dimanche, 05 novembre 2017
Fernando Pessoa, « Le Livre de l’intranquillité »
« Si notre vie pouvait se passer éternellement à la fenêtre, et si nous pouvions rester ainsi, tel un panache de fumée immobile, et vivre à jamais le même instant crépusculaire venant endolorir la courbe des collines… Si seulement nous pouvions demeurer ainsi, jusqu’au-delà de toujours ! Si au moins, en deçà de cette impossibilité, nous pouvions rester ainsi, sans commettre une seule action, ni permettre à nos lèvres pâlies de pécher d’un seul mot !
Vois comme tout s’assombrit… Le calme positif du monde me remplit de fureur, d’une sorte d’arrière-goût qui gâche la saveur du désir… Mon âme me fait mal… Un trait de fumée s’élève et se disperse au loin… Un ennui anxieux détourne mes pensées de toi…
Que tout est donc superflu ! Nous, le monde, et puis le mystère de l’un et de l’autre. »
Fernando Pessoa (Bernado Soares)
Le livre de l’intranquillité – volume II
Traduit du portugais par Françoise Laye
Présenté par Robert Bréchon
Christian Bourgois, 1992
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mardi, 13 juin 2017
Fernando Pessoa, « Le livre de l’intranquillité »
DR
« Depuis cette terrasse de café, je contemple la vie en frémissant. J’en vois bien peu — elle, cette éparpillée — concentrée ici sur cette place nette et bien à moi. Un marasme, semblable à un début de saoulerie, m’élucide l’âme sur bien des choses. En dehors de moi, j’entends s’écouler, dans les pas des passants, la vie évidente et unanime.
En cette heure-ci, mes sens se sont figés et tout me paraît différent — mes sensations sont une erreur, confuse et lucide tout à la fois, je bats des ailes mais sans bouger, tel un condor imaginaire.
Pour l’homme vivant d’idéal que je suis, qui sait si ma plus vive aspiration n’est pas réellement de rester simplement ici, assis à cette table, à cette terrasse de café ?
Tout est aussi vain que de remuer des cendres, aussi vague que l’heure où ce n’est pas encore le point du jour.
Et la lumière jaillit, se pose si sereinement, si parfaitement sur les choses, elle les dore d’une telle réalité, souriante et triste ! Tout le mystère du monde descend jusqu’à mon regard, pour se sculpter en banalité, en spectacle de la rue.
Ah ! comme le quotidien frôle le mystère, si près de nous ! Montant à la surface, touchée par la lumière, de cette vie complexe et humaine, comme l’Heure au sourire indécis monte aux lèvres du Mystère ! Comme tout cela vous a un air moderne ! Et, au fond, que tout cela est ancien, est occulte, et tout imprégné d’un autre sens que celui qu’on entrevoit luire en toute chose ! »
Fernando Pessoa – Bernardo Soares
Le livre de l’intranquillité, volume II
Traduit du portugais par Françoise Laye
Présenté par Robert Bréchon
Christian Bourgois, 1992
Fernando Pessoa est né le 13 juin 1888 à Lisbonne.
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jeudi, 04 décembre 2014
Fernando Pessoa, « Le livre de l’intranquillité »
« Perdre son temps relève d’une certaine esthétique. Pour les subtils de la sensation, il existe un formulaire de l’inertie qui comporte des recettes pour toutes les formes de lucidité. La stratégie mise en œuvre pour combattre la notion de convention sociale, les impulsions de nos instincts, les sollicitations du sentiment, exige une étude approfondie dont le premier esthète venu est tout à fait incapable. Une étiologie rigoureuse des scrupules doit être suivie d’un diagnostic ironique de notre servilité à l’égard de la norme. Il importe aussi de cultiver notre adresse à éviter les intrusions de la vie ; un soin doit nous cuirasser contre notre sensibilité à l’opinion d’autrui, et une molle indifférence nous matelasser l’âme contre les coups de la coexistence avec les autres. »
Fernando Pessoa (Bernardo Soares)
Le livre de l’intranquillité, volume II
Traduit du portugais par Françoise Laye
Christian Bourgois,1992, rééd, 1998
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