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  • Séverine Jouve, « Les chercheurs de lumière »

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    DR

     

    « La bibliothèque représentait pour moi bien davantage qu’un simple outil de recherche. Et je pensai aux différentes façons de l’aborder et d’en vivre le rayonnement. Je ne parle pas de cette recherche distraite et furtive d’un livre qui, sans vraie exigence, n’est qu’un vain refus de l’ennui. Mais de l’attente instinctive, espérée comme un vœu qui, sans objet préconçu, nécessite une forme de ferveur. Trouver ce que l’on attendait sans ne rien en attendre au préalable, voilà bien la vraie rencontre, à laquelle il importe peu de donner sens.

    Adossé au monde, le Pavillon des livres est un espace isolé et circonscrit, mais qui n’entend pas se priver des pulsions de l’existence. À sa porte tombe toute rumeur, mais il appelle le même silence chuchotant que le jardin clos.

    Le Pavillon des livres est bien davantage qu’une destination, comme le sont la terrasse aux aromates ou la chambre des armoires. Il est laboratoire et non simple réservoir. Mûrement réfléchi, corrigé comme l’épreuve par la main du poète, il est cet univers de la vie intense et lente, condensé jusqu’à l’expression d’une vérité particulière, mais propre à chacun.

    Le Pavillon des livres représente l’illusion nécessaire pour qui veut connaître l’infinie patience du désert. Édifié en marge, il symbolise cette mise à l’écart de soi que suppose toute création. Il ouvre à la possibilité du pur cheminement qui s’entreprend en solitaire – et avec obstination –, contre le mutisme du monde.

    Le Pavillon des livres est une architecture édifiée avec des mots, inutile à “l’homme du monde” mais nécessaire à celui qui a choisi de vivre sa vie jusqu’au dépassement. Il est cet espace risqué du retranchement où s’annulent temps et histoire. Il est cette chambre où se concentre le désir mais où s’accentue la dispersion. »

     

    Séverine Jouve

    Les chercheurs de lumière Révolutions minuscules

    Préface de François Dominique

    Coll. Amarante, L’Harmattan, 2018

  • Louis Zukofsky, “A”

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    DR

     

    « L’ordre muet du monde.

    La mort façonne

    Nos idées — on dirait un suc

    Infime et virtuel — l’abeille butine et fertilise.

    L’amitié n’est pas si douce.

    Mais après soixante ans de

    Lampes à incandescence

    Le verre coule toujours comme du miel

    Ou se pétrifie en forme de

    Sucres d’orge que les enfants adorent —

    Du véritable verre

    Pour ainsi dire,

    Qui fond dans la bouche

    Comme sous la pluie —

    Leur frimousse gelée

    S’enflamme pour longtemps

     

     

    Telles parcelles d’inventions :

    Oreille moisie, as-tu des yeux ?

    Ne parlez plus d’amour,

    La liesse des grands jours

    Ne coule plus dans le sang ?

    La bonté meurt — ça arrive —

    Elle en a trop fait.

    L’amour donne sans compter,

    Il voit avec l’esprit, pas avec les yeux

                                               — il est aveugle.

     

     

    Une voix : d’abord le corps —

    Parle de tous les amours ! »

     

    Louis Zukofsky

    “A” (section 12)

    Traduit de l’anglais (États Unis) par Serge Gavronsky et François Dominique

    Coll. Ulysse Fin de Siècle, Éditions Virgile, 2003

    http://www.editions-virgile.com/

  • François Dominique, « Délicates sorcières »

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    FD, bibliothèque Mériadeck de Bordeaux, 2 décembre 2015. DR

     

    « La Bibliothèque de Harvard, aux Etats-Unis, possède trois livres reliés de peau humaine. Le plus ancien date du dix-septième siècle ; il est intitulé Practicarum Quaestionum circa Legies Regias Hispaniae et fut relié avec la peau d’un homme écorché vif en 1632. L’auteur explique dans une préface que la reliure est un hommage fraternel à cette malheureuse victime de l’Inquisition.

    Le second est le livre d’Arsène Houssaye (ami de Nerval, auquel fut dédié La Bohème galante). Il s’intitule Des destinées de l’âme et fut relié au dix-neuvième siècle avec une peau prélevée sur une patiente morte dans un asile psychiatrique.

