jeudi, 09 avril 2020
Emily Jane Brontë, « Il devrait n’être point de désespoir pour toi »
« Il devrait n’être point de désespoir pour toi
Tant que brûlent la nuit les étoiles,
Tant que le soir répand sa rosée silencieuse,
Que le soleil dore le matin.
Il devrait n’être point de désespoir, même si les larmes
Ruissellent comme une rivière :
Les plus chères de tes années ne sont-elles pas
Autour de ton cœur à jamais ?
Ceux-ci pleurent, tu pleures, il doit en être ainsi ;
Les vents soupirent comme tu soupires,
Et l’Hiver en flocons déverse son chagrin
Là où gisent les feuilles d’automne.
Pourtant elles revivent, et de leur sort ton sort
Ne saurait être séparé :
Poursuis donc ton voyage, sinon ravi de joie,
Du moins jamais le cœur brisé. »
Novembre 1839
Emily Jane Brontë
Poèmes
Choisis et traduits d’après la leçon des manuscrits par Pierre Leyris
Gallimard, 1963
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samedi, 28 mars 2020
Yunus Emré, « Je goûtais le raisin… »
« Je goûtais le raisin de ce prunier
Lorsque le jardinier atrabilaire
M’a demandé raison de cette noix
Que je croquais.
J’ai fait sur le vent du nord
Bouillir la boue sèche du chaudron
Puis à mon questionneur j’en ai servi l’essence
Et je l’y ai trempé.
Le tisserand n’a point encore roulé pelote
Du fil que je lui ai donné.
Cependant il me presse
De prendre sans retard
Mes trois lés apprêtés.
L’aile d’un moineau fut
Sur quarante chars chargée.
Les quarante chars ne l’avancèrent.
Alors est ainsi demeurée sur les chars immobiles
Cette aile déployée.
Un aigle par une mouche soulevé
Fut de trois cent pieds précipité.
J’ai vu la poussière de la terre.
Ce fut hier
Et c’est vrai.
J’ai lutté avec la chimère
Celle qu’on ne peut saisir.
Elle enlaça mes jambes
Ma jeta sur le sol.
J’ai dû souffrir.
Je ne sais qui de ces monts circulaires
Me lance cette pierre
Pour me défigurer.
Le poisson monte sur le peuplier
Pour lécher la poix et la saumure.
La cigogne accouche d’un âne.
Entendez-vous cette chanson ?
J’ai parlé bas à l’aveugle le sourd m’a compris
Le muet a dit ma secrète pensée plus haut que je ne puis.
Yunus enfin a prononcé le mot qui n’est à rien semblable
Et dont le sens n’existe à cause des médisants. »
Yunus Emré
Poèmes
Choisis et traduit par Yves Régnier avec le concours de Burhan Toprak
GLM, 1949
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dimanche, 29 décembre 2019
Natsume Sôseki, « Dénigrement de soi servant à clore le cahier des “Copeaux” »
« Regardant à froid, je suis aise de m’éloigner du monde,
Et déraisonnable et si lent à m’attirer les louanges.
Prêt à brocarder les modernes, j’abandonne leur temps ;
Proche de dauber les anciens, je fréquente leurs livres.
Mon talent semble un vieux bidet poussif autant qu’ombrageux,
Mon savoir tient de la dépouille d’insecte mince et vide.
Il me restera ce faible pour les brumes du voyage.
Jugeur de fleuves et de montagnes, je dors sous le chaume. »
septembre 1889
Natsume Sôseki
Poèmes
Traduit du chinois (Japon), présenté et annoté par Alain-Louis Colas
édition trilingue, chinois, japonais, français
Le bruit du temps, 2016
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lundi, 16 septembre 2019
Natsume Sôseki, « 16 septembre 1916 »
Surtout connu pour ses romans et nouvelles – Je suis un chat, Botchan, Oreiller d’herbes, Petites contes de printemps, À travers la vitre… –, Sôseki a écrit tout au long de sa vie des poèmes en chinois classique (kanshi) qui sont des merveilles de précision, d’émotion, et qui, utilisant les modalités de la poésie chinoise la plus classique, expriment le plus justement sa pensée, son existence, preuves magnifiques d’une rare lucidité sur lui-même et son temps.
« Quand la pensée s’attache au blanc nuage, l’esprit se pose.
À voir sa propre silhouette, on se sent en compagnie.
Discrètes fleurs s’ouvrant sans effort près de ce ruisselet ;
Fine pluie venant paisiblement delà cette fenêtre.
Prendre sa canne pour aller jusques aux stèles brisées ;
Alarmer des oiselets en passant le pontet moussu.
Les fragrantes orchidées que conserve un vallon désert,
Une exhalaison dans le pays des êtres de valeur. »
Natsume Sôseki
Poèmes
Traduit du chinois (Japon), présenté et annoté par Alain-Louis Colas
édition trilingue, chinois, japonais, français
Le bruit du temps, 2016
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samedi, 05 août 2017
Natsume Sôseki, « Poèmes »
DR
« 20 août 1916
Mes tempes sont mal en point, où poussent toutes ces blancheurs ;
Ces fleurs du temps annoncent qu’un beau jour on a décliné.
Dans la fragrance et la fétidité, quelle est notre quête ?
En un rêve de papillon nous menons notre existence.
Sandales descendant les degrés, la rosée se disperse ;
Siège déplacé sur le pavé, les cigales s’alarment.
Le vent salubre partout présent, l’ombre de ce musa,
Qui berce ma sieste de ses longues feuilles si légères. »
Natsume Sôseki
Poèmes
Traduit du chinois (Japon), présenté et annoté par Alain-Louis Cola
Trilingue – chinois, japonais, français
Le Bruit du temps, 2016
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