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  • Daniil Harms, « La petite mémé qui traquait des bestioles »

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    Gravure de Marfa Indoukaeva

     

    « Une p’tite mémé traquait sur les asters

    Maintes bestioles, les prenant au filet.

    Cette p’tite mémé tenait d’une main de fer

    Ses cachets, sa clé, sa canne à poignée.

     

    Un jour, Mémé fouillait dans les asters

    Puis s’écria soudain, toute affolée :

    Perdus ! Foutus ! Où sont-ils donc ? Misère !

    Mes cachets, ma clé, ma canne à poignée ?

     

    Clouée sur place, Mémé resta figée,

    Criant : À l’aide ! Agitant son filet.

    Vite, aidez-la ! Afin que not’ Mémé

    Retrouve cachets, clé et canne à poignée. »

     

    Daniil Harms

    Le samovar

    Bilingue

    Traduit du russe par Eva Antonnikov

    Gravures de Marfa Indoukaeva

    Héros-limite, 2015

    https://heros-limite.com/auteurs/harms-daniil/

     

    Une des prises ramenées de ma visite d'hier au Livre, à Tours. Ce petit livre, largement illustré d'épatantes gravures, est une merveille de grâce, de drôlerie, de poésie. Rythme, élégance,  malice, sont au rendez-vous, et la traduction si belle d'Eva Antonnikov n'est pas pour rien dans cette réussite.

    À lire à nos enfants, leurs parents et leurs grands-parents.

  • Georg Trakl, « Enfance » — deux traductions

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    Georg Trakl par Otto Pankok, vers 1925

     

    « Parsemée de fruits de sureau ; l’enfance calme s’écoulait

    Dans une caverne bleue. Sur un chemin disparu,

    Où frisonne maintenant la mauvaise herbe roussie,

    Les tranquilles ramées rêvent ; murmure du feuillage,

     

    Pareil à l’eau bleue clapotant sur les roches.

    Douceur de l’appel du merle. Un pâtre suit,

    Sans mot dire, le soleil qui roule de la colline automnale.

     

    Un instant bleu, tout n’est qu’âme.

    À l’orée du bois se montre un animal craintif, et dans le vallon

    Reposent en paix les vieilles cloches et les villages ténébreux.

     

    Avec ferveur, tu découvres le sens des sombres années,

    Le froid, l’automne dans les chambres solitaires ;

    Et dans l’azur sacré s’estompe un bruit de pas lumineux.

     

    Une fenêtre ouverte grince doucement ; la vision

    Du cimetière délabré vers la colline émeut jusqu’aux larmes,

    Souvenir de légendes narrées ; pourtant l’âme parfois s’illumine

    En songeant à des hommes heureux, à l’or sombre des jours de printemps.

     

    Traduction Henri Stierlin

    Rêve et folie & autres poèmes

    suivi d’un choix de lettres traduites par Monique Silberstein & de Crépuscule et anéantissement par Jil Silberstein

    GLM, 1956, réédition augmentée : Héros Limite, 2009

     

    « Lourd de fruits, le sureau ; calme habitait l’enfance

    Dans la caverne bleue. Sur le sentier évanoui,

    Où siffle à présent, brunâtre, l’herbe folle,

    Méditent les branches silencieuses ; le murmure du feuillage

     

    Pareillement, quand l’eau bleue résonne sur le rocher.

    Douce est la plainte du merle. Un pâtre

    Suit sans voix le soleil qui dévale la colline d’automne.

     

     

    Un instant bleu n’est plus qu’âme.

    À l’orée de la forêt se montre un gibier craintif, et paisibles

    Reposent dans le vallon les cloches vieilles, les hameaux assombris.

     

    Rendu pieux, tu connais le sens des années sombres,

    Froideur et automne dans les chambres solitaires ;

    Et dans le bleu sacré dure le son de pas lumineux.

     

    Doucement tinte ouverte une fenêtre ; aux larmes

    Émeut l’aspect du cimetière en ruine sur la colline,

    Ressouvenir de légendes contées ; mais l’âme parfois s’éclaire

    Quand elle pense les êtres gais, les jours d’or sombre du printemps.

     

     

    Traduction par Marc Petit & Jean-Claude Schneider

    Œuvres complètes

    Gallimard, 1972

  • Else Lasker-Schüler, « Ô, mon plaisir amer… »

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    Mon rêve est un jeune saule sauvage,

    Qui se languit dans la sécheresse.

