mercredi, 29 juin 2016
Tarjei Vesaas, « Vie auprès du courant »
« Le Chemin
Les traces ne paraissent pas.
N’estampillent pas les flaques de boue,
les fondrières.
Le pied a été léger.
Mais celui qui est arrivé connaît le chemin.
Sait l’encoche essentielle
où placer le pied.
Arrive au sommet de la colline et contemple heureux
le chemin plus loin devant.
S’allonge sur le coteau pour se reposer
et attend de la compagnie.
Les voilà qui se présentent, tels d’aimables conseillers,
ceux qui ont déjà pris leur forme.
Il nous semble pouvoir leur parler de
nos affaires les plus secrètes,
tout en taillant une baguette
avec un petit canif.
Nous sommes tous rassemblés. Personne ne le sait
ni ne le saura.
Nous taillons de baguettes et les plantons dans la terre
et parlons jusqu’au coucher du soleil.
Après, alors que le crépuscule descend sur nous,
nous en savons davantage :
Il nous faut marcher dans le noir,
en grands virages et lacets.
Nous ne disons plus un mot.
Si nous parlions, le chemin sombrerait.
Mais arriver, personne n’ose le mentionner.
Cela doit se produire sur le vaste site
où des bassins limpides confluent
des quatre vents,
et fusionnent
en immenses espaces transparents
sans le savoir, sans le vouloir.
On est alors arrivé
et l’on n’est plus. »
Tarjei Vesaas
Vie auprès du courant – 1970
Traduit du nynorsk par Céline Romand-Monnier
avec la complicité de Guri Vesaas & Olivier Gallon
bilingue
postface d'Olivier Gallon
La Barque, 2016
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mercredi, 22 juin 2016
Jacques Roman, « Proférations »
© : dcollin
« Le 19. 1. 1991 échoué
… veilleur ne criera pas éveillé échoué immobile boule dans la gorge en janvier œil sur la mort drapée d’étoiles et de galons aux quatre points cardinaux oubliés n’écrira pas sur les murs du vieux monde sa honte portée devant vous échoué à l’heure qu’il est ce soir il tourne en rond tandis qu’on lui arrache la bonté prie que soit donné à l’enfant pitié des années et des années d’oreille lui échoué muet sans rôle ici ne blâmez pas son espoir en vous l’être a fait son feu consolation par tous les pores de la peau entendez veilleur ne criera pas échoué n’écrira pas éveillé échoué en janvier parmi les miettes éparpillées de la joie qui nous fut ciel ici supplie brûlez ces mots toute la fausse monnaie afin que ne tombent et sa vie et la vôtre en été tous sens à l’abîme échoués la boule en la gorge nommez-la amour encore là-bas demain où sa poussière dansera dans un autre janvier où n’aura plus cours cet enfer qui prit en toutes lettres nom d’homme jusqu’en ce sable échoué terrassier de l’interminable dans la énième heure du matin ici où ne criera pas en janvier veilleur éveillé la boule en la gorge où ne saignons ni vous ni lui pourtant écoutez l’entendez-vous cette parole allant dans le silence ainsi l’abandonnant où le sang coule… »
Jacques Roman
Profération
Éditions Isabelle Sauvage, 2016
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lundi, 20 juin 2016
Ishikawa Takuboku, « Une poignée de sable »
« Tôt ce matin
écrite par cette jeune sœur qui a déjà passé l’âge de se marier
j’ai lu une lettre qui ressemblait fort à une lettre d’amour
Que quiconque la lisant
ne puisse m’oublier
telle est la longue lettre que je voulais écrire ce soir
Grondé
un cœur d’enfant éclate en sanglots
Tel est le cœur que je voudrais avoir
Comme une bête malade
mon cœur
dès qu’il entend parler du pays s’apaise
Souffrance de l’errance que je n’aurai su rendre
dans ce brouillon dont l’écriture
m’est si pénible à relire !
Quelque part
traîne comme une odeur de peau de mandarine brûlée
voici le soir
Venu dans ce parc un jour de beau temps
en marchant
j’ai pris conscience du déclin tout récent de mes forces »
Ishikawa Takuboku
Une poignée de sable
Traduit du japonais par Yves-Marie Allioux
Philippe Picquier, 2016
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samedi, 18 juin 2016
Pascal Quignard, « Critique du jugement »
© : cchambard
« La beauté est comme l’oiseau qui se réveille sur la branche dans l’aurore. Il prend son envol dès le premier rayon du jour. L’embellissement de la beauté au sein d’elle-même, telle est la modification de l’aube. Elle n’a pas d’autre fin que l’envol dans la première lueur pour rejoindre la source de la lumière naissante. La moindre araignée, la moindre mouche s’insère dans le jaillissement de tout ce qui est neuf, innocent, intact, irradiant. Alors la beauté est ce qui vient flotter dans l’extrême fraîcheur d’une espèce de natalité sans fin. Vague invisible dans l’air qui s’élève, qui ne retombe tout à coup que pour se réélever d’une façon toujours plus neuve. Éclaboussement toujours imprévisible. La beauté est contiguë à une liberté sans fin. »
Pascal Quignard
« Sur la merveilleuse ignorance divine »
Critique du jugement
Galilée, 2016
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mercredi, 15 juin 2016
Isabelle Baladine Howald, « Hantômes »
© : cchambard
« le sommeil les baisers ferment les yeux
sans la mort
ta bouche dans ma bouche – même souffle j’inspire
et expire ton souffle ne les distingue plus j’aimerais
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––
fermer les yeux
– je ne veux pas
fermer les yeux –
Le gris bleu violet de l’iris, inimitable, j’ai laissé
ses yeux entrouverts,
je pas, peux pas, fermé
–––––––––––––––––––––––––––––––––––––
L’élégie est l’arrivée et rien qu’elle.
