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Un nécessaire malentendu - Page 68

  • Emmanuel Hocquard, Raquel, « Du 1er janvier »

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    « Les champs décolorés et la chaleur aussi paraissaient sans limites.

     

     

    Sans violence. Jour après jour. Fixant la contrée dans ses habitudes et son isolement.
    Comptant les pas.

     

     

    C’est un murmure loin de l’été.

     

    Dans le froid, un petit feu qui réchauffe mal.

     

     

    Quand on va tomber de sommeil, le silence sépare du peu de bruit que font ceux qui parlent.

     

     

    Le costume lui-même devient un accident.

    Une étendue vide en forme d’arc-en-ciel.

     

     Emmanuel Hocquard

    Du 1er janvier

    avec une gouache de Raquel

     200 exemplaires sur vélin d’Arches, tous numérotés.

    Exemplaire n° 41, avec un envoi

     Orange Export Ltd, 1980

  • Michaël Glück, Anik Vinay, « Tour Aurore, place des Reflets »

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    I
    quai d’une gare

    l’attente d’un train

    la patience minutieuse

     

    les pas

    le long le large

    la geste des voyageurs

     

    les talons hauts

    près des valises

     

     

    VII

     

    la destination

    l’adresse de la langue

     

    une flaque d’eau

    un nuage entre les rails

    j’attends

     

    tu es là dans le jour »

     

    Michaël Glück

    Tour Aurore, place des Reflets

    avec une gravure d’Anik Vinay

    130 exemplaires numérotés et signés. Achevé d’imprimer en juillet 1987 par l’Atelier des Grames, 9e titre de la collection « Les Florets » animée par Gil Jouanard. Exemplaire : 35

    Atelier des Grames

     

  • Maurice Roche, Philippe Sollers, « Correspondance complète »

    J’ouvre aujourd’hui une nouvelle rubrique que j’intitule, en hommage à Walter Benjamin : Je déballe ma bibliothèque. On y trouvera quelques extraits et une image des livres rares que je range dans une grande bibliothèque noire et vitrée.

     

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    « Cher Roche,

    “Si la pierre tombe sur l’œuf,

    malheur à l’œuf.

    Si l’œuf tombe sur la pierre,

    malheur à l’œuf.”

    (Proverbe bulgare)

    Philippe Sollers

     

     

    Cher Sollers,

    “Quand on pédale dans le yaourt, on fait son beurre.”

    (Autre proverbe bulgare)

    Maurice Roche »

     

     

     Maurice Roche, Philippe Sollers

    Correspondance complète

    achevée d’imprimer le 31 décembre 1986 à 33 exemplaires  sur Pur Chiffon du Moulin de Larroque numérotés, ainsi que quelques H.C. Exemplaire : H.C

    Éditions Unes

  • Roger Laporte, « La Veille »

    Pour saluer la réouverture du groupe consacré à Roger Laporte sur Facebook https://www.facebook.com/groups/45486574813/?fref=ts voici les premières lignes du premier livre de l’œuvre d’une vie…

     

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     « Il a disparu. — Le moment propice est donc enfin venu de mettre mon projet à exécution, mais pourquoi ce malaise inattendu ? Je redoutais, en décidant d’écrire, de commettre une imprudence, de lui offrir malgré moi un terrain propice, de susciter sa venue de manière si prompte que je n’aurais même pas eu le temps d’écrire le premier mot, et certes, pendant longtemps, il me suffisait d’envisager même timidement mon projet pour qu’il mît fin à ma tranquillité, mais cette fois mon appréhension a été vaine : j’écris, et pourtant il ne s’est toujours pas manifesté. — Ai-je vraiment craint son retour ? Je ne voulais exécuter mon projet qu’en toute quiétude, donc en son absence : cette condition préalable était réalisée, car, avant de me mettre à écrire, j’ai plusieurs fois, et en toute tranquillité, pensé à mon projet, et pourtant je ne l’ai pas mis à exécution. Il me harcelait, le répit dont je bénéficiais, pouvait donc sans préavis se terminer d’un moment à l’autre : pourquoi, bien loin de me saisir de l’occasion, ai-je longtemps tergiversé et perdu ce temps libre sans m’en émouvoir ? — Il me faut avouer ce que j’aurais pu dire dès le début : il s’était tout à fait effacé, mais, contrairement à mon attente, mon projet, au lieu d’être enfin exécutable, s’était décoloré de tout attrait à tel point que ce n’est pas par désir, mais par dépit, que j’ai commencé d’écrire.

