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  • Pierre Guyotat, « Explications »

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    photo de couverture : Bettina Rheims

     

    « Plutôt que “travail”, utiliser le mot “composition”. Parce qu’il recouvre la fiction, la méthode et le résultat sonore. Comment expliquer aussi que les choses se fassent avec une aussi grande confiance, beaucoup de pensée, mais aussi beaucoup d’imprévisibilité. Je fais, mais je suis fait aussi ; c’est-à-dire que c’est la pratique rythmique qui me fait découvrir des idées, des grandes idées, des idées larges, qui me fait découvrir aussi la réalité, la réalité scientifique des évènements de la matière : à quel point la science touche à la poésie, il faut vraiment la pratique pour s’en apercevoir : le court-circuit est presque continuel. Tout problème poétique est un problème de sciences naturelles, de physique, de chimie. Si vous faites de la poésie et que vous restez honnête, vous ne pouvez pas vous écarter de la réalité scientifique des choses, de la science…

    Tout acte créateur engagé devrait faire comprendre tout. Les mots lèvent les pensées comme les chiens lèvent les lièvres. »

     

    Pierre Guyotat

    Explications

    Entretiens avec Marianne Alphant

    Éditions Léo Scheer, 2000

  • Natsume Sôseki, « Poèmes »

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    DR

     

    « 20 août 1916

     

    Mes tempes sont mal en point, où poussent toutes ces blancheurs ;

    Ces fleurs du temps annoncent qu’un beau jour on a décliné.

     

    Dans la fragrance et la fétidité, quelle est notre quête ?

    En un rêve de papillon nous menons notre existence.

     

    Sandales descendant les degrés, la rosée se disperse ;

    Siège déplacé sur le pavé, les cigales s’alarment.

     

    Le vent salubre partout présent, l’ombre de ce musa,

    Qui berce ma sieste de ses longues feuilles si légères. »

     

    Natsume Sôseki

    Poèmes

    Traduit du chinois (Japon), présenté et annoté par Alain-Louis Cola

    Trilingue – chinois, japonais, français

    Le Bruit du temps, 2016

  • Rainer Maria Rilke, « L’enlèvement »

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    DR

     

    « Enfant déjà, souvent elle échappait

    à ses bonnes pour voir naître au-dehors

    (car dedans ils sont autres)

    et la nuit et le vent ;

     

    mais nulle nuit de tempête n’avait

    jamais déchiqueté le parc immense comme

    aujourd’hui le déchiquetait sa conscience

     

    lorsqu’il la prit sur son échelle de soie

    et l’emporta bien loin, bien loin… :

     

    jusqu’à ce que la voiture fût tout.

     

    Et elle la sentit, cette voiture noire

    que la poursuite, en attente, guettait,

    et le danger.

    Elle la trouva tapissée de froid ;

    et le noir et le froid étaient aussi en elle.

    Elle s’enfouit dans le col de sa cape

    et toucha ses cheveux, comme s’ils restaient,

    puis entendit la voix étrangère

    d’un étranger lui dire :

    Jesuislàprèsdetoi. »

     

    Rainer Maria Rilke

    « Nouveaux poèmes » — deuxième partie, 1907

    Traduit de l’allemand par Jacques Legrand

    In Poésie, œuvres II

    Le Seuil, 1972

  • Jean Grosjean, « Apocalypse »

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    DR

    « Avec quel puéril sérieux les mouches s’entêtent à nous aimer les mains ! Un souffle dans l’herbe émeut des lames courbes, des bannières blanches et des chapeaux à graines.

     

    Chaque arbre hoche la tête à son tour, hausse l’épaule. L’hirondelle à gorge de veilleuse glisse sur les rails de l’air. Oh ! quand elle vire, la lueur marine de son dos.

     

    Un bourdon s’affaire à ce bruit d’usine qu’il mène entre les iris jusque, silence ! son tête-à-tête dans l’abside avec le dieu suc. Au loin s’égosille un coq.

     

    Le ciel du dimanche perché sur la colline, les friches lui tiennent tête de leurs dards et de leurs torches, sainte ferveur du schisme dont nos douleurs ne furent que l’ombre.

     

    Les laboureurs ont quitté l’entrain ouvrable, et les mineurs les houilleux Érèbe. Ils errent en veste entre les fermes avec des fragments de phrases. Fermons les yeux pour qu’au fond des bois le coucou faiblement coucoule.

     

    La flamme bleue du jour fuit lente avec de brèves braises de couchant à sa pointe. La face creuse du ciel se retire en soi sans détourner de moi ses yeux de cendre.

     

    Les ténèbres n’osent encore leur faction hérissée de lances ni furtif l’amour planter le maigre mai dont rougisse une servante à l’aube.

     

    Un arbre que l’hiver visitait de plaintes, déploie dans la fosse d’en haut son envergure. Son feuillage profère à voix basse cette mort que notre mort désire. »

     

    Jean Grosjean

    « La Vehme à l’œuvre » in Apocalypse

    Gallimard, 1962

    Repris in La Gloire, précédé de Apocalypse, Hiver et Élégies

    Préface de Pierre Oster

    Poésie/Gallimard, 2008