dimanche, 24 mars 2019
Salvatore Quasimodo, « Presque un madrigal »
DR
« Le tournesol penche vers le couchant
et précipite déjà le jour dans son
œil en ruines, le ciel d’été
s’épaissit et courbe déjà les feuilles et la fumée
des chantiers. Il s’éloigne avec le cours
sec des nuages et le cri des foudres
cet ultime jeu du ciel. Une fois encore,
et depuis tant d’années, ma mie, il y arrête la mue
des arbres serrés dans l’enceinte
du Naville*. Mais c’est toujours notre jour
et toujours ce soleil qui s’en va
avec le fil de son rayon affectueux.
Je n’ai plus de souvenirs, je ne veux plus me souvenir ;
la mémoire se relève de la mort,
la vie est sans fin. Chaque jour
est le nôtre. Il en est un qui s’arrêtera pour toujours,
et toi avec moi, quand tu paraîtras en retard.
Ici, sur la digue du canal, en balançant
les pieds comme des enfants,
nous regardons l’eau les premières branches dans
sa couleur verte qui s’assombrit.
Et l’homme qui s’approche en silence
ne cache pas un couteau dans ses mains
mais une fleur de géranium. »
* Le Naville est un canal navigable en Lombardie (ndb)
Salvatore Quasimodo
« La vie n’est pas un songe » (1949) in Ouvrier de songes
Traduit de l’italien et préfacé par Thierry Gillybœuf
La Nerthe, 2007
http://librairielanerthe.blogspot.com/2010/03/salvatore-quasimodo-ouvrier-des-songes.html
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jeudi, 07 mars 2019
Salvatore Quasimodo, « Et soudain c’est le soir »
DR
« Chacun reste seul sur le cœur de la terre
percé par un rayon de soleil
et soudain c’est le soir.
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LE HAUT VOILIER
Quand venaient les oiseaux qui agitaient les feuillages
des arbres amers près de ma maison
(d’aveugles volatiles nocturnes
qui faisaient leur nid en perçant l’écorce)
je levais le front vers la lune
et je voyais un haut voilier.
Au bord de l’île, la mer était de sel ;
la terre s’étendait et d’antiques
coquillages luisaient accrochés aux rochers
de la rade plantée de citronniers nains.
Et je disais à l’amante qui portait en elle mon fils
et avait pour cela sans cesse la mer dans l’âme :
“Je suis fatigué de tous ces battements d’ailes
semblables à des coups de rame, et des chouettes
qui font hurler les chiens
quand le vent de lune souffle sur les bambous.
Je veux partir, je veux quitter cette île”.
Et elle : “Très cher, il est tard, restons”.
Alors je me suis mis lentement à compter
tous les reflets sur la mer
qui venaient frapper mon regard
sur le pont du haut voilier. »
Salvatore Quasimodo
Et soudain c’est le soir – poèmes 1920-1942
Traduit de l’italien et présenté par Patrick Reumaux
Librairie Élisabeth Brunet, 2005
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