Tarjei Vesaas, « Vie auprès du courant »
« Le Chemin
Les traces ne paraissent pas.
N’estampillent pas les flaques de boue,
les fondrières.
Le pied a été léger.
Mais celui qui est arrivé connaît le chemin.
Sait l’encoche essentielle
où placer le pied.
Arrive au sommet de la colline et contemple heureux
le chemin plus loin devant.
S’allonge sur le coteau pour se reposer
et attend de la compagnie.
Les voilà qui se présentent, tels d’aimables conseillers,
ceux qui ont déjà pris leur forme.
Il nous semble pouvoir leur parler de
nos affaires les plus secrètes,
tout en taillant une baguette
avec un petit canif.
Nous sommes tous rassemblés. Personne ne le sait
ni ne le saura.
Nous taillons de baguettes et les plantons dans la terre
et parlons jusqu’au coucher du soleil.
Après, alors que le crépuscule descend sur nous,
nous en savons davantage :
Il nous faut marcher dans le noir,
en grands virages et lacets.
Nous ne disons plus un mot.
Si nous parlions, le chemin sombrerait.
Mais arriver, personne n’ose le mentionner.
Cela doit se produire sur le vaste site
où des bassins limpides confluent
des quatre vents,
et fusionnent
en immenses espaces transparents
sans le savoir, sans le vouloir.
On est alors arrivé
et l’on n’est plus. »
Tarjei Vesaas
Vie auprès du courant – 1970
Traduit du nynorsk par Céline Romand-Monnier
avec la complicité de Guri Vesaas & Olivier Gallon
bilingue
postface d'Olivier Gallon
La Barque, 2016