jeudi, 22 mars 2018
Geneviève Huttin, « Seigneur… »
DR
« De l’impossible profération où longtemps il se plaint, résonnent le mots dans l’air tiède. C’est un hymne très lent et très ample, tu t’en souviens pour t’en être laissé agiter, pénétrer. Mais les nuances de ses mots, de ses gestes t’échappent. Aussi la beauté, la grandeur de ses intentions se perdent. Dans leurs terminaisons tu flottes, comme un pan libre de voile.
Ad te clamo
Vers toi Seigneur je crie…
Te verrais-je marcher, venir à moi, répondre à mes caresses, je deviendrais tranquille…
Entre les arbres de ses thèmes, tu cherches, tu veux un cours puissant, un ample mouvement de passage. Un mince fil de ta bouche, et les cailloux remontent vers tes lèvres, mais cette fin ne lui est pas encore assez violente…
* * *
Tu reçois toutes ses expressions perdues. Cet informe vêtement violent tu t’en vêts, t’en dévêts, tu fais ce que tes yeux l’ont vu faire, cependant qu’il avance, de plus en plus sans règles. Fidèle sans le poids des liens, tu fends dans ce courant, avec ce visage fol de qui vient demander à être armé, l’adoubement n’est pas de main humaine, c’est un toucher, un geste de poudre…
Tu m’as sur ton écu vomi, je suis souillé de tes crachats…
Plus tremblant que le trait lui-même, planté, replanté, qui t’élance, comme il t’effleure, avec cette indécence des aveugles touchant quelqu’un de leur bâton, tu tressailles. Écriras-tu les messages de ses doigts, les menées de ses lèvres, pour qu’enfin cesse en toi le pressentiment de sa phrase… »
Geneviève Huttin
Seigneur…
Dernière de couverture par Philippe Lacoue-Labarthe
Coll. Poésie, dirigée par Mathieu Bénézet et Bernard Delvaille, Seghers, 1981
13:49 Publié dans Écrivains | Lien permanent | Tags : geneviève huttin, seigneur…, philippe lacoue-labarthe, mathieur bénézet, bernard delvaille, seghers
dimanche, 06 mars 2016
Philippe Lacoue-Labarthe, « phrase »
photo in Philippe Lacoue-Labarthe, Altus
un film de Christine Baudillon et François Lagarde (Hors-Œil éditions)
« Phrase X
(« les morts »)
« Ceux-là, sans visage identifiable, mais
ceux-là, ils sont venus,
ils se sont assis autour de la lampe, ils ont
dit qu’ils étaient de passage mais ils
ont demandé pourquoi nous refusions
pratiquement de nous
départir. Ils parlaient
à voix plutôt basse, de façon retenue,
sans colère ; ils étaient, lui, elle,
fatigués, très inquiets ;
ils pensaient que rien n’arriverait plus
désormais qui pût donner un semblant
de véridiction à l’immense rumeur, à
cet écho pierreux (à la cendre, disaient-ils).
Ils ne se plaignaient pas, ils demandaient
simplement qu’on les crût, lui, son chapeau
sur la tête, les mains adressées, elle,
ombrageuse (ou fière aussi bien), belle sans doute,
qui du fond de son âge, de ses yeux devenus gris, de ses larmes,
invoquait, alors qu’il n’osait rien dire,
non pas réparation, mais la justice
simplement, qu’on exécutât
les lois connues de tous, les lois
qui gouvernent notre insignifiance, le mal
et notre infirmité. Ce n’est pas vraisemblable,
non, disait-elle, ce qui nous est arrivé,
ce n’est pas vraisemblable : vous savez
bien, vous savez que nous n’avions rien fait,
et vous n’en parlez plus, jamais, jamais.
Et lui, à peine audible : nous
sommes les témoins que dans la honte vous récusez.
(17 décembre 1988-29 février 1996) »
Philippe Lacoue-Labarthe
Phrase
Collection « Détroits »,
Christian Bourgois, 2000
19:23 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : philippe lacoue-labarthe, phrase, dtéroits, christian bourgois