    Tels des vêtements qui brûleraient tout autour du jour...

    Toutes les terres se cabrent.

     

    Dois-je t’attirer à moi avec le chant de l’alouette

    Ou bien dois-je t’appeler comme l’oiseau des champs

    Touuh! Touuh !

     

    Tels les épis d’argent

    Qui fremissent à mes pieds - - -

    Ô, mon plaisir amer

    Pleure comme un enfant.

     

    Else Lasker-Schüler

    Mes merveilles - 1911

    Traduit de l’allemand par Guillaume Deswarte

    Héros-Limite, 2024

  • Annie Dillard, « Fille de paysan »

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    « Il fait toujours un temps hors de saison.

    Rappelle-toi la crue qui a tué père :

    quand l’eau est redescendue, les poulets

    gisaient, boueux, noyés. Oh, nous observons

    le temps ici sur terre ; nous n’oublions pas

    les jours d’hiver où les filles portent des robes en coton,

    les mois d’avril où les buissons croulent sous la neige.

       Nous coupions les pommiers

       quand il a dit : “Regardez, il neige” ;

       mais ayant déjà passé tout un hiver sous la neige

       je devinais que c’était loin d’être fini.

    Pourtant, que savons-nous d’une saison ?

    Seul père pouvait dire

    quand la pluie s’arrêterait sur la montagne

    ou détruirait le foin. J’essayais d’observer

    les faucons ou je me léchais le doigt,

    mais la récolte était une fois encore perdue ;

    le givre recouvrait toute la vallée,

    aussi loin au sud que Twin Falls.

       Il m’embrassa quand les ombres s’allongèrent

       sur le chemin du verger ; il promit

       de me retrouver dès la récolte des pommes ;

    maintenant quand le vent sépare les rideaux,

    en ville quand le chat ne revient pas,

    je ne dors que d’un œil,

    l’autre reste à l’affût du temps qu’il fait. »

     

    Annie Dillard

    Billets pour un moulin à prières – 1974

    Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent

    Héros-Limite, 2020

    https://www.heros-limite.com/livres/billets-pour-un-moulin-a-prieres

  • Fabienne Raphoz, « Pendant 46 –48 »

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    DR

     

    « 46

    Le soleil se fout de l’œil :

           toutournerond

    (sauf les stridences trissées des hirondelles bleues témoins)

     

     

     

    47

    il s’est ennuagé un mont

    tellement fort

    que geais et pies en extraient

    la seule stridence

    sur l’ouate d’on-dirait-l’aube

     

    s’éveille non le temps

    mais son redoublement

    une mise en réserve consciencieuse

    d’un écho papier-froissé

    – de rouge-queue –

    à venir

    quand ça ne viendra plus

    d’ici.

     

     

     

    48

    il se passe quelque chose

    dans le mystère sphérique d’une goutte d’eau

    (à peine ou si tardivement élucidé)

    sur le point de tomber

    mais qui ne tombe

    en suspens logiquement impossible

     

    défi du petit g. de sa nature et du temps

     

    tandis qu’un œil

    la fait exister

    conscient de la fugacité

    de part et d’autre

    d’une frontière fictive

    entre ce qui voit et ce qui est vu

     

     

     

    puis

     

    l’œil regrette la pensée qui l’aveugle

    :

    une goutte d’eau, la dernière d’une branche nue

    est tombée

    sans l’œil témoin

    qui naguère la fit exister

     

    mais il pleut un peu sur la même branche

    une autre goutte se forme

    and so on »

     

    Fabienne Raphoz

    Pendant 1 – 62

    Héros-Limite, 2005

    https://www.heros-limite.com/livres/pendant-1-62

  • Georg Trakl, « Au bord du marais », 3 traductions

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    « Au bord du marais

    Promeneur dans le vent noir ; les roseaux secs chuchotent doucement

    Dans le calme du marécage. Au ciel gris

    Passe un vol d’oiseaux sauvages ;

    Diagonale sur les eaux sombres.

     

    Tumulte. Au fond d’une cabane délabrée,

    La pourriture aux ailes noires prend son envol ;

    Des bouleaux rabougris gémissent dans le vent.

     

    Soirée dans une auberge abandonnée ; sur le chemin du retour

    S’attarde la douce mélancolie des troupeaux qui paissent.

    Apparition nocturne : des crapauds sortent des eaux argentées.

