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  • Jacques Roman / Bernard Noël, « Du monde du chagrin »

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    « J. R. – Le fleuve de l’écriture, ses deux berges, la berge de la jouissance, la berge du chagrin, et dans les profondes rainures du fond de son lit, la musique, seule puissance à unir en fête cela qui à fleur d’eau tourbillonne, tourbillonne.

     

    B. N. – L’écriture invente à mesure ce dont elle fait semblant de parler afin de disposer d’un alibi devant la réalité Peu lui importe son sujet, mais il lui en faut un comme outil pour creuser son lit dans l’inconnu. »

     

    Jacques Roman, Bernard Noël

    Du monde du chagrin

    Paupières de terre, 2006

  • Emmanuel Darley, « Des petits garçons »

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    « Je suis un petit garçon qui joue dans une maison. Je galope dans le couloir, je suis un cavalier, dépassant son ombre, soulevant la poussière. À la sortie du canyon, j’entre dans le salon. Un monsieur m’attend. C’est un petit homme un peu rond, avec, retenu par une ceinture de cuir, un ventre qui dépasse. Il me prend par la main, il m’entraîne vers l’entrée. Nous descendons l’escalier, nous passons la porte cochère, nous marchons dans la rue. Je me tourne vers la maison. Elle est à la fenêtre, elle me regarde partir, ne fait pas un geste. Main dans la main, le petit homme et moi, nous prenons le chemin de la promenade. »

     

    Emmanuel Darley

    Des petits garçons

    P.O.L, 1993

  • Ludovic Janvier,« La confession d’un bâtard du siècle »

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    « Tu aimes rester longtemps debout sous l’odeur du figuier, tu aimes écouter le grincement de la brouette pleine d’herbe aux lapins, tu aimes rentrer lentement de la messe en freinant la journée du dimanche, tu aimes écouter le tombereau passer à vide avec son bruit carré, tu aimes les énormes jambes de la Lisette la jument avec ses poils comme des gros cheveux, tu aimes le sifflement de la meule mouillée quand on aiguise les serpes et les faucilles, tu aimes cueillir les arbouses sur leur arbre en bordure du bois, tu aimes quand tu te torches avec des poignées d’herbe et qu’on entend le coucou, tu aimes quand l’orage noir éclate en tonnes de pluie qui mitraillent, tu aimes le silence à midi avec au milieu le bruit du seau qu’on remonte du puits, tu aimes le froissement de drapeau fait par les ailes de la buse qui remonte au ciel, tu aimes écouter le vent dans les feuilles du petit palmier qu’on appelle satre, tu aimes fixer le feu dans la cheminée et rougir lentement grâce à lui, tu aimes le vin blanc doux avec son épaisseur plein la bouche, tu aimes voir arriver sur le chemin le gros facteur congestionné sur son vélo qui zigzague, tu aimes l’odeur de corne brûlée qui vient de chez le maréchal-ferrant, tu aimes le Tantum ergo qu’on chante aux vêpres avec son goût d’automne, tu aimes voir le soc de la charrue déchausser les pieds de vigne et les rechausser, tu aimes le tango parce qu’il tape à coups de talon mais dans quoi, tu aimes quand le joug de la paire de bœufs fait craquer le cuir contre le bois, tu aimes écouter le moteur du car quand il s’étouffe en remontant la côte, avec la pince à épiler tu aimes glisser les timbres de ta collection entre les feuilles de l’album, tu aimes entendre le chant du coq lorsqu’il fend l’ennui par le milieu, le samedi soir tu aimes arriver au bal en entendant la musique de loin, tu aimes quand l’odeur du foin respirée à fond donne le vertige. »


    Ludovic Janvier
    La confession d’un bâtard du siècle
    Fayard, 2012

    http://www.dailymotion.com/video/xpgvet_ludovic-janvier-la-confession-d-un-batard-du-siecle_news