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  • Xin Qiji, « L’année “jihai” de l’ère Chunxi, je fus muté… »

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    DR

     

    Air : “Poisson attrappé”.

    L’année jihai de l’ère Chunxi, je fus muté comme commissaire de circuit du Hubei au Hunan. Lors d’une fête que je donnai avec le fonctionnaire Wang Zhengzhi dans le pavillon de la petite montagne, je composais ces paroles :

     

    Combien d’orages encore pourrais-je endurer ?

    À toute allure, le printemps s’est de nouveau enfui.

    Je chéris tellement cette saison que toujours crains les fleurs trop tôt écloses,

    Et pire encore leurs rouges pétales qui choient innombrables.

    Printemps, demeure encore un instant !

    On m’a dit que dans les herbes parfumées aux confins du ciel, tu perds le chemin du retour…

    Ah ! Pourquoi ne dis-tu rien ?

    Seule une araignée, ce me semble, s’affaire

    À tisser sa toile sous l’avant-toit peint

    Et tout le jour séduit les chatons envolés…

    Tant d’histoire autour de la Grande Porte !

    L’heureuse rencontre tant attendue encore déçue ;

    Mes yeux de papillon les ont rendus jaloux !

    J’aurai beau payer de mille onces d’or la rhapsodie de Xiangru*,

    Mon doux et long amour, à qui pourrais-je le dire ?

    Seigneur, ne danse pas !

    Ne vois-tu pas les belles, Anneau de jade, Aronde en vol** – poudres et poussières !

    Nulle souffrance plus grande que d’être oisif et seul…

    Ne va pas t’appuyer dans de hauts belvédères :

    Le soleil couchant est juste là

    Où se brise mon cœur dans ces saules embrumés ! »

     

    * Allusion à la « Rhapsodie de la Grande Porte » composée par Sima Xiangru à la demande de Dame Chen, épouse de l’empereur Wu, assignée au palais de la Grande Porte après avoir perdu ses faveurs

    **Anneau de jade et Aronde en vol : surnoms de Yang Guifei, favorite de l’empereur Xuanzong des Tang, et de Dame Zhao, épouse de l’empereur Cheng des Han antérieurs, remarquée pour ses talents de danseuse.

     

    Xin Qiji (28 mai 1140 – 1207)

    In La dynastie des Song du Sud

    Traduit du chinois par Stéphane Feuillas

    Anthologie de la poésie chinoise

    La Pléiade/Gallimard, 2015

  • Joseph Roth, « la Toile d’araignée »

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    DR

     

    « Alors il se promena dans les rues, s’arrêta devant une vitrine et s’acheta une paire de bottes. Il lui semblait avoir grandi, comme s’il avait sous les pieds un sol nouveau, surélevé.

    Vers la fin de l’après-midi, le chant des oiseaux était émouvant et appelait la nuit ; il aborda une fille habillée en blanc. Dans le courant de la soirée, il entra dans un dancing, fut jaloux parce que la fille dansa trois fois de suite avec un monsieur de la table voisine et but un champagne acide. La fille – elle n’était pas de celles-là – réclama un bon hôtel ; Theodor dut louer deux chambres. Il lui fallut la laisser seule pendant un quart d’heure, puis il frappa à sa porte, tendit l’oreille, refrappa et ouvrit. La fille avait disparu.

    Il avait plus de chance auprès de ces jeunes femmes sans chapeau, vêtues de chemisiers tout simples et de vestes élimées, qui se contentaient d’une séance de cinéma. Il prenait garde à ce que ces petites diversions ne se transformassent pas en liens d’amitié ; par principe, il ne se rendait jamais à un rendez-vous.

    Il était content de lui, et convaincu que sa force de caractère et ses dons personnels lui avaient permis de faire en peu de temps ce quelques progrès.

    Il pensait avoir trouvé la seule activité pour laquelle il était fait. Il était fier de son talent pour l’espionnage qu’il qualifiait de “diplomatique”. Son intérêt pour les affaires criminelles grandissait. Il passait des heures entières au cinéma. Il lisait des romans policiers. »

     

    Joseph Roth

    La Toile d’araignéeDas Spinnennetz, 1923

    Traduit de l’allemand par Marie-France Charrasse

    Gallimard, 1970, rééd. L’Imaginaire/Gallimard, 2004

     

    Joseph Roth est né le 2 septembre 1894 à Brody (Galicie).

