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martine vallette-hémery

  • Hong Zicheng, « Propos sur la racine des légumes »

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    « Laissons un peu à manger aux souris, n’allumons pas les lampes à cause des papillons.

    C’est parce que nos anciens ont eu de telles pensées que nous méritons de vivre et de donner la vie. Sans cela nous ne serions que des formes humaines sculptées dans la terre ou le bois.

     

    Celui qui déforme la vérité par ses calomnies est un petit nuage qui cache le soleil ; celui-ci ne tarde pas à retrouver son éclat.

    Celui qui séduit par ses flatteries est un vent qui s’insinue par les fentes des vêtements ; il fait du mal sans qu’on s’en aperçoive.

     

    Un homme satisfait est comme un liquide sur le point de déborder. Rien n’est plus redoutable qu’une goutte supplémentaire.

    Un homme en danger est comme un arbre sur le point de s’abattre. Rien n’est plus redoutable pour lui qu’une simple chiquenaude.

     

    Lorsque le vent tourne et affole les nuages il faut se tenir ferme sur ses pieds.

    Lorsque les arbres et les fleurs sont dans tout leur éclat il faut lever les yeux plus haut.

    Lorsque la route devient escarpée et dangereuse il faut faire demi-tour à temps.

     

    Si je peux me garder libre de toute contrainte, qu’est-ce qui pourrait me mobiliser, que ce soit l’appât de la gloire et du gain, ou la peur de la honte et de l’échec ?

    Si je peux préserver ma quiétude spirituelle qu’est-ce qui pourrait m’aveugler sur ce qui est bien ou mal, utile ou nuisible ?

     

    Lorsqu’on entend, près d’une haie de bambou, un chien aboyer ou un coq chanter, on se sent transporté dans un monde libre comme les nuages.

    Lorsqu’on écoute, au milieu de ses livres, les cigales striduler ou un corbeau croasser, on accède à un autre monde au sein de la quiétude.

     

    Regardons, par notre fenêtre grande ouverte, l’eau verte et les montagnes bleues qui avalent et recrachent les nuages. Cela nous fait comprendre la spontanéité de l’univers.

    Écoutons, dans les forêts de bambous touffues, les jeunes hirondelles apprendre leur babil et les tourterelles roucouler au fil des saisons. Cela nous fait oublier la distinction entre le moi et les autres créatures.

     

    Si on s’applique à réfléchir à ce qu’il y a avant la naissance et après la mort, les pensées se taisent et le cœur s’apaise. On se sent porté au-dessus des choses de ce monde, promené dans ce qui fut avant ce qui est. »

     

     

    Hong Zicheng (1572-1620)

    Propos sur la racine des légumes

    Traduit du chinois et présenté par Martine Vallette-Héméry

    Zulma, 1995, réédition 2021

    https://www.zulma.fr/livre/propos-sur-la-racine-des-legumes/

  • Tang Yin, « Chanson de l’ermitage des Fleurs de pêcher »

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    Tang Yin

     

    « Au val des Fleurs de pêcher, il est un ermitage,

    Dans l’ermitage des Fleurs de pêcher vit un immortel.

    L’immortel des Fleurs de pêcher cultive des pêchers,

    Il cueille leurs fleurs qu’il vend pour acheter du vin.

    Quand il est sobre, il reste assis devant les fleurs.

    Quand il est ivre, il va dormir au pied des fleurs.

    À moitié ivre, à moitié sobre, jour après jour,

    Fleurs tombées, fleurs écloses, année après année.

    Son seul désir, vieillir et mourir entre fleurs et vin.

    Son déplaisir, se courber devant chars et chevaux.

    Poussière des chars et des chevaux, plaisir des riches,

    Une coupe de vin, une branche en fleur, lot du pauvre.

    Comparez le sort des grands et des humbles,

    Les uns à ras de terre, les autres au ciel.

    Comparez le pauvre aux chevaux d’attelage,

    Ils courent sans répit, je vis tout à mon gré.

    Les autres rient de moi et me traitent de fou.

    Je ris des autres qui n’y entendent goutte.

