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juliette mézenc

  • Juliette Mézenc, « Laissez-passer »

    juliette mézenc,laissez-passer,l'attente

    DR

     

    « &

     

    je m’applique à être

     

    c’est pas donné à tout le monde

    à certains oui, c’est donné, c’est ce qui paraît en tous cas

    c’est naturel pour eux

    Ils SONT.

    ils sont ils sont et puis voilà

    j’ai toujours trouvé ça injuste

    parce que pour moi c’est pas la même : il faut sans cesse que je m’applique à la vie

    je m’applique à la vie par toute une série d’exercices

    et même comme ça, en m’appliquant très fort, je n’y arrive pas, pas toujours, et même : plus je m’applique plus elle me fuit, la vie, j’ai l’impression

    mais comment faire

    parce que parfois ça marche

    des fois, je réussis à réduire l’espèce de no man’s land qui me sépare de la réalité, je franchis tout l’espace d’un bond d’un seul

    des fois, je fais partie c’est une joie

     

    mais c’est tout un travail pour moi

    et je vois bien que c’est plus de boulot pour certains que pour d’autres

    y en a ils sont et puis voilà

    et puis y en a d’autres

     

    un jour qui a duré des mois et des mois, et je me suis retrouvé coupé, complètement séparé de

    j’ai retrouvé ça, cette sensation-là, dans un jeu vidéo hier, j’avançais dans la map et puis d’un coup : blanc ! rien que du blanc et moi perdu là au milieu sans plus aucun repère dans cette immensité blanche et lumineuse, sans aucune aspérité, le vide le plus pur

    et rien qui te raccroche à rien

    juste la voix du médecin qui avait prononcé des mots “perte des notions de l’espace et du temps”

    il y avait donc un nom pour ça

    nommer c’est déjà ça

    une main courante

     

    c’est juste après que j’ai commencé à écrire »

     

     

    Juliette Mézenc

    Laissez-passer

    L’Attente, 2016

    http://editionsdelattente.com/

  • Juliette Mézenc, « Elles en chambre »

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    « Parce que si on écrit de tout son corps… qu’en est-il des auteurs qui écrivent avec un sexe de femme ? Le sexe ne fait-il vraiment rien à l’affaire, comme le proclamait Monique Wittig : “on est écrivain ou pas” ? Nombreuses aujourd’hui sont les femmes qui écrivent, et c’est sans précédent, la littérature s’en trouve-t-elle modifiée ? Sachant par ailleurs qu’entre Barbie et sa rivale Bratz la guerre désormais fait rage, comprendre qu’elles se portent comme des charmes, que les moules sexués semblent loin bien loin d’être brisés, qu’en est-il de la femme qui écrit, échappe-t-elle à son genre ?

     

    Parce qu’écrire c’est s’arracher, faire cette tentative de bondir hors des frontières, celles assignées par la nationalité, le genre, l’espèce, hors des murs de l’identité qui délimitent trop souvent le territoire d’un moi étriqué et mesquin, hors de ce que l’on croit connaître, savoir, hors des formes répertoriées qui ronronnent, partir ! Le travail, quelle belle chose parfois ! et parce que c’est en poïeinant et en se réjouissant de poïeiner qu’on pourra faire la nique à tous ceux qui nous coupent de cette sauvagerie, ils sont légion (poïeinerie, n.f. du grec poiein “faire, fabriquer, produire, créer” qui a également donné poiêma puis poème, bref : poïeinerie = travail sauvage et irrécupérable).

     

    Parce que je crois sentir, encore, malgré tout, dans ma bouche, parfois, le fantôme de Scold’s bridle*…

     

    Parce qu’heureusement Virginia Woolf**… »

     

    Juliette Mézenc

    Elles en chambre

    L’Attente, 2014

     

     * Scold’s bridle est un dispositif de punition utilisé en Écosse puis en Angleterre jusqu’au xixe siècle à l’encontre des femmes dont le discours était jugé « médisant », « séditieux » ou « gênant ». Il s’agissait d’une muselière de en fer avec un mors, souvent garni de pointes, qui prenait appui sur la langue.

     

    ** Une chambre à soi est une conférence que Virginia Woolf a donnée à des étudiantes de l’Université de Cambridge sur les conditions matérielles et culturelles de la création.