Hantômes est le livre pour les enfants, à leur place –
de morts.
Fente. Déplacement définitif.
Non remplacés, regarde l’espace entre le carton
inséré et les bords en métal ou en bois, flottant,
non remplacés, non remplacé l’espace, non remplacé
le cœur de lui, et de lui, et de lui. Flottant battements
inaudibles. »
Isabelle Baladine Howald
Hantômes
Éditions Isabelle Sauvage, 2016
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mardi, 07 juin 2016
Claude Dourguin, « Points de feu »
Andrea di Bartolo, dit Solario, La Déploration sur le Christ mort,
Musée du Louvre, cliché A. Dequier - M. Bard
« Dans la Lamentation sur le Christ mort d’Andrea Solario, le fond du panneau, par ses bleus, son paysage de monts et de rivière se dégageant de falaises, évoque Patinir. Une tranquille irréalité, le songe acclimaté ici-bas avec une part de sa force rayonnante, la plénitude radieuse qui nous attend, l’assurance d’un autre pays – où est résolu ce qui nous obsède, où l’on a fait siens les secrets contre quoi nous nous heurtons mais leur charge de mystère nullement niée, présente comme familière sinon domestiquée (à l’instar de certain lion promenant sa majesté parmi les livres.) Des constructions humaines, villes et châteaux en campagne, bois et champs, une connivence tout à la fois humble et glorieuse, chaque élément répond à l’autre sans dureté, nul ne fait allégeance, chacun échange ses qualités plutôt, afin que notre séjour soit plus riche aux marches de l’au-delà. Le peintre murmure, pressent ce qu’affirmera Patinir : que l’ailleurs est atteignable, peut-être même ici, à notre portée. Il suffit de parcourir, le monde s’ouvre à mesure que nos pas nous conduisent. Le rêve . – notre destinée. »
Claude Dourguin
Points de feu
Éditions Corti, 2016
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samedi, 04 juin 2016
Jennifer Barber, (Portail)
© : cchambard
(Portail)
Hier la corde à linge
s’est effondrée sur le sol
dans le vent, la pluie a laissé place
à une autre pluie, plus fine,
qui a dissous la baie. J’ai vu
un traquet à la mangeoire,
une mésange noire, un chardonneret, un roitelet,
une éclaboussure de soleil
sur le fuchsia trempé.
Un bras géant, invisible,
a dévié un nuage de la montagne
jusqu’à la plage, puis dans l’autre sens.
Soulevant le loquet du portail, j’ai entendu
sept années d'abondance
suivies par sept de disette
dans les maisons en ruines sur la colline.
Jennifer Barber
traduit de l’américain par Emmanuel Merle
in revue Rumeurs
La Rumeur libre 2016
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jeudi, 02 juin 2016
Septain — des flux — de Vézelay
© : cchambard
Premiers jours de juin cette année ci.
Ils donnent à voir un visage du monde gris, assez irréel.
On se sent fébrile sous la pluie incessante.
La route est coupée, les champs sont inondés – en bas.
Qui suis-je pour savoir si les flux sont bienveillants
ou malveillants
ou neutres…
Claude Chambard
L’image première
travail en cours
19:53 Publié dans Travaux personnels | Lien permanent | Tags : claude chambard, maison jules roy, vézelay
mercredi, 01 juin 2016
Septain – humide – de Vézelay
© : cchambard
Cinquième mois. Pluie sans cesse, de toits en vallées.
Montées des brumes. Deux coulées de musique.
Rythme sur le zinc & les tuiles plates.
La vallée s’amuse à tourner le dos à la basilique inquiète.
J’écoute la pluie, le vent. La maison grince.
Un rêve de printemps. La même scène le matin.
Des choucas, des coquelicots, des roses, des statues & des gouttes, des gouttes.
Claude Chambard
L’image première
travail en cours
21:29 Publié dans Travaux personnels | Lien permanent | Tags : claude chambard, maison jules roy, vézelay