    Traduction Henri Stierlin

    Rêve et folie & autres poèmes

    suivi d’un choix de lettres traduites par Monique Silberstein & de Crépuscule et anéantissement par Jil Silberstein

    GLM, 1956, rééd. augmentée Héros Limite, 2009

     

     

    Au bord du marécage

    Voyageur dans le vent noir ; doucement murmure le roseau mort

    Dans le silence du marécage. Dans le ciel gris

    Suit un passage d’oiseaux sauvages ;

    Diagonale au-dessus d’eaux obscures.

     

    Tumulte. Dans la hutte en ruine

    Bat de ses ailes noires la pourriture :

    Des bouleaux atrophiés soupirent au vent.

     

    Soir dans la taverne abandonnée. La douce mélancolie des troupeaux en pâture

    Imprègne le chemin du retour,

    Apparition de la nuit : des crapauds émergent d’eaux argentées.

    Traduction par Marc Petit & Jean-Claude Schneider

    Œuvres complètes

    Gallimard, 1972

     

     

    Au bord du marais

    Errant dans le vent noir ; dans le calme du marais

    Murmurent les roseaux morts. Dans le ciel gris,

    Suit un vol d’oiseaux sauvages ;

    De biais au-dessus des sombres eaux.

     

    Tumulte. Dans la hutte défaite

    S’élève sur ses ailes noires la pourriture ;

    Des bouleaux estropiés gémissent dans le vent.

     

    Soir dans la taverne abandonnée. La douce tristesse des troupeaux du pacage

    Enveloppe le chemin du retour,

    Apparition de la nuit : des crapauds surgissent des eaux argentées.

    Traduction Eugène Guillevic

    Quinze poèmes

    Illustrations d’Étienne Lodeho

    Les Cahiers d’Obsidiane, 1981

  • Joseph Roth, « Le chêne de Goethe à Buchenwald »

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    DR

     

    « […] D’abord Buchenwald ne s’est pas toujours appelé ainsi mais Ettersberg. Sous ce nom, il était autrefois célèbre parmi les spécialistes d’histoire de la littérature : Goethe avait coutume d’y rencontrer fréquemment Madame von Stein ; sous un beau vieux chêne.

    […]

    Devant ce chêne passent chaque jour les détenus du camp de concentration ; c’est-à-dire : on les y fait passer. Vraiment ! On colporte de fausses informations sur le camp de concentration de Buchenwald ; on pourrait dire d’horribles commérages. Il est, me semble-t-il, temps de ramener cela à sa juste mesure : au chêne sous lequel Goethe s’est assis avec Madame von Stein – et qui grâce à la loi pour la protection de la nature pousse encore –, jusqu’à présent, à ma connaissance, pas un seul des détenus du camp de concentration n’a été “attaché” ; bien plutôt aux autres chênes qui ne manquent pas dans cette forêt. »

     

    Dernier texte de Joseph Roth, avant sa mort, le 2 mai 1939.

     

    Joseph Roth

    Poème des livres disparus & autres textes

    Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Boyer & Silke Hass

    Héros-limite, 2017

    http://www.heros-limite.com/livres/poeme-des-livres-disparus-autres-textes

     

     

  • Fabienne Raphoz, « Blanche baleine »

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    DR

     

    « Géologie

     

    je suis faite de la

               pierre de mon pays

     

    la rousseur du

               gypaète aussi

     


     

    Fossile dit

               l’âge de la roche

     

    Nautile

               celui du temps

     


     

    Niedecker dit

               dans tout fragment

     

    de tout ce qui vit

               reste de la pierre »

     

    Fabienne Raphoz

    Blanche baleine

    Héros-Limite, 2017

    http://www.heros-limite.com/

  • Ariane Epars, « Carnet(s) du lac »

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    « Samedi 8 juin, 9 heures 30

     

    Lac cireux, presque lisse. Calme. Léger mouvement vers la gauche.

    Atmosphère floue, bleu pâle, qui se voile. Les traces des avions restent collées au ciel, croissent en forme de cellules. Derrière le mur de la Promenade un banc de poissons mord la surface de l’eau à-coups de petites bulles.

    Une brise agite individuellement les feuilles désormais vertes de l’arbre 2. Un cygne parcourt la scène de droite à gauche, à lents coups de pattes. Au large, très loin, deux canoës brillants, se dirigent vers la droite.

    Concert ininterrompu de piaillements de moineaux.

