mardi, 12 mars 2019
Andrea Zanzotto, « Les Pâques »
DR
« IL Y AVAIT QUELQU’UN
Comme un soir nous arrivions
entre herbe et nuage quelques peu dispersés au-dehors
elle et les deux loupiots et de belles ombres impétueuses…
Fermentation du bois une odeur de plus
et ce j’étais-ça uniquement physique
et me tenais dans un fort pauvre juillet
indemne, ce juillet, de moi et des miens
moi pas indemne, eux tous (très bientôt) lapinots.
Parce qu’il y avait : bien close et toute petite
toute perdue, l’étable. Rêvée dans un rêve frugal
par un regard dénué d’enthousiasme — l’herbe
atteignant le bord des fenêtres —
les lapinots mère et fils dans l’étable
un peu prisonniers un peu Ah, et
ne les aime pas ne suis les et personne n’est les. Personne.
Et partout presque sans couleur ce qu’ils regardent,
le foin fil à fil ils mâchonnent et regardent : s’il pleut ?
Dure en bois-de-lapin la soirée
ici, deux fils broutés, l’œil
un peu doux un peu craintif.
Et quelle lointaine lointaine histoire.
Ce n’est pas une façon de marcher je le sais.
La pureté (du moins) entrebâillée, à deux pas, et ainsi l’au-delà,
c’est-à-dire nous : fussions-nous amoureux l’un de l’autre
fussions-nous amoureux d’un peu de nourriture
fussions-nous, dans la lueur du soir…
Maman-lapin deux poupons et — goute à goutte —
dans le dispersé le perdu. Flou.
Mais enfin ce n’est pas en vain que tout arrive
si petit à petit tout lapine de légers
lapinements. Et je ne vais pas plus avant
que la fasciole du soir, que le rideau humide,
que le foin pris entre les signes et j’écoutai :
hennir glapir marmonner dans le revers le repli.
Il y avait une fois quelqu’un, à présent
il broute, fourre son museau où il peut.
Un dessin-design absolument parfait
pourtant : de là s’élancera :
lapinotant à nous refaire
gambarder, longues jambes, jampignons, de partout
— Elle l’a dit l’institutrice
l’ont dit Lewis et Alice. »
Andrea Zanzotto
Les Pâques
Traduit de l’italien par Adriana Pilia et Jacques Demarcq
Préface de Christian Prigent
Nous, 1999
http://www.editions-nous.com/zanzotto_lespaques.html
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samedi, 18 mars 2017
Christophe Manon, « Au nord du futur »
Christophe Manon. photographie ©Sylvain Maestraggi
« Parfois l’amour aussi
est ce qui nous émeut d’être à ce point présent et d’une intense
douceur et ce qui nous reste de baisers nous en usons
pour sécher les larmes sur les joues de nos semblables et faire durer
le présent d’une joie qui ne veut pas
mourir et du silence saturé de poison la part
qu’il revendique inlassablement nous recevions l’accolade maintenant
les beaux noms nous les consignons dans nos livres franchissant
l’obscurité en des gestes fragiles donnant
mémoire à ce qui fut brisé afin
que ce qui a été rendu visible ne soit pas
effacé et qu’il ne reste pas
de mots sans sépulture. »
Christophe Manon
Au nord du futur
Nous, 2016
17:05 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : christophe manon, au nord du futur, nous