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  • André Bernold, « J’écris à quelqu’un »

    andré bernold,j'écris à quelqu'un,jean-pierre ferrini,fage

    DR

     

    « Je ne suis écrivain que très accessoirement. Plutôt un graphomane. Même pas un écrivain de l’empêchement. Mais la formule de Beckett est juste. Il suffit de remplacer un mot. Je suis un vivant de l’empêchement. Je vis ce qui m’empêche de vivre. Là, c’est juste. Ça veut simplement dire que je suis malade. Un malade comme un autre. Dans ce que j’écris au fil de la plume je ne sais pas ce qui est bien ou pas bien, parce que j’écris dans un moment d’oubli, pas de récollection. J’écris à quelqu’un dont je me souviens, à partir de l’oubli que je ne conjure qu’un instant pour cette personne. Sinon rien. »

     

    André Bernold

    J’écris à quelqu’un

    Pages recueillies et présentées par Jean-Pierre Ferrini

    Coll. « Particulière », Fage éditions, 2017

    http://www.fage-editions.com/livre/jecris-a-quelquun/

  • Song Lin, « Paysage dans l’œil d’un aigle »

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    © Pieter Vandermeer

     

    « 1

     

    Rien que le roc, la neige,

    noir sur blanc.

    Les rigueurs de l’hiver, les eaux ne coulent plus,

    les pins ont mis leurs cloches de verre.

     

    2

     

    Rien ne saurait remplacer

    l’élévation du roc.

    celle des sommets,

    sauf la neige qui les recouvre.

     

    3

     

    Des vols d’hirondelles dorment sous les eaux gelées,

    dans leur tanière, les ours bruns sommeillent,

    marmottes et hérissons s’assoupissent aussi,

    en eux s’amassent une neige de graisse.

     

    4

     

    Il n’y a pas de mots, pas de vendeurs de mots,

    nul hymne louant les noces, le pouvoir.

    Au Tibet, une armée s’enfonce sous la neige,

    inhumée dans l’oubli du clair de lune.

     

    5

     

    Le vent est inspiration, volonté,

    vitesse du sang en plein vol.

    Les ombres se déplacent, puis

    les griffes soudain lacèrent le silence.

     

    6

     

    Une réduction, essentielle, comme fait la terre

    pour les branches, les feuilles mortes, comme le roc

    dressé solitaire, dressé radieux,

    devenue fondement de toute sensation.

     

    7

     

    Même les étendues de neige gelée

    sont truffées d’amorces noires du soleil.

    Le paysage dans l’œil d’un aigle…

    poème sur la distance. »

     

    1998

     

    Song Lin – né en 1959 dans la province du Fujian

    in Le ciel en fuite – Anthologie de la nouvelle poésie chinoise

    Édition établie et traduite par Chantal Chen-Andro & Martine Valette-Hémery

    Circé, 2004

    http://www.editions-circe.fr/livre-Le_ciel_en_fuite_%E2%80%93_Anthologie_de_la_nouvelle_po%C3%A9sie_chinoise-224-1-1-0-1.html

     

     

  • Gu Hengbo, « La pensée nocturne dans le pavillon Haiyue »

    Orchidées solitaires. Musée national du palais, Taipei..png

    Gu Mei, Orchidées solitaires (détail). Musée national du palais, Taipei.

     

    « Au-delà du rideau parfumé

    La pluie fine mouille le ciel nocturne

    Les feuilles jaunes s’envolent

    Je me couvre de vêtements du soir.

     

    La cour peinte ombragée par des lianes

    Leurs tiges en harmonie avec l’automne

    Les saules cachent la balustrade rougeâtre

    La lune jette sur le sol des ombres timides.

     

    Les fleurs grelottent dans le froid nocturne

    Ma silhouette amaigrie tremble dans la pénombre

    Le perron froid sombre dans une obscurité profonde

    Les oies sauvages restent silencieuses sur les branches.

     

    Dans cette montagne la forêt est immense

    Je savoure cette vie d’ermite

    Le vent se lève du côté des pins robustes

    La porte bien fermée je me couche sur la natte. »

     

    Gu Hengbo, prostituée et chanteuse très connue dans la capitale de la dynastie des Ming, était l’une des « huit beautés de Nankin » de son époque. Animée d’une générosité chevaleresque, elle sauva la vie à plusieurs guerriers qui résistaient à l’invasion des Mandchous qui allaient bientôt fonder la fameuse dynastie des Qing. Dégoûtée par la vie de prostitution, elle épousa Gong Hefei, en tant que concubine de grand lettré. Ses poèmes sont célèbres pour la description minutieuse des différents sentiments. Elle mourut à Pékin à quarante-six ans, laissant le Recueil des poèmes écrits dans le pavillon des chatons de saules.

