mercredi, 14 août 2013
Jean-Jacques Viton, « Zama »
Jean-Jacques Viton, lecture au MAC, Poésie Marseille 2011© Claude Chambard
« Zama mâche des trouvailles
croûtons et concombres
assis sur une grosse pierre
deux chiens roux devant lui
tous les trois forment un petit groupe
éloigné du tumulte imprécis
immobiles ensemble ils sont là
se regardent attendent les surprises
très haut un grand oiseau noir
les ailes étendues fixes solides
il plane il glisse dans un immense ciel
c’est le sien il le domine seul
une barre grise dans le loin
brouille un peu le fond
si l’ensemble basculait cette frange
deviendrait le toit du vide
où règnerait toujours l’oiseau obstiné
Zama regarde intensément
il se sent triste il est comme abandonné
Zama ne sait pas où il se trouve »
Jean-Jacques Viton
Zama
P.O.L, 2012
18:19 | Lien permanent | Tags : jean-jacques viton, zama, p.o.l
mercredi, 07 août 2013
Éric Faye, « Nagasaki »
« Je me dis qu’il faudrait inscrire dans toutes les constitutions du monde le droit imprescriptible de chacun à revenir quand bon lui semble sur les hauts lieux de son passé. Lui confier un trousseau de clés donnant accès à tous les appartements, pavillons et jardinets où s’est jouée son enfance, et lui permettre de rester des heures entières dans ces palais d’hiver de la mémoire. Jamais les nouveaux propriétaires ne pourraient faire obstacle à ces pèlerins du temps. J’y crois fort, et si je devais renouer un jour avec l’engagement politique, je me dis que ce serait l’unique point de mon programme, ma seule promesse de campagne… »
Éric Faye
Nagasaki
Stock, 2010
15:27 Publié dans Écrivains | Lien permanent | Tags : éric faye, nagasaki, stock
dimanche, 04 août 2013
Eduardo Berti, « La Vie impossible »
Le Don
« Tout comme Funes peint par Borges, ma mère avait le don de savoir l’heure sans avoir besoin de consulter une montre. Elle vécut durant presque vingt ans dans l’ignorance de cette faculté, jusqu’au jour où quelqu’un, une voisine à ce que je crois, la lui fit remarquer. Dès lors, ma mère ne porta plus jamais de montre à son poignet.
Quand j’étais enfant, l’exactitude avec laquelle elle pouvait dire l’heure me stupéfiait. Pourtant, ce don la troublait tant qu’elle m’avait interdit de la divulguer au-delà du cercle familial. Je devais avoir quatorze ans quand mes parents et moi fîmes un voyage au Luxembourg. Nous étions tous trois dans un café et j’eus l’idée de lui demander l’heure, ce à quoi elle me donna sans sourciller une heure incorrecte, une heure impossible pour ce moment de la journée. “Tu t’es trompée”, lui dis-je, étonné. C’était la première fois que je la voyais se tromper. Mais mon père signala qu’il n’y avait aucune erreur, que ma mère avait donné l’heure de Buenos Aires, car les dons sont liés, profondément, à l’endroit où on les a reçus. »
Eduardo Berti
La Vie impossible
Traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu
Coll. Le Cabinet de lecture, dirigée par Alberto Manguel
Actes Sud, 2003
14:45 Publié dans Écrivains | Lien permanent | Tags : eduardo berti, la vie impossible, jean-marie-saint-lu, alberto manguel, actes sud