vendredi, 05 novembre 2021
Tao Yuangming, « Chant funèbre », en hommage à Jacques Pimpaneau
Tao Yuanming par Chen Hongshou
« Quand il y a la vie, il y a forcément la mort,
Même si le destin ne vous presse vers un fin précoce.
Hier soir, il était un homme comme les autres,
Ce matin, il figure au registre des fantômes.
Le souffle des âmes, vers où se disperse-t-il ?
Une forme morte est confiée à un cercueil vide.
Des enfants affectueux cherchent leur père en sanglotant,
Des amis chers vous caressent en pleurant.
Les gains et les pertes, je ne les connais plus,
Du bien et du mal, comment ne serais-je conscient !
Après mille ans, après dix mille ans,
Qui connaît votre gloire et vos humiliations !
Mon seul regret est qu’au cours de cette vie,
Du vin à boire, je n’ai pu avoir assez. »
Tao Yuangming, (Tao Qian) — 365-427
extrait de « L’œuvre de Tao Yuangming »
in Jacques Pimpaneau, Anthologie de la littérature chinoise classique
Philippe Picquier, 2004, poche 2019
Jacques Pimpaneau est mort ce 3 novembre à 87 ans.
Il m’a fait découvrir et aimer la littérature chinoise. Il fut secrétaire de Jean Dubuffet et très lié à Georges Bataille, il l’assista dans ses derniers instants jusqu’à son inhumation au cimetière de Vézelay – la marche entre la maison de Georges Bataille et sa tombe fut une de mes promenades préférées lors de ma résidence chez Jules Roy en 2016.
En 1972, il a créé le musée Kwok On à Paris, consacré aux Arts et traditions populaires d’Asie, qui a depuis quelques années trouvé refuge au musée de l'Orient à Lisbonne. Il a donné sa bibliothèque au fonds chinois de la bibliothèque municipale de Lyon.
Jacques Pimpaneau fut non seulement un grand connaisseur, un grand passeur et un grand traducteur de la littérature chinoise, mais il a écrit également quelques petites merveilles comme les Mémoires d’une fleur ou les Quatre saisons de monsieur Wu, et aussi une épatante Célébration de l’ivresse (on trouve tous ses livres chez Philippe Picquier). Son Anthologie ne quitte pas mon établi.
Je lève donc aujourd’hui ma coupe de vin à sa nouvelle vie de fantôme auprès de tous ceux qu’il a aimé et qu’il vient de retrouver — Tao Yuangming mais aussi nos amis Du Fu, Li Po, Shen Fu, Pu Song Ling, Wang Wei, Su Dungpo. Que leurs chemins soient parfumés et aussi doux que possible.
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dimanche, 06 septembre 2020
Anonyme, « La blancheur de la lune dans la nuit »
Carte de Duhuang, vers 650, dynastie Tang. Une des premières représentations des étoiles.
« La blancheur de la lune brille dans la nuit,
Des criquets crient dans le mur de l’est.
La Grande Ourse indique l’hiver,
Les étoiles ressortent dans le ciel,
La gelée blanche mouille les plantes dans la campagne.
Le temps soudain change,
La cigale d’automne crie dans les arbres,
L’hirondelle, où donc est-elle partie ?
Mes camarades et amis d’autrefois
Se sont élevés haut et se sont envolés
Sans plus se souvenir que nous nous tenions par la main.
Ils m’ont abandonné comme les traces que l’on laisse.
Une constellation indique le nord et une autre le sud
Et l’étoile du Bœuf ne porte pas de joug.
Si l’amitié n’est pas solide comme le roc,
Un renom vide, quel intérêt a-t-il ? »
Chanson populaire anonyme de l’époque Han — 206 avant J.-C - 220 après
In Anthologie de la littérature chinoise classique
Présentée et traduit par Jacques Pimpaneau
Philippe Picquier, 2004 rééd. 2019
http://www.editions-picquier.com/ouvrage/anthologie-de-la-litterature-chinoise-classique-2/
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vendredi, 10 juillet 2020
Wang Shifu, « Le pavillon de l’aile ouest »
Le mariage de Zhang et Yingying, représentés sous forme de marionnettes.
Édition de Min Qiji, 1640
« Vous balbutiez de honte, n’osez lever la tête,
Votre visage caché dans l’oreiller.
De vos cheveux en nuages épars tombent vos épingles d’or
Et le désordre de votre chevelure ajoute à votre charme.
Je déboutonne votre robe, dénoue votre ceinture,
Une odeur de musc se répand dans la chambre obscure.
Cruelle, pourquoi vous détourner ?
Pourquoi fuir mon regard ?
Je presse contre moi ce corps tiède et parfumé d’une beauté élancée,
Le printemps vient au monde, les fleurs se colorent,
Votre taille si souple s’agite à mon rythme,
Le bouton de votre fleur s’ouvre à moitié,
Les gouttes de ma rosée font s’épanouir votre pivoine.
Une seule libation m’engourdit à demi.
