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  • Françoise Ascal, « Autour d’Odilon  — Trois tableaux »

    Les Inédits du Malentendu, volume 6.

     

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    Odilon Redon, La mort d'Ophée, vers 1905, Gifu, Musée des beaux-arts

     

     

    Anémones

     

    Les anémones surgissent de nulle part

    rassemblées dans un vase sans assise

    elles flottent dans la lumière

    appellent notre regard

     

    Au sommet de leur épanouissement

    elles supplient qu’on les retienne

    bleues violettes pourpres

    elles vibrent sous la caresse du peintre

     

    elles cachent en leur centre une pupille noire

    un gouffre à la mesure de l’amour

     

     

     

    Orphée

     

    Les morts font une haie.

    Ils se dressent devant toi et cachent le bleu du ciel.

    Comment pourrais-tu sortir du deuil ?

     

    Ton père d’abord, jeune encore, puis ton frère cadet Léo, puis ta petite sœur Marie, puis l’ami Jules, puis l’ami Émile, puis l’ami Ernest, puis Clavaud, ton maître spirituel dont le suicide te bouleverse

    et par-dessus tout,

    ton fils Jean,

    le nourrisson de deux mois, sur le berceau duquel tu t’es penché avec tant de tendresse.

    Trop de morts en trop peu de temps.

     

    Quelle échappée, quelle issue, si ce n’est dans ton art ?

    Tu travailles comme un forcené. Tu combats le sort adverse.

    À coup de fusain encre plume tu exorcises les puissances nocturnes.

     

    Longtemps Orphée te hante, Orphée te parle à l’oreille.

    Trois ans avant ta propre mort, tu lui offres le plus doux des tombeaux.

    Visage et lyre reposent côte à côte

    enveloppés d’un nuage luminescent, piqueté de fleurs-étoiles.

    Viatique pour le voyage de l’âme, le Livre bleu.

    Orphée l’inconsolable a trouvé la paix.

     

     

    Vase de fleurs, le pavot rouge

     

    Rouge flamboyant

    le pavot insiste

    il s’impose dans les nuits sans sommeil

    hante tes jardins clos

     

    le pavot se dilate dans l’espace

    ouvre et déploie ses pétales

    plus vastes plus tendres

    que l’arrondi du vase

     

    bientôt on ne voit plus que lui

     

    dans les galeries du crâne

    le pavot brûle

    ton désir croît

     

    Françoise Ascal

    Chantier Odilon

    Inédit

    L’œuvre de Françoise Ascal est une des plus précieuses qui soient. Son journal, ses poèmes, ses récits, depuis son premier livre Le Pré, en 1985, sont attendus comme témoignages d’un travail exigeant, rigoureux, sachant creuser l’autobiographie pour qu’elle devienne celle de tout le monde. La mémoire, l’art, les bonheurs et les douleurs… sont au cœur de ce travail émouvant et précieux. Qu’elle soit donc mille fois remerciée de nous avoir donné ces trois pages alors que vient de paraître l’étonnant Journal du perce-neige chez Al Manar avec des travaux de Jérôme Vinçon. https://editmanar.com/editions/livres/lobstination-du-perce-neige/

  • Marcelline Roux, « Vita Nova solo »

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    « 18/ Inventer chaque soir une bonne raison de fêter quelque chose et boire un verre de vin : l’arrivée d’une mésange dans le jardin, ma première leçon d’anglais, une nuit sans insomnie, un jour sans texto désagréable, un jour sans attendre de texto…

    42/ M’accrocher à l’idée d’une possible chambre à soi avec quelques livres en protection.

    61/ Développer une capacité à inventer des nids ou des coquilles. Me souvenir qu’enfant déjà, je regardais les fenêtres allumées dans la nuit et me demandais où j’aurais envie d’habiter. Le voyage continue devant les façades : un fil comme un autre à tenir.

    98/ “Il y a toujours une scène derrière le discours” écrit Pascal Quignard dans la Mélancolie du sexe. La seule que je revois, en boucle, est celle de ma tête effondrée sur la table de la cuisine tandis que le disjoint franchit le portail. J’ai la scène, pas le discours. La sidération m’a rendue sourde et muette. Décidément il faut que je relise Quignard : sur le mutisme et la sidération, il est intarissable.