     

    Gu Hengbo – Gu Mei, 1619-1663

    In Femmes poètes de la Chine

    Traduction, annotations et calligraphies de Shi Bo

    Le Temps des Cerises, 2004

    https://www.letempsdescerises.net/?product=femmes-poetes-de-la-chine

  • Paul Celan, « Contre personne lové »

    celanmedium.jpg

    DR

     

     

    « Contre personne lové avec sa joue –

    contre toi, vie.

    Contre toi, d’un moignon de main

    trouvée.

     

    Vous, doigts.

    Loin, en chemin,

    aux croisements, parfois,

    la halte

    avec les membres affranchis,

    sur

    le coussin de poussière Autrefois.

     

    Provision du cœur devenu bois :

    qui brûle,

    valet d’amour et de lumière.

     

    Une petite flamme de demi-

    mensonge encore dans

    ce pore-ci,

    cet autre, lassé de veille,

    que vous touchez.

     

    Bruits de clefs là-haut,

    dans l’arbre

    du souffle au dessus de vous :

    le dernier

    mot qui vous ai regardé

    doit maintenant rester seul avec soi.

     

    ……………………….

     

    Contre toi lové, d’un

    moignon de main trouvée :

    vie. »

     

    Paul Celan

    La rose de personne / Die Niemandsrose (1963)

    Traduit de l’allemand par Martine Broda

    Bilingue

    Le Nouveau Commerce, 1979, rééd. Points Seuil, 2007

  • Tchouang-tseu, « …un vieil homme qui nageait dans les remous… »

    Zhuangzi-Butterfly-Dream.jpg

    Ike no Taiga – 1723-1776 – , Tchouang-tseu rêvant d’un papillon, ou un papillon rêvant de Tchouang-tseu

     

    « Confucius admirait la cataracte de Liu-leang dont la chute mesurait trente toises et dont l’écume s’étendait sur quarante stades. Dans cette écume, ni tortue géante, ni caïman, ni poisson, ni trionyx ne pouvaient s’ébattre. Soudain, Confucius vit un vieil homme qui nageait dans les remous. Le prenant pour un désespéré, il donna l’ordre à ses disciples de suivre la berge et de le retirer de l’eau. À quelques centaines de pas plus bas, l’homme sortit de l’eau par ses propres moyens. Les cheveux épars et tout en chantant il se promena au bas du talus. Confucius l’ayant rejoint, lui dit : “J’ai failli vous prendre pour un esprit, mais je vois que vous êtes un homme. Permettez-moi de vous demander quelle est votre méthode pour pouvoir nager si aisément dans l’eau.

    – Je n’ai pas de méthode spéciale, répondit l’homme. J’ai débuté par accoutumance ; puis cela est devenu comme une nature ; puis comme mon destin. Je descends avec les tourbillons et remonte avec les remous. J’obéis au mouvement de l’eau, non à ma propre volonté. C’est ainsi que j’arrive à nager si aisément dans l’eau.

    – Que voulez-vous dire, demanda Confucius, par les phrases suivantes : j’ai débuté par accoutumance ; je me suis perfectionné naturellement ; cela m’est devenu aussi naturel que mon destin ?

    – Je suis né dans les collines, répondit-il, et j’ai vécu à l’aise, c’est l’accoutumance ; j’ai grandi dans l’eau et je m’y trouve à l’aise, c’est la nature ; je nage ainsi sans savoir comment, c’est le destin. »

     

    Tchouang-tseu – IVe siècle av. J.-C.

    Extrait du chapitre XIX de « Avoir une pleine compréhension de la vie »

    In Œuvres complètes

    Traduit du chinois, préfacé et annoté par Liou Kia-hway

    Gallimard/unesco, 1969, rééd. Folio essais n°556, 2014

  • Lu Yu, « Sous la lune buvant légèrement »

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    Haruki Nanmei, Portait de Lu Yu, XIXe

     

    « hier tout autour de l’auvent, la pluie

    face à la lampe solitaire je me grattais la tête

    cette nuit, le clair de lune plein la cour,

    je chante longuement adossé au saule dépouillé

    les changements du monde sont immenses, infinis

    de la réussite à l’échec un revers de la main

    dans la vie d’un humain la chose la plus heureuse est,

    allongé, d’entendre qu’on presse le vin nouveau

    depuis mon retour de Cheng-tu,

    je me lamente de voir parents et amis dépérir

    nombre d’entre eux sont déjà inscrits sur le registre des morts

    mais qui pourrait vivre éternellement ?

    les jeunes pour la plupart je ne les connais pas

    nul ne consent à avoir des égards envers le vieillard décrépit

    une coupe, personne avec qui la partager

    je vais frapper à sa porte pour appeler mon vieux voisin »

     

    Lu Yu – 1125-1210

    In L’Art de l’ivresse

    Poèmes chinois traduits et présentés par Hervé Collet et Cheng Wing Fun

    Coll. Spiritualités vivantes, Albin Michel, 2014