceux de la sécheresse et du dédain en auraient été lavés, emportés, submergés, oubliés

       les mots d’une dénégation si claire, qu’à l’indifférence aussitôt eût succédé l’inquiétude, à l’arrogance le désarroi, au mépris la prière

       paroles secondes dont l’ardeur eût éloigné son père de ce désir de mort, de la même façon que les premières l’en avaient rapproché

       et il guettait ces mots nouveaux, les recherchait de tout son corps debout, près de cet autre corps lové qu’il avait voulu dénouer, et il les attendait, mais ses lèvres étaient comme ce corps enroulé près de lui, elles demeuraient tournées vers le dedans, aspirées par son ventre, scellés par sa bouche

       il y avait eu ce poids dont il s’était défait trop vite, quelque chose de trop fort et qui continuait à la faire vaciller, malgré cette impression d’aplomb hautain qu’il avait pu donner

       et de son corps à lui, plus rien ne sortirait que ce silence, cette rancœur, qui n’en nissait pas, alors qu’il lui tournait le dos et peu à peu se séparait de lui »

     

    Claude Tasserit

    Derniers gestes

    Coll. Grands fonds, Cheyne éditeur, 1999