mercredi, 01 avril 2020
Wallace Stevens, « La maison était tranquille et le monde était calme »
DR
« La maison était tranquille et le monde était calme.
Le lecteur devint le livre ; et la nuit d’été
Fut comme l’être conscient du livre.
La maison était tranquille et le monde était calme.
Les mots furent parlés comme s’il n’y avait pas de livre,
Sauf que le lecteur s’inclinait vers la page,
Voulait s’incliner, voulait être avant tout
L’étudiant pour qui son livre est vérité, pour qui
La nuit d’été est comme la perfection de la pensée.
La maison était tranquille parce qu’elle devait l’être.
La tranquillité faisait partie du sens, partie de l’esprit :
Accès parfait à la page.
Et le monde était calme. La vérité dans un monde calme,
Dans un monde où il n’y a pas d’autre sens, lui-même
Est calme, lui-même est l’été et la nuit, lui-même
Est le lecteur qui se penche et qui lit. »
Wallace Stevens
Description sans domicile
Choix traduit de l’américain et préfacé par Bernard Noël
Unes, 1989
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vendredi, 01 mars 2019
Charles Reznikoff, « La Jérusalem d’or »
DR
« 24
JUILLET
Personne dans la rue, sauf un moineau ;
il sautille sur le trottoir luisant,
et finit par s’envoler – dans un arbre poussiéreux.
25
Autour d’une excavation
une flopée brillante de lanternes rouges
s’est installée.
26
Les ramilles du buisson de notre voisin sont si fines,
que j’en distingue à peine les lignes noires ;
les feuilles vertes semblent flotter dans l’air.
27
Le buisson aux fleurs rouges criardes est dans l’arrière-cour –
pour les seul yeux de sa maîtresse, des chats
et des papillons blancs.
28
La chatte dans la cour de notre voisin est prise
de convulsions :
du vert jaillit de sa bouche sur le dallage –
elle vient d’ajouter une feuille à leur jardin. »
Charles Reznikoff
La Jérusalem d’or
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par André Markowicz
Unes, 2018
https://www.editionsunes.fr/catalogue/charles-reznikoff/l...
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lundi, 25 février 2019
Flora Bonfanti, « Lieux exemplaires »
DR
« Le feu allait et venait d’une maison à l’autre. Chercher le feu chez le voisin était motif suffisant pour qu’une femme sorte seule la nuit. Un mari crédule en témoigne :
Elle est revenue au lever du jour. Je lui demande d’où : La lumière éclairant notre enfant s’est éteinte, me dit-elle, je suis allée la rallumer chez le voisin.
Que serions-nous sans nos voisins, toujours prêts à rallumer notre feu au besoin ?
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Les femmes connurent le feu avant les hommes. Quand ils revenaient de la chasse, elles le cachaient à l’intérieur de leurs vulves »
Flora Bonfanti
Lieux exemplaires
Unes, 2018
https://www.editionsunes.fr/catalogue/flora-bonfanti/lieu...
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samedi, 24 mars 2018
Ludovic Degroote, « La Digue »
« Emboîtant le pas, toujours en train de se quitter, écrivant ailleurs, d’une même voix.
Ce qu’on vit pèse plus que la solitude des autres réunie. On est généreux le temps d’un mot, qui dure le temps qu’on le dit.
On est là les yeux fermés, exactement comme si c’était une attente. Quand la pluie mouille, l’intérieur est d’abord atteint au cœur, ça va ensuite autour ; là où l’intérieur et le dehors se confondent c’est le plus impossible à toucher, là seulement où la tête repose au plus près.
[…]
On meurt, on n’a rien demandé, c’est le premier geste qui nous porte à l’habitude, on se défait des images, quand on dort et qu’on ne voit rien, c’est là le meilleur, pas d’humidité à l’intérieur, on est effacé, comme si on avait disparu de soi.
On est au début de la digue, au bout on est à la fin, si on n’a pas fini on revient, s’entassant là, se taillant une mémoire, un relief, par passages successifs, on s’occupe d’une place, on ne pense à rien, on est bien, on vit. »
Ludovic Degroote
La Digue
Editions Unes, 1995, rééd. 2017
https://www.editionsunes.fr/catalogue/ludovic-degroote/la...
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vendredi, 08 janvier 2016
Sylvie Fabre G., « Dans la lenteur »
« J’ai toujours prononcé un nom que je ne connaissais pas. Je l’ai cherché dès l’enfance dans les livres et les images. Je l’ai senti quelques fois au gré de la lumière ou du vent. Il se dessinait sur mes lèvres, il arrivait sur ma langue comme une herbe de printemps. J’ai pensé le recueillir comme se recueille le temps, malgré son indéchiffrable.
*
Nulle enfance ne peut être muette, et le cri que tu portes en toi se reflète dans tes yeux. Ou ne fait-il que retentir en moi ?
Je l’entends, je le lis dans tes mots. Il ne trouve pas refuge. Jamais. Son intensité est dans la solitude. Dans le miroir son silence. Il m’apprend le plus délaissé, le fragile et tout l’inassouvi.