    135/ La discipline de la Vita nova oblige à retourner les événements désagréables comme des crêpes, seule façon de partager l’insupportable sans accabler et véritable Chandeleur quotidienne qui éclaire les semailles de mes chemins en contrebande.

    245/ Me concentrer sur les fleurs du cerisier qui n’en finissent pas de tout repasser au blanc et me croire invitée à noircir des pages de vie en vue de futurs pots de confiture.

    291/ L’écritoire au centre pour qu’il agisse comme une persuasion.

    302/ Être devant un jardin annihile toute velléité romanesque : contempler le va-et-vient des oiseaux suffit à vivre.

    434/ Aimer la vie qui va avec l’écriture ! La laisser filer, s’infiltrer, s’inviter dans les maisons, les jardins, les paysages, les routes, les coins de cuisine, les soirées dehors, à la grande table des repas, lui ouvrir toutes les fenêtres, lui sortir les transats et les nappes à pois. Ne pas résister au silence qu’elle appelle ! »

     

    Marcelline Roux

    Vita Nova solo – Carnet d’une traversée

    Encres de Jean-Gilles Badaire

    Préface de Françoise Ascal

    Rhubarbe, 2018

    http://www.editions-rhubarbe.com/news.htm

  • Isabelle Lévesque, « Voltige ! »

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    « Le livre repose-t-il à l’ombre ?

    Ces gestes exaltés, saisis, noirs ou blancs,

    retiennent-ils dans leur arrêt

    le désarroi fin des poussières

    immobiles, suspendues, revenues

    d’un rêve         qui n’existe pas

    sauf à poser sur le bras tendu

    l’image qui confond    le passé le présent ?

     

    Le rouge impossible des fleurs

    lancé vers le ciel

    avant l’orage.

     ––––––––––––––––––––––––––––––––––––

    Que retracer d’une malhabile survie ?

    Entre nos doigts, la gorge et son cri,

    parfum oublié d’une feuille.

    Nous la frottons, chaque partie

    contre la force d’oubli. Le murmure

    coule, petite nappe,

    la paume le recueille.

     

    Et ce mouvement reproduit : geste du feu,

    étincelle ou source. Nous gardons

    sur nos lèvres le retour du vif.

    Nous l’écrivons (dorénavant se double

    de vers inachevés).

     

    Isabelle Lévesque

    Voltige !

    Peintures de Colette Deblé

    Postface de Françoise Ascal

    L’herbe qui tremble, 2017

    https://lherbequitremble.fr/

  • Françoise Ascal, « Ombres – Berlin»

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    DR

     

    « Il neige sur nos mémoires.

     

    Les flocons volent, recouvrent vos traces, comblent nos lacunes.

     

    Dedans dehors s’entremêlent.

     

    Des myriades de cristaux fondent entre nos doigts, identiques, uniques, tels vos visages un instant apparus.

     

    * * *

     

    Vos yeux mangés de nuit appellent encore les nôtres, si loin que vous soyez.

    Vos visages confondus jamais ne se résorbent au fond de nos étangs.

     

    Quel rituel inconnu apaiserait votre errance ?

     

    Faut-il clouer vos noms sur de la cendre.

     

    * * *

     

    Tremblez-vous de froid, quand nos pas s’éloignent un peu trop vite un peu trop lestes, vers des horizons stridents ?

     

    Craignez-vous l’abandon, la chute dans les ravins d’où l’on ne remonte jamais, à moins qu’une main tendre frôle encore vos lèvres sur une photo jaunie ? »

     

    Françoise Ascal

    Ombres-Berlin in Entre chair et terre

    Peintures de Jean-Claude Terrier

    Collection l’Orpiment

    Le Réalgar, 2017

    http://lerealgar-editions.fr/

  • Françoise Ascal, « Le fil de l’oubli »

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    « “Maison à vendre”. Une pancarte est accrochée au-dessus des portes de la grange.

     

    Le toit fuit.

    L’eau goutte, imbibe plafonds et planchers.

    La véranda n’a plus de vitres.

    Les murs se lézardent.

    Le salpêtre monte.

     

    Maison qui retourne à la terre.

    Qui dit l’étable et la paille originelle.

