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  • Bernard Noël, 80 ans

    Aujourd’hui, 19 novembre 2010,

    Bernard Noël a 80 ans.

    Excellent anniversaire Bernard.

     

    b.noel-2.jpg« Sous ma porte, une lettre.

    Une feuille bleue dans une enveloppe blanche.

    C’est la lettre du 19. Je la reçois une fois l’an, et, par chance, quelqu’un l’a fait suivre cette année encore.

    Où es-tu ?

    Je t’écrivais : « ma petite âme », à cause de ton visage de mouette. J’ai perdu ta vue. Et tu parles maintenant de cette part de vie qui est trop belle pour être mal vécue,

       la vie, la vue

       et l’espace blanc,

       il ne se passe rien, et c’est tout.

    Une chambre blanche… Comment dire ? nous étions suspendus dans cet espace blanc… un blanc qui faisait une voûte très haute, s’estompant à l’infini… et le ciel tombé infiniment blanc. Nous étions là, assis face à face, au pied d’un immense lit, dont la tête disparaissait dans la brume blanche… Et rien, sauf la vie si tendue qu’elle presse la peau à tel point que la voici devenue blanche… la vie extrême… le lien invisible.

    Cette lettre, d’où venue ? je ne peux y répondre, aussi ressemble-t-elle au livre que je n’écrirai qu’en mourant, car il sera ma vie. Et le désir me vient de déranger cette dérangeante pensée n’importe comment. J’ouvre à ma droite et :

    Rendre hommage à notre passé est le seul geste qui comprenne aussi l’avenir.

    Celui qui parle ainsi est un livre auquel j’arrache aussitôt sa page, car le consultant de l’oracle rêve d’arracher la langue qui le gratifie afin de la conserver en l’état le meilleur d’elle-même. Ô langue, tu n’auras plus de bouche pour te trahir ! Et je la fourre dans ma poche, qui vaut bien, après tout, l’autre sac à paroles.

    Je m’assieds.

    Je vois le fleuve : l’image et son souvenir ne sont-ils pas séparés comme l’image et son reflet ? Mais le souvenir tire son image du temps, alors que le reflet descend dans l’épaisseur de l’eau.

    Je voudrais penser quelque chose qui ne soit pas ce que peux penser.

    Et laisser les livres fermés.

    J’écris :

    […] »

     

    Bernard Noël

    Le 19 octobre 1977

    Flammarion, coll. Textes, 1979

     

     

     

  • Cœur d’oiseau dent de lion, Joël Cornuault

    CornuaultCoeurDents.jpgEst-ce ainsi que l’on poursuit la tradition des troubadours en ce début de XXIème siècle ? Joël Cornuault serait-il un des derniers à encore et toujours chanter l’amour courtois ? Courtois mais décidé et sensuel. Mais pas l’amour de loin, pas de trop loin, même de très près.

    D’un peu loin, par contre, les importuns, les empêcheurs de penser, de jouer, de jouir, les rabat-joie, « les pères fouettard / minables casseurs / de pattes aux canards », ceux qui pleurnichent, les aigres, les procéduriers, les faux culs, les parvenus de tout poils, ceux-là oui il les tient loin de son nid, de sa plume, de son cœur d’oiseau.

    Mais elle, celle-là qui vibre, qui tourbillonne dans son cœur, celle là dont il ouvre les genoux, celle à qui il chante : « Quand tu me déplies tes ailes / m’offres ta voûte de plumes blondes / déploies ton cou / âme d’oiseau / j’ai faim de loup / cœur d’oiseau / j’ai dent de lion // à n’en plus finir. », celle là, oui, à bien de la chance, et peut être un peu plus même, un amant qui sait dire sa passion et l’explosion d’icelle.

    Claude Chambard

     

    Joël Cornuault

    Cœur d’oiseau dent de lion

    Dessins de Jean-Marc Scanreigh

    28 p. ; 6 €

    Pierre Mainard, 2009

    14, place Saint-Nicolas
    47600 Nérac
    Tél. : 09 50 34 22 48
    Fax : 05 53 65 93 92
    Courriel : mainardeditions@free.fr

  • Paul Celan

    220px-Celan_passphoto_1938.jpg« […] Car le poème n’est pas intemporel. Certes, il élève une exigence d’infini, il cherche à se frayer passage à travers le temps, – à travers lui et non par-dessus.