    Je me suis mis au travail à un moment où j’aurais pu tout aussi bien ne pas écrire, j’ai espéré commettre ainsi une imprudence sans recours, mais elle a été sans conséquence : j’écris, mais il ne s’est toujours pas montré. Chaque fois qu’il était à proximité, je me suis gardé d’écrire ; depuis qu’il s’est retiré, condition que j’ai cru nécessaire à l’exécution de mon projet, je n’ai plus éprouvé la moindre envie d’écrire : c’est à contrecœur que je poursuis cette tâche inutile ; j’ai le sentiment que mon dessein est devenu irréalisable, mais je persévère dans la même voie, car j’espère encore provoquer son apparition en exposant pleinement mon projet. — Quel projet ? De quoi s’agissait-il donc ? Je suis incapable de le dire ! Peu m’importe que ce projet soit inexécutable, mais j’ai le sentiment d’être abandonné et je redoute qu’il ne s’éloigne encore davantage.

    Parler ainsi est inexact : naguère il était proche, trop proche, mais à présent je ne peux même pas dire qu’il est très loin, car le terme d’éloignement est impropre : la distance ne peut ni diminuer, ni augmenter, car aucun espace ne nous sépare. Je ne peux même pas me plaindre d’être délaissé, car je dois dire seulement : je n’ai avec lui aucun rapport. — Comment ai-je jamais pu écrire ! »

     

     Roger Laporte

     La Veille

     Coll. Le Chemin, Gallimard, 1963

     Repris dans Une Vie, P.O.L, 1986

  • Sarah Kéryna, « Rappel »

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    « Paris :

     

    Ils sont assis l’un à côté de l’autre,

    sur la pelouse, au soleil. Ils ne se touchent pas.

    Il lui offre Pétrole de Pasolini.

     

    Il raconte l’histoire de l’enfant mort malgré les prières.

    Depuis, il ne croit plus en Dieu.

     

    Il ne tient pas la main.

    Ne serre pas dans les bras.

     

    Ils passent au-dessus des gares. Elle dit :

    “Ça me déprime tous ces rails qui partent vers le nord.”

     

    Un orage éclate brutalement. La pluie se met à tomber comme

    un bombardement. Les passants s’engouffrent dans les immeubles.

     

    Marseille, c’est la lumière, elle ne l’a jamais vue

    dans une autre ville.

     

    Le lendemain, il prend son avion pour rejoindre l’autre.

     

    Samedi, Paris et pluie.

     

    Elle regarde la rue en contrebas.

     

    Elle boit.

     

    Dans le train du retour, une jeune fille demandant

    si la place est libre, s’installe à côté d’elle.

    Elles parlent jusqu’à Valence où la jeune fille descend.

    Elles échangent leurs numéros.

     

    – Elles ont le même prénom. »

    Sarah Kéryna

     Rappel

     Coll. Biennale internationale des Poètes en Val-de-Marne

    Le bleu du ciel, 2007

  • L'anniversaire de Sophie

     

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    Aujourd’hui c’est l’anniversaire de Sophie.
    Je lui souhaite donc publiquement — avec la complicité involontaire de Chîhiro Machidori — avant de le faire dans l’intimité.
    Bon anniversaire Sophie.

  • Yoko Tawada, « Le voyage à Bordeaux »

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    « 

    Il existe un autre idéogramme signifiant répondre. C’est un cœur assis derrière un rideau, comme une dame de la cour qu’on ne distingue pas, on devine seulement sa présence. On ne voit pas sa bouche, on n’entend pas sa voix, mais la petite secousse du rideau laisse supposer que la dame de la cour parle. Le problème, c’est qu’au moindre coup de vent, on pourrait confondre et croire que la dame parle. »

     

    Yoko Tawada

     Le Voyage à Bordeaux

     Traduit de l’allemand (Japon) par Bernard Banoun

     Coll. « Der Doppelgänger », Verdier, 2008

  • Alberto Manguel, « Monsieur Bovary & autres personnages »

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    Le docteur Faust (extrait)

     

    « Dans les siècles passés, lorsque le troc d’une âme était considéré comme un acte effrayant, les choses étaient pour Méphistophélès relativement simples, qu’il eût ou non du succès. Aujourd’hui que l’âme a infiniment moins de prestige et que chaque jour on troque des âmes contre des bagatelles comme des appartements à Marbella ou un poste dans un cabinet ministériel, la tâche de Méphistophélès est paradoxalement plus difficile. Perdre son âme en échange d’un misérable bien accorde à celle-ci peu de valeur, et Méphistophélès (qui est aussi banquier) convoite ce qui est précieux. Aussi le Faust d’aujourd’hui ne cherche-t-il ni connaissance ni amour, mais célébrité, succès populaire, son nom en haut de l’affiche. Et là, Méphistophélès est dans son élément. Tu veux être un auteur populaire ? dit-il à Faust. Tu veux vendre des millions d’exemplaires de ton livre ? Marché conclu : tu auras des piles de tes œuvres à la fnac et au Corte Inglés, tu seras en tête des best-sellers internationaux, on t’achètera les droits pour faire un film avec Tom Cruise dans le rôle du héros, tu voyageras en 1re classe et tu t’installeras en Irlande pour ne pas payer d’impôts. Et pour obtenir tout cela, tu n’auras quasiment rien à perdre, sauf la qualité artistique, le style, la grammaire, l’invention narrative, la responsabilité morale, la position éthique, la reconnaissance des futurs lecteurs, le respect de tes contemporains : ton âme. »

     

    Alberto Manguel

     Monsieur Bovary & autres personnages

     Traduit de l’espagnol par François Gaudry

     L’Escampette, 2013

  • Denise Le Dantec, « Les Jardins et les Jours »

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    « … Est-il vrai, comme je le pense, que nous cherchons à atteindre, enfin, une plénitude ?