    La plupart des livres qui existent dans le monde sont consacrés à des auteurs morts, et la plupart des auteurs vivants nourrissent l’ambition secrète d’être reconnus à titre posthume, ce qui les rattache par avance à l’immense cohorte des défunts. C’est tout.

    Au fond, les seuls vivants sont les lecteurs ; d’ailleurs, ne possèdent-ils pas le privilège immense de donner vie par la lecture aux millions de pages qui reposent dans l’ombre ? Ils alimentent ainsi leur propre vie de pensées et de rêves, selon une voie intime. Les lecteurs appartiennent donc au présent de la vie, plus que les écrivains.

    On peut envisager le “livre vivant” de bien des façons. Dans la belle histoire de l’Éducation Populaire en France, la lecture publique fut l’objet d’un soin attentif, fondé sur la rencontre et le partage – à cent lieues de ce qui devint “la société du spectacle”.

    Mais le lecteur de ces pages-ci ne sera pas étonné d’apprendre que le livre est aussi un territoire où se côtoient les revenants et bien d’autres personnes imaginaires dont la fréquentation n’est pas sans danger. Il n’aura besoin de croire ni à dieu ni à diable pour convaincre aisément, au contact de certains ouvrages, que la frontière entre réel et fiction est des plus incertaines. »

     

    François Dominique

    Délicates sorcières

    Champ Vallon, 2017

    http://www.champ-vallon.com/

  • François Dominique, « Tournoyer avec Roger Laporte »

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    Roger Laporte & François Dominique

     

    « La lecture de Une vie, biographie est censée nous révéler (non au sens mystique, mais comme la révélation d’un négatif en photographie) qu’une certaine modalité d’ÉCRIRE permet d’accéder, non pas au monde du vivant en général, mais à la forme de vie générée par l’écriture. Pas même le Christ, qui n’a jamais écrit durant sa courte vie qu’une seule phrase sur le sable, n’envisageait la vie, précaire ou éternelle, comme le produit de l’acte d’écrire… et les “Écritures” des apôtres n’ont jamais prétendu être une sorte de “Le Livre s’est fait chair”, Roger Laporte, lui, démiurge ou Don Quichotte, n’envisage que cela : écrire pour accéder à “une” vie suréminente : “J’irai de ce côté, jamais d’un autre”. Alors ? “Folie d’écrire”, comme le disait Blanchot parlant de Hölderlin, de Kafka et de… Laporte (article de Libération, 6 mars 1986) ? Oui, mais patience…

    Au lecteur de relancer les dés et la mise, de voyager à ses frais, d’explorer à ses risques et périls. À cet égard, Une vie, biographie s’inscrit comme un jalon sur un parcours dont le terme n’est jamais fixé par avance. Ainsi, Roger Laporte écrivait dans Fugue – Supplément, en 1973 :

    Appeler Biographie un ouvrage qui pourtant ne relate rien de ma vie d’homme comme telle, où il est seulement question d’écrire, c’est affirmer qu’une certaine vie n’est ni antérieure, ni extérieure à écrire, qu’on ne saurait donc connaître cette vie-là autrement qu’en écrivant. Biographie n’est donc pas un pur contenu : même ce mot, surtout ce mot, n’a tout son pouvoir qu’en liaison concrète avec ce qu’il implique : la vie économique de l’entreprise littéraire. Je crois que toute consommation passive de l’ouvrage que j’écris est impossible ; j’ose espérer que sa lecture, loin d’assouvir l’appétit, éveille le désir d’écrire et, à la limite, j’aimerais que cet ouvrage soit seulement scriptible, tel donc que seul un scripteur, du moins virtuel, puisse en faire la lecture.

    Dix ans plus tard, la même exigence s’affirme, avec la plus grande concision, dans Moriendo : “Poursuivre – Poursuivre : silencieuse injonction à laquelle plus tard d’autres répondront.”