    Le poème, en tant qu’il est une forme d’apparition du langage, et par là d’essence dialogique, le poème peut être une bouteille jetée à la mer, abandonnée à l’espoir – certes souvent fragile – qu’elle pourra un jour être recueillie sur quelque plage, sur la plage du cœur peut-être. Les poèmes, en ce sens là également, sont en chemin : ils font route vers quelque chose.

    Vers quoi ? Vers quelque lieu ouvert, à investir, vers un toi invocable, vers une réalité à invoquer.

    C’est de telles réalités qu’il en va, selon moi, pour le poème.

    Et je crois que de tels cheminements de pensée ne marquent pas seulement mes propres efforts, mais aussi ceux d’autres poètes d’une génération plus jeune. Ce sont les efforts de celui qui, survolé d’étoiles, qui sont œuvre humaine, qui, exposé en ce sens jamais pressenti encore et par là effroyablement à découvert, va de tout son être au langage, blessé de réalité et en quête de réalité. »

    Paul Celan

    « Discours de Brême »

    In Poèmes

    Traduit de l’allemand par John E. Jackson

    Éditions Unes, 1985

     

  • Adorno/Celan, Correspondance

    25971.JPGAdorno / Celan

    Correspondance

    Traduit de l’allemand par Christophe David et présenté par Joachim Seng

    96 p. ; 16 €

    Nous http://www.editions-nous.com/

     

    Cette brève correspondance – 1960-1968, 17 lettres en tout  – paraît aux éditions Nous, préfacée par Joachim Seng. C’est heureux car nombre d’allusions, dans les lettres de Paul Celan principalement, seraient difficiles à saisir, à situer, sans la justesse et la clarté des propos du préfacier. Plusieurs fois Celan fait allusion à la pénible affaire avec Claire Goll qui, on le sait, l’accusa d’avoir plagié les poèmes de son mari Yvan avec qui Celan était très lié, celui ayant même envisagé la création au décès de son épouse d’un Fonds Claire et Yvan Goll, dont Celan devait faire partie. Le temps a montré, que ces accusions étaient infondées, mais Celan en fut terriblement meurtri : « Celan a été qualifié d’escroc, plagiaire et charlatan, comme je vous le dis ! », écrit-il dans une lettre à Albert Sperber. Et à Adorno : « Votre Sioux qui vend aussi de vieilles métaphores sur les chemins dérobés de la littérature » qui est une allusion directe à une lettre de Claire Goll où celle-ci écrivait : » Celan, le Sioux de la poésie qui emprunte des chemins dérobés. » et ce n’était pas une amabilité.

    À l’époque de cette correspondance entre le poète et le philosophe, Celan publie Dialogue dans la Montagne qui a pour objet une rencontre manquée avec Adorno à Sils-Maria et qui fait dialoguer le Juif Große (le grand Juif) et le Juif Klein (le petit Juif) (Celan comprendra tardivement qu’Adorno, dont la mère est catholique, n’était pas juif) et obtient le prix Büchner le 14 mai 1960. À cette occasion, il prononce un étonnant discours le Méridien où, à travers une lecture de Büchner, il explique ce que sont pour lui l'art et la poésie.

    Au centre de cette correspondance on trouve des allusions également à la fameuse formule d’Adorno « Écrire un poème après Auschwitz est barbare ». C’est pourquoi la publication du Dialogue dans la Montagne est si importante où Celan prend position contre ce qu’il entend comme un verdict, en donnant de son côté « un dialogue entre deux Juifs, un dialogue sur les précipices et les failles de la langue, une langue d’après Auschwitz » comme le rappelle Joachim Seng.

    Celan, par ailleurs, attend d’Adorno un article sur sa poésie et il le lui rappelle plusieurs fois, mais il n’aura jamais ce qu’il aurait été en droit d’espérer, même si quelques pages sur son travail paraîtront après la mort du philosophe.

    Cette correspondance montre combien les rapports entre les deux hommes étaient complexes malgré leurs points communs et combien l’attente de l’un ne fut jamais réellement comblée. Mais Celan avait cette « faculté de résister au pire en le transformant en langage »

    Claude Chambard