    Qu’ils pensent aux cinq tombes impériales,

    Terre à présent labourée, sans fleurs ni vin. »

     

     Tang Yin (1470-1523)

    La dynastie des Ming in Anthologie de la poésie chinoise

    Traduit par Martine Vallette-Hémery

    La Pléiade/Gallimard, 2015

     

    Peintre et poète, Tang Yin,

    l’Ermite des Six Métaphores,

    accusé de fraude au doctorat, resta dans son ermitage des Fleurs de pêchers, où il vécut de ses peintures et de ses poèmes.

     

  • Yuan Hongdao, « L’onde de la littérature »

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    « Après avoir loué une maison près de la porte de Dongzhi, j’ai aménagé ma bibliothèque dans une petite pièce à droite de la grande salle et, au-dessus de la porte, j’ai écrit ce nom, emprunté à Xu Wei : cabinet de l’Onde de la littérature.

    Quelqu’un me dit : “La région de Guji n’est qu’un vaste paysage d’eau. Mais ici, à la capitale, le bruit et la poussière montent jusqu’au ciel et obscurcissent l’éclat du soleil. Il n’y a pas une goutte d’eau dans ce cabinet, comment imaginer y voir une onde ?”

    Ermite de ce lieu, je répondis en souriant : “Il ne s’agit pas de la réalité de l’eau. Mais rien, sous le ciel, n’est plus proche de la littérature que l’eau. Elle part soudain tout droit, ou soudain change de cours. Elle couvre et découvre le ciel ; en un instant, une sombre nuée s’étend à l’infini. Ténue, c’est un voile de soie ; en tourbillon, c’est l’œil d’un tigre ; en cascade, c’est un rayon céleste ; dressée, c’est un mont de jade ; déployée, c’est un dragon ; éparpillée, c’est la brume ; inspirée, c’est le vent ; irritée, c’est le tonnerre. Rapide ou lente, nonchalante ou brusque, elle jaillit sous dix mille formes. Voilà pourquoi ce qu’il y a de plus prodigieux, de plus changeant sous le ciel, c’est l’eau. Né dans un pays d’eaux, j’ai été habitué à l’eau dès l’enfance, je vois de l’eau partout. J’ai traversé le Dongting, passé par la Huaihai, exploré le Taihu ; j’ai arrêté mon bateau au Yantan, visité les merveilles des Wu Xie, parcouru les plus beaux sites des fleuves et des lacs, épuisé toutes leurs métamorphoses. Et, après cela, je pense qu’il n’est pas, sous le ciel, d’eau qui ne soit littérature.

    Depuis que je suis en poste à la capitale, je ferme ma porte et poursuis ma méditation. Ma poitrine se dilate comme lors d’une rencontre réelle. Tout ce que j’ai vu autrefois, vagues déferlantes, remous profonds et rides de surface, est soudain devant moi. Je prends alors un livre, de Qian, Gu, Fu, Bai, Yu, Xiu, Xun ou Shi et, à mesure que je lis, l’eau déploie devant moi toutes ses fantastiques métamorphoses. Elle se ramasse dans une gorge, se roule dans des vagues, chante dans une source, se dilate dans une mer, se déchaîne dans une cascade, se recueille dans un étang. Tout ce qui est souple et sinueux est eau. Toute littérature, pour moi, est eau. Une montagne, haute ou basse, si elle est belle ou gracieuse, sans doute est-elle aussi littérature ; mais ce qui est haut ne peut s’abaisser, ce qui est raide ne peut charmer, c’est chose morte. L’eau, non. Aussi l’âme de la littérature et celle de l’eau sont-elles une seule et même chose sous leur apparence différente. Voilà pourquoi je ne vois, dans ce cabinet que de l’eau. Les fleuves et les mers se succèdent jour après jour devant mes yeux. Si vous ne le comprenez pas, c’est que vous avez l’esprit borné. Qu’y a t-il à redire à ce nom ? »

    Yuan Hongdao (1568-1610)

    La dynastie des Ming in Anthologie de la poésie chinoise

    Traduit par Martine Vallette-Hémery

    La Pléiade/Gallimard, 2015