Je suis le poisson qui s’ébat dans les eaux,
Je suis le papillon qui recueille le parfum des bourgeons.
Vous reculez un peu pour vous rapprocher de nouveau.
Le surprise et l’amour se disputent en moi,
Je baise votre bouche vermeille et vos joues odorantes.
Vous êtes mon cœur et mes entrailles,
Vous dont j’ai terni la pureté. »
Cette pièce – dont les protagonistes sont Yingying et Zhang – fut écrite aux environs de 1300. Elle est une adaptation d’un texte plus ancien de monsieur Dong, portant le même titre, elle-même influencée par La vie de Yingying de Yuan Shen – les voies de la littérature chinoise sont sans fin, et c’est tant mieux.
L’extrait donné ici est chanté par Zhang alors que les amoureux viennent de se retrouver dans la chambre de Yingying. Il provient du merveilleux ouvrage de Jacques Pimpaneau, Anthologie de la littérature chinoise, paru chez Philippe Picquier en 2004 et réédité dans la collection de poche de l’éditeur en 2019.
Wang Shifu
Extrait du Pavillon de l’aile ouest (Xixiang Ji)
traduit par Jacques Pimpaneau
Philippe Picquier
http://www.editions-picquier.com/ouvrage/anthologie-de-la-litterature-chinoise-classique-2/
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mardi, 31 décembre 2019
Ishikawa Takuboku, « 7 tankas »
« Tout comme l’enfant qui parti en voyage
revenu au pays s’endort
aussi doucement en vérité est arrivé l’hiver
Chose plutôt rare
que ce calme plat dans mon cœur
quand j’écoute avec plaisir jusqu’à l’horloge qui sonne
Ah si pour sincèrement
lui ouvrir mon cœur j’avais un ami !
Je commencerais par lui parler de toi
Ce dont les gens parlent
cette beauté des cheveux défaits qui s’emmêlent aux tempes
je l’ai reconnue en te voyant écrire
De couleur cramoisie
ce vieux carnet où subsistent
l’heure et le lieu du rendez-vous secret !
Dix ans déjà que je l’ai composé disait-il de ce poème chinois
avant de le déclamer lorsqu’il était ivre
Ami vieilli de tant voyager
Quand donc était-ce ?
Oh la joie que j’avais eue à entendre soudain dans un rêve
cette voix que depuis si longtemps hélas je ne puis écouter ! »
1910
Ishikawa Takuboku
Une poignée de sable
Traduit du japonais par Yves-Marie Allioux
Philippe Picquier, 2016
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jeudi, 21 juin 2018
Ge Fei, « La barque égarée »
DR
« Un midi de la fin de l’été, alors que l’oncle faisait sa sieste dans la bibliothèque, il s’était rendu dans la cour du pavillon de bambou. Xing s’était endormie sur une chaise longue sous un ginkgo. Elle tenait à la main un livre sur les légendes des vingt-quatre périodes du calendrier solaire. Le livre ouvert se soulevait sur sa poitrine. Xiao se trouvait tout près d’elle, hypnotisé, assis sur un tabouret en bambou. Les craquements du tabouret le faisaient transpirer de peur. L’autre main de Xing retombait mollement sur le dossier de la chaise. Xiao entendait sa propre respiration, courte, oppressée. De la Lian* parvenaient des bruits de rames. Un papillon blanc, tout ensommeillé, était passé devant ses yeux. Il avait touché doucement le bout du doigt fin et doux de sa cousine, puis avait posé la main sur son poignet, à l’endroit du pouls. Il avait senti le sang couler rapidement sous la peau laiteuse. Elle ne se réveillera pas, avait-il pensé. »
* Rivière, de la province de Guangdong, qui se jette dans le golfe du Tonkin.
Ge Fei
« La barque égarée » in Nuée d’oiseaux bruns
Récits traduits du chinois par Chantal Chen
Préface de Marie-Claire Huot
Philippe Picquier, 1996
http://www.editions-picquier.com/ouvrage/nuee-doiseaux-br...
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lundi, 20 juin 2016
Ishikawa Takuboku, « Une poignée de sable »
« Tôt ce matin
écrite par cette jeune sœur qui a déjà passé l’âge de se marier
j’ai lu une lettre qui ressemblait fort à une lettre d’amour
Que quiconque la lisant
ne puisse m’oublier
telle est la longue lettre que je voulais écrire ce soir
Grondé
un cœur d’enfant éclate en sanglots
Tel est le cœur que je voudrais avoir
Comme une bête malade
mon cœur
dès qu’il entend parler du pays s’apaise
Souffrance de l’errance que je n’aurai su rendre
dans ce brouillon dont l’écriture
m’est si pénible à relire !
Quelque part
traîne comme une odeur de peau de mandarine brûlée
voici le soir
Venu dans ce parc un jour de beau temps
en marchant
j’ai pris conscience du déclin tout récent de mes forces »
Ishikawa Takuboku
Une poignée de sable
Traduit du japonais par Yves-Marie Allioux
Philippe Picquier, 2016
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