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« ROSIER
 
J’ai déterré mon grand-père   par accident
en plantant le rosier derrière l’appentis
 
Ses cheveux enterrés de longue date sont aussi doux et blancs
qu’une toile d’araignée, et l’araignée est argentée
et elle la tisse   la tisse
et en se relevant, il me dit :     Bon
je n’ai pas beaucoup de temps pour t’expliquer, ma chérie
alors il faudra que tu organises tout
toute seule   Assure-toi de trouver une place
pour chacun de nous
 
Mon grand-père me parle gentiment depuis la mort
et les mots sont si étincelants qu’ils volent
autour de sa tête comme une pluie
d’oiseaux éblouissants   et je suis soulagée de voir
que cette modeste tombe
ait pu comprimer toute cette douleur en lumière d’étoiles
dans mon propre jardin   où un beau jour mes enfants
pourront entailler le chagrin
à coups de burins et de piques
et le faire briller et le brandir à la lumière 
du soleil   pour voir clairement la douleur dans la mort
comme je n’ai jamais pu la voir dans la vie   Les enfants
voici l’endroit
où votre arrière-grand-père
s’est changé en cendres de verre   C’était un homme
qui pleurait des larmes étincelantes
qui sa vie durant a bu
et pour qui le tourment se sirotait pur
 
C’était un homme gentil qui détestait les enfants
mais aimait les victimes et savait
quelles chairs palper parmi les plus tendres
et les abîmés de la vie le connaissaient à des kilomètres à la ronde
et l’appelaient par son nom
 
Mais voyez   sa souffrance s’est changée
en une poussière d’étincelles si fine qu’elle choque le regard
La mort doit finalement lui convenir
La mort doit énormément lui plaire
 
Il dit :   Bon
Assure-toi de prévoir largement pour les uns et les autres
et n’aie pas peur   nous serons rentrés lundi
et personne ne saura jamais que nous sommes partis
 
Je délire de joie comme un enfant fiévreux
et me rend compte qu’il est la source
de toute musique   de toute la musique
que ma vie a créée   de lui émane un chœur aveuglant
et je pleure enfin   à genoux 
dans la terre   les bras chargés d’épines   je
suis prêt à le suivre   n’importe où   prête
à emmener tout le monde avec moi
 
Mais quand vient le jour   (car il vient)
je ne suis plus si sûre   je
ne suis plus si sûre d’être
prête à partir »
 
Laura Kasischke
Mariées rebelles
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy
Préface de Marie Desplechin
Page à Page, 2016