    Derrière le ronronnement des pompes à traiter, la circulation.

    Les bruits aussi, sont flous.

    La lumière est blanche.

    Le lac semble s’évaporer dans cette intensité lumineuse.

    Martinets et hirondelles sillonnent le ciel au loin, un merle siffle de courtes phrases.

    Un courant, soudain, plisse la peau du lac.

    Le soleil clignote dans le feuillage de l’arbre 2. Un petit avion survole la maison, des éclats de soleil s’allument s’éteignent s’allument sur le bleu tendu entre les arbres 1 et 2. »

     

    Ariane Epars

    Carnet(s) du lac

    Héros-Limite, 2015

     

    pour mieux connaître le remarquable travail d'Ariane Epars : http://www.arianepars.ch/

  • Rose Ausländer, « Pays maternel »

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    « Je cherche

     

    Une fois un poème

    Trouvé

    Je cherche

    Le mot interligne

    Dans la danse des lettres

    Consonnes voyelles

    Je palpe la longueur la largeur

    Des mots

    Cherche et invente

    Le mot

    Animé du souffle

     

    Voix II

     

    Dans la frondaison résonne encore

    L’élégiaque

    Rossignol

     

    Des voix d’abeilles

    D’une clarté mielleuse

     

    Éther

    Polyphonique

     

    Écoute

    Le mot haleine du poète

     

    Écoute

    Tes propres mots »

     

    Rose Ausländer

    Pays maternel

    Traduit de l’allemand par Edmond Verroul

    Héros-Limite, 2015

  • Jean-Pierre Chambon, « Tout venant »

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    « Quel délicieux petit plaisir

    de retenir

    dans la zone floue

    où n’ont pas encore

    pris corps les mots

    le moment d’écrire

    * * *

    Écrire

    non tant pour éclaircir

    que pour creuser encore

    dans l’obscur

    où les mots enfoncent leurs racines

    * * *

    Cette ombre de fumée

    qui en rapides volutes ondule

    sur la blancheur du mur

    est-ce pensée des morts

    cette chaine immatérielle

    dont le vent disjoint

    les anneaux silencieux

    * * *

    Les mots

    dans leur ombre insensée persiste

    portant l’écho d’une voix à venir

    le rêve d’une langue transparente

    tenue en réserve depuis l’enfance

    qui nous ferait traverser le miroir

    et dirait enfin le secret des choses

    * * *

    Le vieux cerisier au fond du jardin

    a atteint aujourd’hui même

    le degré extrême de la blancheur

    attestant à nouveau l’oracle

    énoncé par l’ermite zen Ryôkan

    le monde

    est devenu

    un cerisier en fleurs »

     

    Jean-Pierre Chambon

    Tout venant

    Héros-limite, 2014

  • Fabienne Raphoz, « Jeux d’oiseaux dans un ciel vide »

    fabienne raphoz,jeux d'oiseaux dans un ciel vide

    (Tyrannidés)

    Près de cinq oiseaux sur cent sont des tyrans

    De l’Alaska à la Terre de Feu les tyrans couvrent tout le Nouveau continent

    Bien malin qui dirait qui est qui dans la canopée de tous les tyranneaux toutes les élénies tous les todirostres à quelque Élénie écaillée Élénie à ventre jaune Élénie tête-de-feu Tyranneau des torrents Tyranneau à queue aigüe Tyranneau à tête rousse Tyranneau à huppe fauve Tyranneau à flancs roux Tyranneaux de Chapman Tyranneau orné Tyranneau omnicolore Todirostre d’André Todirostre bariolé Todirostre de Lulu Todirostre peint près

    Les taurillons comme les moucherolles sont des tyrans

    Tous les taurillons portent cornes ou crêtes noires

    Le Taurillon d’Ernst n’est pas un tyran

    Le Tyran quiquivi fait kis-ka-dee

    El Bienteveo comun es un Cristo-rey

    El Bienteveo comun Cristo-fue

    Le Tyran féroce a le regard doux

    Le Tyran mélancolique est joyeux

     

    Rouge leurre

    tourneboule

    le bec d’un tyran

    (Rincon de la Vieja, 8 février 2008)

     

     

    Fabienne Raphoz

    Jeux d’oiseaux dans un ciel vide — augures

    Héros-Limite, 2011

    une lecture à la galerie éof à Paris :

    https://www.youtube.com/watch?v=lK3ldepg2rs