Le poème est son accomplissement. Et je l’écris pour vaincre l’oppression. Si douloureux tu sais l’inexprimé, jamais tari. Jamais. »
Sylvie Fabre G.
Dans la lenteur
Unes, 1998
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jeudi, 10 décembre 2015
Pia Tafdrup, « Les Chevaux de Tarkovsky »
LE MOYEU DE LA ROUE
Elle tourne et elle tourne,
la roue ne retourne jamais
À LA MAISON –
le monde est en feu.
Je suis en mouvement
généré en écriture.
Ce que je dis
sont des mots
parvenus du moyeu de la roue.
Depuis ses profondeurs
l’écrin déborde
secrètement
comme les pierres flottent
sur la surface de la mer
des champs de mon père.
Des ronds s’étendent
perçants.
Les yeux, les oreilles,
le pouls fracassant du cœur.
Il y a suffisamment de place
pour que six milliards ou plus
d’êtres esseulés
sans se noyer
puissent contempler
la nuit noire, béante, ondoyante.
Pia Tafdrup
Les Chevaux de Tarkovsky
Traduit du danois par Janine et Karl Poulsen
Unes, 2015
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samedi, 20 juin 2015
Caroline Sagot Duvauroux, « ’j »
« Les anémones bleues délivrent des bourdons noirs. On est parti du cœur. Y retourne-t-on ? Aider quelqu’un aiderait. On s’est trahi pour ramasser une forme, on a trahi la course, ravi. C’est l’amour qui accomplit la beauté. Au cœur. On vit tout ce qui fut vécu par d’autres. On se nomme encore quelle bizarrerie. On ne sait plus lire. On voudrait dire je ne sais plus lire mais d’où vient que je puisse l’écrire. On est trop vieux des yeux, des yeux à la pensée, trop vieux. Les anémones bleues s’installent dans les yeux. On pense. Ça ne concerne pas les yeux.
Rejoindra-t-on le cœur ?
Le cœur tout noir est un bourdon. Très doux. On voudrait dire je le délivre, regarde. Oui, regarde on voudrait dire mais on ne dit rien à cause du maître chien. Alors sèchent des amours tout autour d’ici là. Là c’est un bulbe, sûr, mais combien de temps faut-il considérer les fanes, ici ? D’ici là s’emplit de faneries qu’en fera-t-on. Plier, déplier, tapisser, le ciel, un bout, un mouchoir touche au fond du puits, touche le fond par rien entre, on voit le nandina sur le bord. Joli feuillage. On entend qu’un souffre à l’épaule et puis qu’il meurt. On ne va pas parler de ça qui n’aide pas. Une peinture légère aiderait. Qui vous a posé sur le monde avec cette pensée compliquée, le rire si facile ? On ment c’est constitutif on ne peut tout de même pas avouer parce que l’aveu n’importe pas, l’aveu si, mais la chose à avouer pas du tout. »
Caroline Sagot Duvauroux
‘j
Unes, 2015
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jeudi, 27 novembre 2014
Ludovic Degroote, « José Tomás »
« pourquoi ferais-je un poème s’il n’y a pas à en faire – aligner les vers ne fabrique qu’un alignement de vers ; je n’ai pas de théorie sur ce qu’il faudrait faire de plus ; le poème en soi ne porte rien de mieux : il ne porte que si c’est devenu un poème : ce qui fait basculer dans le poème – j’en reviens toujours au même
les mauvais poèmes qu’on pourrait faire sur la tauromachie, le torero, le toro : ils se pressent à la porte ; on peut y glisser un picador ou un banderillero : ça ne fait pas de mal et ça joue couleur locale ; la chute parfaitement adapté à la mort : n’oublions pas les métaphores et les symboles : ça profite à l’esprit
pendant ce temps, josé tomás a laissé son corps à l’hôtel : ce sont ses propres mots
il faudrait parler des accidents : non pas l’accident qui vous mène à l’infirmerie des arènes, mais celui qui crée un angle lorsque vous écrivez, qui vous embarque soudain dans une direction inattendue et imprévisible – l’accident est une propriété de l’art : choisir ou non de l’intégrer pose un problème qui rejoint la question du risque
je suppose que josé tomás n’est pas cantonné à ce qu’il évalue que permet le toro : il doit se tenir disponible à un imprévu qui ouvrirait une possibilité qu’il ne pouvait deviner, et dont la surprise laisse entendre qu’elle ne pourrait l’être, alors qu’elle rompt avec ce qui précédant autant qu’elle s’inscrit dans une logique de l’imprévisibilité
chez l’artiste, l’errance peut provoquer l’accident – pas dans l’arène
beaucoup d’errances dans la vie peuvent mener à écrire »
Ludovic Degroote
josé tomás
Éditions Unes, 2014
Signe du toro du 21 octobre 2012 : http://www.dailymotion.com/video/xuhq3d_signes-du-toro-sp...
20:29 Publié dans Édition, En fouillant ma bibliothèque | Lien permanent | Tags : ludovic degroote, josé tomás, unes