     

    On ouvre une dernière boîte. On répand sur la table son trésor de pacotille. On fouille à deux mains dans ce bric à brac. Boutons de nacre de bois de cuivre, épingles à cheveux, attaches de jarretelle en caoutchouc rose durci, boutons de manchettes dépareillés, briquets à essence hors d’usage, stylo laqué dans capuchon, plumes d’or ébréchées, fèves rescapées d’anciennes épiphanies, glands de rideaux, dés à coudre, Jésus de porcelaine, éclats de miroir, médailles d’argent, médailles d’étain rapportées de pèlerinages à Notre-Dame-du-Haut. On brasse encore et encore du temps solidifié.

     

    On a tout de suite remarqué l’enveloppe de papier bistre fermée par un ruban, contenant cinq cartes postales qui portent la mention “Franchise militaire”. Mais pour l’heure on cherche autre chose. L’objet manquant déposé au creux de la mémoire. Obsédant. Intercesseur de l’invisible.

     

    C’est un canif de fer-blanc. Le manche a la forme d’un soldat au garde-à-vous, droit dans son uniforme d’apparat. Humour macabre ou signe de l’inéluctable, la lame, en se repliant, coupe son corps en deux.

     

    On songe à celui qui le glissait dans sa poche du temps de sa jeunesse.

    On l’imagine, penché sur la meule de grès rose, attentif à parfaire le tranchant de la lame.

    On l’aperçoit, au bord de l’étang coupant des roseaux pour tresser une barque de rêve.

    On ne connaîtra pas son visage. On ne saura rien de ses yeux, de son sourire.

    Personne ne l’a revu manier la faux dans les prés pentus qui mènent à la rivière.

     

    Figure de l’ombre retournée à la nuit, comme des milliers, qui ont quitté leur village, leur ferme, leur verger, pour ne plus revenir et n’ont survécu à leur mort que le temps bref des battements de cœur de ceux et celles qui les ont veillés sous la clôture des habits noirs.

     

    Puisse chacun, chacune, avoir laissé quelque objet familier qui, passant de main en main, fera résonner leur être singulier.

    Écho de ce qu’ils furent.

    Coquillage au creux de l’oreille des vivants pour prolonger leur murmure. »

     

    Françoise Ascal

    Noir-racine, précédé de Le fil de l’oubli

    Monotypes de Marie Alloy

    Al Manar, 2015

    http://www.editmanar.com/

  • Françoise Ascal, « Des voix dans l’obscur »

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    « non

    pas de “belles histoires” à raconter les histoires ça vole dans l’air on les capte d’une main joueuse je ne sais pas jouer je n’ai pas de let à histoires juste du l à coudre utile pour les plaies coudre et recoudre ce qui bée une spécialité en quelque sorte réparer recoller rastoler ravauder avec plus ou moins de succès paroles qui tombent et se cassent dans le vide murs qui se fendent toits qui s’écroulent draps qui se déchirent peau qui se fane veines qui éclatent c’est mon lot je pose des mots-sutures sur ce qui souffre c’est une addiction comme une autre

     

    peut-être est-ce mon corps troué que je cherche à rejoindre dans la moindre faille

    glisser la langue entre les molécules disjointes mâcher les noms perdus sucer le rien saliver

    lèvres closes cimenter l’absence

     

    peut-être est-ce vous qui m’appelez vous qui n’êtes plus

    vous qui avez fui sans légendes à hisser dans les livres »

     

    Françoise Ascal

    Des voix dans l’obscur

    5 dessins de Gérard Titus-Carmel

    coll. écri(peind)re, Æncrages & Co, 2015

  • Françoise Ascal, « Lignées »

     

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    « Ce que je sais, tout le monde le sait. Je ne sais rien que je serais seule à savoir. Et tout ce que j’ai appris je le savais déjà. J’en arrive à douter d’exister. J’en arrive à ne plus savoir si un moi est possible. Si  quelque chose à soi est possible. Dans la foule je vous regarde et me reconnais. À des milliers d’exemplaires. Visages d’argile commune. Regards qu’on pourrait croire uniques. Vous-mêmes, sentez-vous parfois votre crâne devenir un lieu de traverse, un corridor ouvert à tous vents, un hall fourmillant, tandis que vos pas sur le sol ne laissent aucune trace, votre chair aucune ombre ? »

     

     

    Françoise Ascal

    Lignées

    Dessins de Gérard Titus-Carmel

    Æncrages & co. , coll. Écri(peind)re

    http://www.aencrages.com/