    Il ne s’agit évidemment pas de susciter des zélotes ni des épigones : voilà ce qui pourrait arriver de pire à une œuvre de cette envergure. Je veux seulement dire que, nous autres, en qualité de lecteurs, ne sommes pas seulement tenus par l’amitié ; nous devons observer la façon dont le texte agit sur nous, dans une dynamique : vivre-lire-écrire-vivre… »

     

    François Dominique
    Tournoyer avec Roger Laporte
    Fata Morgana, 2016

  • François Dominique, « Dans la chambre d’Iselle »

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    « Lucy m’observe avec un sourire moqueur : “Souviens-toi, au début, quand nous n’étions pas sûrs d’avoir un enfant… – Oui, nous disions que si nous parvenions à faire cet enfant, il valait mieux attendre la naissance pour trouver un nom. – Nous disions Il ou Elle, et moi j’aimais dire L’Enfant… – Et puis, nous avons dit : si c’est un garçon, il s’appellera Ilan ; Ilan est l’arbre de vie en hébreu. Une fille ? Elle s’appellera Ella. – Mais Franck, tant que nous ne savions pas, c’était Ilelle, que tu as changé en Ilèle. J’ai du mal avec ce nom androgyne, parce que j’ai rêvé que notre fille naissait avec une peau rose et lisse entre les jambes, comme ces poupées en plastique que nos lointains aïeux offraient à leurs enfants. Je ne veux pas d’un enfant asexué.”

    Nous regardons par la fenêtre la course lente des nuages. Lucy caresse mes lèvres du bout des doigts. “Franck, je pense à un autre nom… Ce serait Iselle. – Où as-tu déniché ce nom ? – Dans un rêve de la nuit dernière… – Que veux-tu dire ? – J’ai rêvé que j’étais à la fête des Enfants nouveaux. Il y avait une ronde autour d ‘un feu de joie. Des enfants sont en train de brûler le bonhomme hiver. La ronde tourne de plus en plus vite, jusqu’à épuisement des enfants qui s’endorment autour du brasier. Une fille ne dort pas ; elle regarde le brasier qui s’éteint. Je m’approche et lui demande son nom. Elle tend la main vers les cendres brûlantes. À ce moment précis, je vois s’élever des cendres les premières fleurs du printemps ; la chaleur ne les blesse pas, elles sont colorées, intactes : des primevères et des crocus. La fille se tourne vers moi et dit : C’est le Gisement des Noms, vous n’avez qu’à choisir ! Regardez bien, fermez les yeux, rêvez à des noms, ouvrez les yeux. J’obéis. Je m’endors, je rêve et me réveille dans mon rêve : plus de fille, plus de cendres, plus de fleurs, mais une vaste forêt claire. Je suis debout sous un arbre. Le vent agite les branches ; le bruissement des feuillages se change en voix, en mots, une litanie de noms inconnus ; et là, je me réveille tout à fait avec un seul nom au bord des lèvres : Iselle. – J’envie ton rêve, Lucy. Je suis d’accord, notre fille s’appellera Iselle : je vais composer une berceuse sur les lettres de ce nouveau nom, i. s. e. l. l. e.” »

    François Dominique

    Dans la chambre d’Iselle

    Verdier, 2015

  • François Dominique, « À présent — Louis-René des Forêts »

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    « L’écriture silencieuse, et non tapageuse, dont sont tissés certains livres n’a de sens qu’en raison d’un fait dont aucune mémoire n’a le souvenir explicite : on nous a “appris à parler”, ce qui suppose la double épreuve d’entendre et de répondre, dont l’origine s’efface, ou plutôt nous devient inaudible. Mais la recherche de l’origine, dans ces livres-là, devient le ressort secret  de la quête du sens.

     

    Cette simple vérité est si peu connue que l’écriture dans son usage le plus courant, dans ces expressions sociales, dans ses parades frivoles ou prétentieuses, s’emploie à détruire l’enfance dont elle procède pour cimenter des rapports “adultes” de sujétion et de possession déterminés par les rapports d’existence.

     

    Est-ce que la littérature ne serait pas, ne devrait pas être une sorte de contre-écriture pour réapprendre à parler ? Pour combler la perte de l’origine ? Pour combler un manque ?

