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gil jouanard

  • Li Po, Adieu à un ami (pour saluer Gil Jouanard)

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    DR

     

    pour Gil, qui est parti hier, 25 mars 2021, rejoindre le mont de l’Ouest (Hua Shan).

    Qu’il y trouve la paix la plus joyeuse & les vins les plus délicieux à partager avec ses vieux amis qui l’ont précédé.

     

    « la montagne bleue surplombe le rempart au nord

    l’eau blanche ceinture la ville à l’est

    ici nous nous séparons

    la graine ailée, solitaire, sur dix mille li erre

    les nuages flottants expriment le sentiment du voyageur,

    le soleil couchant l’amour du vieil ami

    nous nous saluons de la main tandis que tu t’éloignes

    “hsiao hsiao” nos chevaux hennissent, chagrins de se séparer »

     

    Li Po (Li Bai)

    Buvant seul sous la lune

    traduit du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet

    Moundarren, 1988

  • Gil Jouanard, « Dans le paysage du fond »

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    © Héloise Jouanard

      

    « C’était presque à coup sûr un chant, ou bien la vielle cagneuse du moulin à café qui éclairait le fond de la cuisine. Non, c’était plutôt un chant qui crépitait dans l’âtre ou bien les hésitations cuivrées de la pompe archaïque au-dessus de l’évier. C’était un chant ; et le blé parfumait jusqu’aux draps ; les graviers montaient en flammes douces dans la vacuité de la cour. On était là. Ou bien encore on portait le pain sous l’aisselle du bras droit, et la farine épousait le tricot de laine bleue.

     

    Il y avait, contre le mur, une gerbe d’orties ; ou c’était l’avancée syncopée d’un lézard hésitant ; disons : une simple minute d’attention qui ne se serait pas laissée écarter. Ou bien, à l’inverse, c’est l’oubli qui fouillerait du bout d’une invisible perche la surface herbue d’une biographie aléatoire. Et les lumières tout au fond de l’étang, dessineraient la forme des fenêtres par lesquelles on regarderait se succéder les climats au hasard de la rue épaisse. Ou bien ce ne serait rien, sinon notre propre nom, notre nom propre, si commun, derrière l’écran de la distance prononcé par une voix que l’on aurait autrefois connue et qui viendrait s’émietter à travers les gouttes de pluie.

     

    Ou bien ce ne serait rien d’autre qu’un reflet sur le bois peint en rouge du crayon ; et l’on se serait encore une fois de plus laissé embarquer dans une de ces aventures exploratoires dont nul ne saurait dire si l’on saura revenir.

     

    Ou bien ce serait que l’on préfère décidément tout, fût-ce un mot de trop, plutôt que cette effroyable solitude qui vient nous prendre à la gorge à l’orée du bois.

     

    De la table au tronc de merisier, il n’y a que l’épaisseur de cette feuille, qui hésite à se prendre pour celle de l’arbre ou plutôt pour celle, si infime, du fil d’étendage où viennent sécher les fruits maigres de ma sève.

     

    De la table au tronc de merisier, il y a l’épaisseur de toute cette distance qu’il y a à franchir à travers mon regard ; il y a ce brouillard des mots qui voile pour toujours l’évidence. »

     

    Gil Jouanard

    Dans le paysage du fond

    Isolato, 2013

  • Michaël Glück, Anik Vinay, « Tour Aurore, place des Reflets »

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    I
    quai d’une gare

    l’attente d’un train

    la patience minutieuse

     

    les pas

    le long le large

    la geste des voyageurs

     

    les talons hauts

    près des valises

     

     

    VII

     

    la destination

    l’adresse de la langue

     

    une flaque d’eau

    un nuage entre les rails

    j’attends

     

    tu es là dans le jour »

     

    Michaël Glück

    Tour Aurore, place des Reflets

    avec une gravure d’Anik Vinay

    130 exemplaires numérotés et signés. Achevé d’imprimer en juillet 1987 par l’Atelier des Grames, 9e titre de la collection « Les Florets » animée par Gil Jouanard. Exemplaire : 35

    Atelier des Grames

     

  • Gil Jouanard, "L’œil de la terre"

     

    Jouanard Gil.jpg« Lorsque l’hommes s’avisa de passer de l’état de nature à l’état de culture, il se ménagea des espaces intermédiaires, qui lui permettaient de garder un pied dans le vaste monde tout en sécurisant ses mœurs et ses réflexes aux abords d’un “chez soi”. Déjà, il avait inventé la campagne, compromis entre la luxuriance de la planète, indifférente à tout, et son propre ego implosant d’intentions et de désirs. De moyen terme en pis aller, il en vint enfin, parvenu aux confins de la protohistoire, à concevoir ce modèle réduit d’univers que constituera désormais le jardin. D’abord franchement utilitaire, celui-ci ne tarda pas à joindre l’agréable à l’utile et, sans négliger l’usage potager et fruitier, il se mua en microcosme ornemental, voué à l’agrément des sens et au repos de l’esprit. Peut-être convient-il même de considérer que c’est le jardin qui a inventé l’homme moderne, quelque part entre la Grèce ancienne et l’Andalousie médiévale. Et qui sait s’il ne faut pas attribuer au jardin, justement dit “d’amour”, cette disposition affective et mentale qui, à travers la courtoisie occitane devait bouleverser à jamais les mœurs européennes, voire même inventer l’Europe ? Morcelant l’espace, n’est-ce pas le jardin qui, de la sorte, proposait ainsi à l’humain naturellement grégaire l’image révolutionnaire de l’individualité ? »

    La Mare, ce 7 août 1993.

     

    Gil Jouanard

    L’œil de la terre

    Fata Morgana, 1994