lundi, 20 juin 2022
Claude Chambard, « dans le milieu du chemin de la vie », une lettre à Christophe Manon à propos de son « Provisoires », aux éditions Nous, 2022
Christophe Manon & Sophie Chambard,
Provisoires, 6 exemplaires, Collection Le singulier imprévisible, octobre 2018
Cher Christophe,
ah ce livre de ta grande & belle & vraie & pure maturité
c’est toi, ce livre, c’est nous, longtemps il travaille
& fermente heure après heure — il lève —
longtemps, il nourrit, protège
& nous aime — ses amis
cette amitié, ah, cet amour, cette grâce — tu l’as —
les voici données — l’amour est si féminin,
toujours on peut le conjuguer, l’accorder,
le recevoir & l’offrir comme ceci —
il n’y a pas de dernier, ni de premier, il y a le poème
en pleine page, en plein cœur —
blanc de soleil si brillant —
aimer, il le faut, il faut l’aimer
il faut aimer, poursuivre un matin,
c’est un matin
craignons le soir
c’est le temps — à tous les temps, tu sais —
fugitif, tu dis : provisoire(s)
sans impatience, encore vivant(s), provisoire(s),
sous la pierre,
nous y parviendrons
& nous chasserons ce qui dans le vivant fait le mort
— & l’inverse —
dans le milieu du chemin de la vie
ici, au plus plein de nos cœurs —
enfin vers les beaux yeux je reportai mes yeux
ce mystère au cœur entre les effacements
puisque c’est à grande vitesse
& qu’à peine en fleurs les fruits,
à la porte si blanche,
fondent ton poème dans le jardin si frais
— extrême & lumineux —
chaque page, chaque vers, chaque mot,
effet de loupe pour nous dire, au plus près,
notre histoire / les morts
cette poignante histoire, oui, qui est la nôtre
comme tu sais depuis toujours déjà
& ces soupirs qui s’échappent des livres de nos ancêtres
qui par notre entremise se portent à l’ombre de nos vergers,
au cœur de nos jardins — la nuit effaçant la nuit
qui efface le jour qui est notre ultime demeure
— une pâture de vent nouvelle
puisque ton livre est une merveille
qui s’est détachée de tout pour n’être que toi
— que de toi —
pour nous
Ton vieil ami, Claude
Christophe Manon
Provisoires
éditions Nous, 2022
https://www.editions-nous.com/manon_provisoires.html
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mardi, 12 mars 2019
Andrea Zanzotto, « Les Pâques »
DR
« IL Y AVAIT QUELQU’UN
Comme un soir nous arrivions
entre herbe et nuage quelques peu dispersés au-dehors
elle et les deux loupiots et de belles ombres impétueuses…
Fermentation du bois une odeur de plus
et ce j’étais-ça uniquement physique
et me tenais dans un fort pauvre juillet
indemne, ce juillet, de moi et des miens
moi pas indemne, eux tous (très bientôt) lapinots.
Parce qu’il y avait : bien close et toute petite
toute perdue, l’étable. Rêvée dans un rêve frugal
par un regard dénué d’enthousiasme — l’herbe
atteignant le bord des fenêtres —
les lapinots mère et fils dans l’étable
un peu prisonniers un peu Ah, et
ne les aime pas ne suis les et personne n’est les. Personne.
Et partout presque sans couleur ce qu’ils regardent,
le foin fil à fil ils mâchonnent et regardent : s’il pleut ?
Dure en bois-de-lapin la soirée
ici, deux fils broutés, l’œil
un peu doux un peu craintif.
Et quelle lointaine lointaine histoire.
Ce n’est pas une façon de marcher je le sais.
La pureté (du moins) entrebâillée, à deux pas, et ainsi l’au-delà,
c’est-à-dire nous : fussions-nous amoureux l’un de l’autre
fussions-nous amoureux d’un peu de nourriture
fussions-nous, dans la lueur du soir…
Maman-lapin deux poupons et — goute à goutte —
dans le dispersé le perdu. Flou.
Mais enfin ce n’est pas en vain que tout arrive
si petit à petit tout lapine de légers
lapinements. Et je ne vais pas plus avant
que la fasciole du soir, que le rideau humide,
que le foin pris entre les signes et j’écoutai :
hennir glapir marmonner dans le revers le repli.
Il y avait une fois quelqu’un, à présent
il broute, fourre son museau où il peut.
Un dessin-design absolument parfait
pourtant : de là s’élancera :
lapinotant à nous refaire
gambarder, longues jambes, jampignons, de partout
— Elle l’a dit l’institutrice
l’ont dit Lewis et Alice. »
Andrea Zanzotto
Les Pâques
Traduit de l’italien par Adriana Pilia et Jacques Demarcq
Préface de Christian Prigent
Nous, 1999
http://www.editions-nous.com/zanzotto_lespaques.html
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samedi, 18 mars 2017
Christophe Manon, « Au nord du futur »
Christophe Manon. photographie ©Sylvain Maestraggi
« Parfois l’amour aussi
est ce qui nous émeut d’être à ce point présent et d’une intense
douceur et ce qui nous reste de baisers nous en usons
pour sécher les larmes sur les joues de nos semblables et faire durer
le présent d’une joie qui ne veut pas
mourir et du silence saturé de poison la part
qu’il revendique inlassablement nous recevions l’accolade maintenant
les beaux noms nous les consignons dans nos livres franchissant
l’obscurité en des gestes fragiles donnant
mémoire à ce qui fut brisé afin
que ce qui a été rendu visible ne soit pas
effacé et qu’il ne reste pas
de mots sans sépulture. »
Christophe Manon
Au nord du futur
Nous, 2016
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