     

    Le jardin nous en offre, sinon la réponse, du moins la condition.

     

    À la dispersion cruelle, nous préférons la dérive ténue du jardin.

     

     

    Le temps que je prends au jardin est le temps d’arrêt qu’il me faut pour vivre sur le mode le plus juste qui m’est possible.

     

    Au jardin des Augustines, je suis indisponible, injoignable.

     

    Mon temps, notre temps n’est pas illimité.

     

    Toute conclusion renoncée, je m’abandonne aux vertus de la vie ordinaire, réglée par la cloche de l’église, où chacun s’abandonne, autant que faire se peut, au plaisir de la lumière et de la chaleur, quand celle-ci n’est pas trop forte, en fin de journée ou après le repas du soir.

     

     

    Je regarde autour de moi : le merveilleux s’éclipse.

     

    Je change de respiration.

     

    Assurément, il y a une prédilection de l’esprit pour la beauté prodigue, extravagante, qui est la marque de notre puissance d’être.

    Ici, l’imagination est mortelle. Seule la réalité compte. »

     

     Denise Le Dantec

     Les Jardins et les Jours

    Éditions du Rocher, 2007

     

  • Dorothée Volut, « À la surface »

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    « TOUT A BRÛLÉ. La seule justification est la jouissance de l’écriture, et les cendres dans vos cheveux. L’ornement est un geste qui se souvient de l’air. La différence mûrit. On ne pose aucune main — cela dépend des moments, agir. Et ce n’est pas mendier que recopier son chemin. Ainsi parlant, on continue de filer les tissus. Téméraire et bravant l’orage, on dit : Je me vêtirai demain, après la transparence. La chose étrange de vouloir continuer.

     

     

    ­­

    TU OUVRES DES LIVRES EN DÉSESPOIR DE CAUSE : faire des phrases. Mère, je ne suis pas le contraire de toi. Au final tu restes fixe, menue, sédimentaire, acoustique. Les lettres ne s’agglutinent pas. Laisse la maison ouverte comme ça. Voilà les clés. Le mur est ton décor pour une nuit. Je ou Qui repense chaque instant vécu. Le vent est tombé dans les marges. Sur la grève on a jeté des seaux d’eau salée, c’est l’heure de la souplesse pour les armures. Dans l’obscurité, on aperçoit la masse des rochers rendus à leur nudité. La mer ne laisse aucune trace : elle agite le temps sans donner de réponse. Cessez de m’écrire, crie quelqu’un. »

     

     Dorothée Volut

     À la surface

     Éric Pesty Éditeur, 2013

  • Deborah Heissler, « Chiaroscuro »

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    « Oubli —

     mais n’oublie pas la nuit l’abîme à dire

     

     

    — /

     


    grenades frénétiques dénuées de sens

     sous la caresse

     

     allant l’air et la sarabande

     grave sourde intense aux terres nues

     brûlée »

     

    Deborah Heissler

     Chiaroscuro

     Linogravures d’André Jolivet

     Préface de Sabine Huynh

     Æncrages & Co, coll. Voix de chants, 2013

  • Bonne année 2014 à tous les amis.

    « Le vœu exaucé est de l’ordre de l’expérience, il représente sa sanction suprême. “Ce qu’on souhaite dans sa jeunesse, on le possède à profusion dans sa vieillesse”, a dit Goethe. Plus tôt dans la vie le souhait est formulé, et plus grand est la perspective qu’il se réalise. La vie, serait-on en droit de dire en conséquence, est précisément assez longue pour donner à espérer que les vœux de la première jeunesse auront des chances d’être exaucés. Car le lointain est le pays où les vœux sont exaucés. Plus un souhait s’étire vers les lointains du temps, et plus on peut espérer le voir se réaliser. Or ce qui ramène vers les lointains du temps, c’est l’expérience, qui en forme la trame et les articule. Aussi le souhait comblé est-il le couronnement de l’expérience. »

     

     Walter Benjamin

     Baudelaire

     Édition établie par Giorgio Agamben, Barbara Chitussi et Clemens-Carl Härle

     Traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau

     La Fabrique, 2013