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  • Emmanuel Merle, « Le regard et la voix »

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    « Est-il temps encore d’aimer celui qui n’a été enfant qu’une seule fois ?

    Aimer geste et regard, adhérer, avec l’aile immense du soleil, à ce qui de toujours a semblé tête baissée ?

    Nous remercions cette eau, l’enfant et moi, et, pétrifiée dans cet écoulement, l’image assoiffée et claire d’une pierre, immobile comme un plein instant.

    Dire l’autre, c’est difficile. Un rebord, et l’espoir fou d’une main sur la poitrine, qui retiendrait.

     

    …………

     

    Je voudrais être le présent, ligne de partage des eaux, et signe indéchiffrable de leur éploiement.

    Je ne désire pas le sens, je cherche le corps, son dévalement, je demande ma pleine incarnation.

    De la neige à l’estuaire, mon sang, Des vallées veinées rouges, et des oiseaux pour y boire.

    Je voudrais un immense consentement. »

     

    Emmanuel Merle

    Dernières paroles de Perceval

    L’Escampette, 2015

  • Dominique Meens, « Un oiseau d’hiver (extrait) »

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    « Qu’y a-t-il entre le crépuscule et l’aube, entre l’aube et le crépuscule ? Le roux dans le brun de l’oiseau d’hiver : une aube ? Un crépuscule ? Aujourd’hui est le passé de demain, demain le futur d’hier. Le roux dans le brun de l’oiseau d’hiver : un crépuscule, hier, pour une aube, demain ? Ou l’aube passée d’un crépuscule ? Le rouge-gorge est revenu comme jadis frapper le carreau de votre cuisine. Allons ! Tu ne vois pas ? C’est l’hiver ! J’ai froid, j’ai faim ! Tu veux m’entendre ? Nourris-moi, ouvre ta fenêtre que j’aille me réchauffer sur ton lutrin. Tous sont partis... Presque tous, je te l’accorde, mais qui chante ? Qui ? Qui te préserve un printemps sous la main, te démontre que l’hiver est le destin d’avril comme la bûche est celui du feu ? Qui te détourne de sombrer dans la nuit, t’exerce à la patience, te laisse deviner que l’aube se mêle au crépuscule ? L’oiseau s’installe, bavard comme jamais. Vous l’écoutez, vous ne pouvez vous empêcher de l’écouter. Chaque matin, chaque soir, le partisan des soleils tomates reprend sa leçon, que vous écoutez, que vous ne pouvez vous empêcher d’écouter. Bientôt, vous la connaissez sur le bout des doigts. Les jours passent. Les jours passent et vous découvrez, un soir, que le chant de votre hôte n’est pas sans mélancolie. Vous n’avez pas encore votre idée là-dessus, vous l’écoutez un peu moins attentivement, tout au plus, de crainte que le soupçon de tristesse que vous avez cru déceler chez votre ami ne vous gagne, ne vous bouscule définitivement dans l’état où il vous avait trouvé. Les jours passent, chaque soir, chaque matin, le rouge-gorge vous étourdit, vous impose ses soleils couchants, ses aubes verglacées. Il vous arrive, à l’occasion, de douter, la tonalité chagrine que vous avez remarquée vous semble un regret, un deuil peut-être dont il ne vous a rien dit, un secret que votre hospitalité ne mérite pas. A vrai dire, vous ne comprenez pas grand-chose au baragouin qu’il pépie de temps à autre, plutôt le matin, ou vers le soir, perché sur votre bureau. Entre l’aube et le crépuscule, il y a tout de même le jour, vous dites-vous –  mais c’est un merle qui vous a soufflé cette incroyable consolation ; entre le crépuscule et l’aube, la nuit, vous dites-vous – cette fois le merle ne vous a rien chanté, vous n’êtes plus si bête, tout simplement, pensez-vous. Tu entends ? lui demandez-vous un peu plus tard. Oui, dit-elle, c’est un merle, n’est-ce-pas ? En effet, un merle. Voilà un oiseau qui ne se répète pas, ajoutez-vous, plus intéressant, en fin de compte, que le rouge-gorge, tu ne trouves pas ? Tu dis ça tous les ans, répond-elle, et : j’ai cru voir des crocus, hier, par ici. Allons voir. »

     

    Dominique Meens

    Ornithologie du promeneur

    Allia, 1995