     

    En écrivant ceci, j’entends cet enfant qui chante, l’enfant qui se dresse dans Une mémoire démentielle*, contre les camarades trop cruels, les maîtres injustement sévères et contre l’accusation de mentir : “C’est sa propre gloire qu’il clame à pleine gorge, comme si ce qu’elle criait au ciel était félicité faite pour durer toujours.” »

     

    François Dominique

     À présent — Louis-René des Forêts 

     Mercure de France, 2013

     

    * Une mémoire démentielle est le quatrième récit de La Chambre des enfants de Louis-René des Forêts.

  • François Dominique, "Solène"

    arton26442-41073.jpg« Si vous m’entendez, c’est que je serai morte depuis longtemps. »

    Nous l’entendons Solène, mais je ne la crois pas morte pour autant. Elle vit, près de Lyon, sur les hauteurs, dans une grande maison, entourée d’un parc — étang, arbres & potager, bêtes… —, avec ses trois frères & ses parents. Elle vit, elle est vivante dans un temps indéterminé qui est peut-être celui qui suit une catastrophe ou plus simplement encore celui dans lequel nous nous débattons & qui est une catastrophe en soi. En tous cas dans le temps de la narration qui nous embarque dans le cerveau d’une petite fille qui entend peut-être ce que nous pensons. Nous lisons ses pensées sur la page, nous assistons à ses activités, ses rapports aux autres, à sa famille, au monde de l’autre côté des murs des Lisières, à ce qu’elle veut bien nous confier — à nous d’un temps qui serait postérieur au sien si nous l’en croyons — par la grâce de François Dominique qui écrit là un des livres les plus surprenants, les plus attachants, les plus déroutants, un petit événement dont on a peur qu’il passe inaperçu au milieu de l’agitation de cette rentrée éprouvante.

    Le monde selon Solène, le périmètre dans lequel elle nous entraîne, est empli de végétation, de bêtes & d’inconnu(s) : les ombres létales, les Ravagés & les Blafards… ce n’est pas un monde tranquille. Pourtant, au cœur des Lisières, la famille survit, chacun s’occupe de ses affaires, de ses mystères. Le père médecin, la mère musicienne, les grands frères Nick & Rob, le plus jeune Ludo qui est très proche de la petite fille — ils dorment d’ailleurs dans la même chambre — forment une famille, mais une famille dans laquelle chacun à le sens de sa propre individualité & où chacun pour ainsi dire se méfie de l’autre.

    Tout en haut, sous les combles, au sommet d’un escalier plaintif, il ya a cette chambre blanche énigmatique dans laquelle tout va se précipiter pour Solène, pour Ludo, & peut-être pour chacun. L’ombre gagne sur le blanc. Fallait-il entrer dans cette pièce, fallait-il risquer l’inconnu, le secret ? Fallait-il risquer le démantèlement de la phrase, la perte du langage, des mots, de la syntaxe, des jeux, des devinettes, des portraits chinois, pour un secret qui n’en est sans doute pas un… Fallait-il, en perdant l’innocence, laisser surgir la peur qu’elle avait si bien contenue jusque là ? Solène ne joue t’elle avec le feu, avec la vie, avec la narration qui les tient en vie, elle & les siens : « J’ai vu en rêve une horde de mots qui se perdaient dans l’air et revenaient en lambeaux… Je pense à ces millions de mots plus vite effacés que la poussière par le vent ;  je pense à tous les mots qui me précèdent, à tous ceux qui me suivront. Je voudrais tellement les ramasser, en faire quelques bouquets avant que le silence n’avale tout et ne s’avale lui-même ».

    Le chaos rôde, mais où est-il le plus fort, à l’entour des Lisières ou au cœur de chacun ?

    Solène n’est pas une fable, c’est un roman terrible & doux comme un rêve d’enfant, plein des mots qui constituent un être, une petite fille, qui se heurte au monde dans lequel ses mots n’auront plus la même valeur, l’oublieront, la nieront sans doute, elle seule en sera garante jusqu’au bout, jusqu’à ne plus pouvoir les prononcer, jusquà créer son propre langage dans lequel vivre &/ou disparaître : «  Cigales… abeilles… étoiles… fadosol… Sol… cig… ab… ét… cig… cig… cig… je… s’en va. »

     

    Claude Chambard

     

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    Solène

    14x22 ; 136 p. ; 14€50 isbn : 978.2.86432.654.0

    Verdier, 2011, http://www.editions-verdier.fr/v3/index.php