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chantal dupuy-dunier

  • Chantal Dupuy-Dunier, « Éphéméride »

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    « (18 mars)

    Ce sont les matins qui importent,

    la timidité rougissante des matins,

    cet instant précis

    où un rayon glisse un regard indiscret

    à l’intérieur de notre chambre,

    cet instant précis

    où nous pouvons encore inspirer le jour.

     

    (19 mars)

    Le jardin s’impatiente.

    À Encreux,

    il est encore trop tôt

           pour travailler la terre.

    Toi aussi, tu t’impatientes.

    Et les outils s’impatientent.

    Tu coupes un arbre mort

    pour dépenser ta sève.

     

    (20 mars)

    Cet hiver encore,

    les murs bombés

    ont accouché de pierres

    qui gisent en travers des chemins,

    mortes nées,

    ridées par le gel.

     

    (21 mars)

    Gestes migratoires de l’homme.

    Parfois un seul pas,

    mais le lieu vers lequel

    progresse le pas

    transforme ce déplacement

    en haut vol.

     

    (22 mars)

    Combien de temps durera l’aube ?

    Combien

    avant que ne s’esquisse

    une déchirure dans le brouillard,

    un partage entre ceux du radeau

    qui ne soit pas celui de la viande et des crocs ?

    Avant que les bouches soient décousues, les langues greffées ?

     

    (23 mars)

    Nous marchons

    sur la mer friable des pierriers,

    houle brisée.

    Témoin transmis

    par la main de la neige,

    le soleil blanc

    retrouvé ce midi

    en même temps qu’un ballet d’élytres. »

     

    Chantal Dupuy-Dunier

    Éphéméride

    Poésie/Flammarion, 2009

  • Chantal Dupuy-Dunier, « Mille grues de papier »

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    173

     

    Avec un fragment de soleil,

    l’enfant aurait plié une grue

    qui en aurait valu plus de cent.

     

    Origami incandescent

    de nature à s’opposer au rayonnement de la bombe ?

     

     187

     

    Sadako plie une grue

    dans l’aile diaphane d’un oiseau mort.

     

    Un peu de poudre sur les doigts.

     

    287

     

    Dans une larme,

    Sadako plie une grue aux ailes liquides.

    Dans la courbure d’une larme

    sa vie s’infléchit.

    Des globules blancs prolifèrent au ciel

    aux côtés des étoiles.

     

     

    506

     

    J’avais l’âge de Sadako,

    je vénérais Thérèse et ses roses,

    voulais devenir carmélite.

    Il ne demeure rien de ma folie d’enfermement.

    Cependant j’ai conservé

    comme un fétiche amérindien,

    une statuette de ma sainte.

    Dans chaque église visitée, c’est elle que je cherche.

    Tant de grandeur dans cette petite vie,

    si vite éteinte, tels les cierges sur le présentoir.

     

    Dans une goutte de cire

    tombée sur le fer forgé,

    Sadako plie une grue.

     

    635

     

    Il pleut des grues d’origami

    sur la couverture en coton d’un lit d’hôpital,

    au long des couloirs blancs,

    dans les paumes ouvertes du visiteur.

     

    Il pleut de vrais oiseaux dans les rêves.

     

    Dans les rêves,

    on parviendrait à compter jusqu’à mille,

    à aller jusqu’au bout du voyage ?

    Dans les rêves, on pourrait…

     

    Chantal Dupuy-Dunier

     Mille grues de papier

     Poésie / Flammarion, 2013