    Il est mort à Paris le 27 mai 1939.

  • Isabelle Baladine Howald, « Les états de la démolition »

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    © : cchambard

     

    « Je t’entends parler, je ne comprends pas, ta voix ne suffit pas, j’entends, tu dis que c’est une maison petite

    Le drap au-dessus, toujours essayer de dire.

    Ces minutes entières, comme sans figure, contournée,

    sans nom

    –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

    … ne sais pas ce qui s’est éloigné

    — branches sèches, tremblements

    gestes épars sur les visages perdus —

    ne sais pas

    –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

    …dirait la voix vieillie, et je répèterai sans comprendre.

    Il tentait de parler et n’y réussissait pas, cela encore

    aujourd’hui où peut-être il n’essaie plus.

    Comment céder, comment ne pas s’en écarter.

    –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

    Les maladies, la fatigue, ce qui m’use.

    les nuits — je ne dors pas —

    le tout à fait défiguré,

    et rien pour y répondre.

    Où allons-nous (je pense : mon ange),

    ne dis rien du secret.

    –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

    Je t’envoie des cahiers, des cartes postales,

    des livres.

    Je veux des baisers, de la pluie.

    Tournez-moi dans l’autre sens, que je puisse pleurer. »

     

    Isabelle Baladine Howald

    Les états de la démolition

    Encres de Suzanne Obrecht

    Jacques Brémond, 2002

     

    Isabelle Baladine Howald est née un 25 mai.
    Excellent anniversaire Isabelle.

  • Martin Buber, « Les récits hassidiques »

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    DR

     

    « Les soixante-dix langues.

     

    Rabbi Loeb, fils de Sara, le mystérieux Tsaddik itinérant, a raconté comme suit : « J’étais une fois chez le Baal-Shem pour le Sabbath. Le soir, avant le Troisième Repas, ses disciples les plus importants avaient pris place autour de la table, attendant l’arrivée du Maître. Ils disputaient ensemble de certain passage du Talmud dont ils s’apprêtaient à lui demander l’éclaircissement. Il s’agissait de la phrase qui dit : “Gabriel apprit à Joseph soixante-dix langues.” Chose incompréhensible, assuraient-ils, car chaque langue n’est-elle pas faite d’un nombre immense de mots ? Comment donc l’intelligence d’un seul homme, en une seule nuit – ainsi qu’il est dit dans le texte – saurait-elle se montrer capable de recevoir et de comprendre toutes ces langues ? Et ils convinrent, finalement, de charger Rabbi Guershom, le beau-frère du Baal-Shem, d’interroger le Maître sur ce point.

    Quand le Baal-Shem arriva et prit place au haut bout de la table, Rabbi Guershom lui posa donc la question. Et le Baal-Shem prit la parole, développant un commentaire qui semblait bien n’avoir aucun rapport avec le sujet, et où les disciples étaient incapables, en tous cas, de trouver la moindre réponse à la question qui les préoccupait. Mais voilà que se produisit tout à coup quelque chose d’inouï, tout à la fois inconcevable et sans explication possible : frappant la table au beau milieu du saint exposé, Rabbi Yaakov Yossef de Polna s’était écrié : “Le turc !” puis après un instant : “Le tartare !” et un moment après : “Le grec !” et ainsi continuait-il langue après langue, d’exclamation en exclamation. Peu à peu, ses compagnons comprirent que grâce à l’exposé du Maître, qui semblait traiter de tout autre chose, le disciple avait appris à connaître la source et l’essence de chaque langue. Car celui qui t’enseigne la source et l’essence d’une langue, c’est la langue elle-même qu’il t’a apprise. »

     

    Martin Buber

    Récits hassidiques

    Traduit de l’allemand par Armel Guerne

    Introduction traduite par Ellen Nadel Guillemin

    Éditions du Rocher, 1978, rééd. Points/Sagesse, 1996