mercredi, 30 octobre 2013
Jean-Charles Depaule, « Définition en cours »
où commence le travail
Josée Lapeyrère
faisant à soi-même coupures petites
ecchymoses conjuratoires
déchiffrant de nouveau
la lampe
de nouveau copiant
activités terrestres vues du ciel
fleuve de tout un tas de choses
d’eau de terre de bois de pierres sang rouge fer
glace miroirs écailles variables
étoiles et tresses d’eau indiscernables lignes
corps blond / soie jambe brunie
bouchons dansent mousses
lancer de bâtons en suspens sur le ciel
en rotation
tapis de feuilles sur l’eau l’ombre sur le fond
a tournoyé maintenant suit le courant
évolutions sans hâte de pales tiges fléaux dans l’air
ramassés
dispersés buisson lustre du monde
la lampe a atteint sa durée de vie maximum
des musiques à entendre
l’air refroidit à l’approche du fleuve
maintenant tu manges des fraises qui les détestais
ni n’aimais Verlaine
je recopiais le visage d’Elisabeth reine
sur calque exposé au soleil de la fenêtre
fixé à l’hyposulfite dentelle
ou feuille sur feuille c’est photogramme
serait prose
je me rappelle le couronnement au cinéma
et Sous le plus grand chapiteau du monde
en face du coiffeur près de l’église Saint-Paul que je confonds
avec Sainte-Perpétue Dien Bien Phu
était une cuvette
je m’accoude à la même fenêtre
au-dessus de la cuisine
mouvement de bras de poignet commencé répété
Jean-Charles Depaule
Définition en cours
le bleu du ciel, 2013
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vendredi, 25 octobre 2013
Pour accompagner Audrey Rupp
Notre amie Audrey Rupp vient de mourir.
Nous avons travaillé ensemble pendant des années au Centre régional des lettres d’Aquitaine.
Ce furent des moments qui comptent encore.
Nous en avons partagé bien d’autres, ailleurs.
Que mes pensées et celles des miens l’accompagnent ainsi que ses chers Fred et Marie.
« Le premier Jour où je fus une Vie
Je m’en souviens — Quel silence —
Le dernier Jour où je fus une Vie
Je m’en souviens — pareillement —
Il fut plus silencieux — bien que le premier
Fût silence —
Il fut vide — tandis que le premier
Était plein —
Ce fut — mon ultime Occasion —
Mais aussi
Ma plus tendre Expérience
Envers les Hommes —
“Lequel je choisis ?” —
Cela — je ne saurais dire —
« Ce qu’Ils choisissent ?”
Demande à la Mémoire ! »
Emily Dickinson
Cahier 40, poème 823
Y aura-t-il pour de vrai un matin
Traduit et présenté par Claire Malroux
José Corti, 2008
13:02 | Lien permanent | Tags : audrey rupp, emily dikinson, y aura-it-il pour de vrai un matin, claire malroux, josé corti
mercredi, 16 octobre 2013
Avag Epremian, « J’ai vu… »
« J’ai vu les rues de ma ville,
désertes et sans issue ;
j’ai vu détruit le sanctuaire unique
de mon enfance ;
les mots dont je rêvais
avaient soudain vieilli, dénués de passion ;
seul, paradant, le cadavre
des jours était en liesse…
À ma porte, comme
négligemment jetés là,
gisaient les siècles, la gloire trouble des siècles,
leurs mœurs libertines,
et, dans l’attente, un million de
pharisiens, de douaniers et de clercs
tremblants — perplexes devant la force
ultime et tragique de l’instant. »
Avag Epremian
Traduit de l’Arménien par Nounée Abrahamian & Stéphane Juranics
in Avis de recherche — une anthologie de la poésie arménienne contemporaine
Éditions Parenthèses, 2006
23:45 Publié dans Écrivains | Lien permanent | Tags : avag epremian, nounée abrahamian, stéphane juranics, éditions parenthèses
mercredi, 09 octobre 2013
Claro, « CosmoZ »
Journal d’Oscar Crow
Hôpital psychiatrique du Vinatier
(extraits)
« 3 janvier 1942
C’est toujours la même chose : une douleur me réveille, me transperce, de part en part, non, de paille en paille, c’est peut-être ça le renouveau de la dernière des choses mortes. Renaître ? Il est temps de vivre ailleurs, de vivre dans l’ailleurs, car je n’ai plus une once d’Oz en moi, rien que le regret de ce qui n’a jamais existé mêlé au remords de tout ce que les hommes m’ont fait, quelle farce. Je voulais une cervelle pour que la pensée soit et reste électrique, mais je n’ai eu droit qu’aux tergiversations du corps, vaincu et consentant, autrement dit une formidable absence, avec tout ce que cela comporte d’élégance dans la chute, le retour à la boue, le goût du rien. Mon territoire est celui de la répétition.
4 janvier 1942
Si le néant est juste une habitude, si mourir n’est qu’un exercice, eh bien me voilà parvenu au bout de la boucle, là où la fleur du même ose enfin recracher sa graine : nous ne sommes que la vengeance de la différence. Oui, quelle belle cervelle que celui qui accouche de cette non-philosophie. Quelque part, je sais que je suis toujours dans le champ à la croisée des chemins, empaillé et crucifié, insipide et filandreux, à la fois pitre et menace, perchoir à bêtes noires, à bêtes cruelles. Les cris des becs, les griffes des ailes, me faut-il une dernière fois les appeler de toute ma détresse ? C’est toujours la même chose : une douleur me réveille, me transperce, de part en part, non de paille en paille, c’est peut-être ça le renouveau de la dernière des choses mortes. »
Claro
CosmoZ
Actes Sud, 2010
Samedi 12 octobre à 16h, à l'occasion de la dixième édition de Lettres du Monde à Bordeaux, Claro sera invité à la bibliothèque Mériadeck pour présenter sa bibliothèque idéale
http://bibliotheque.bordeaux.fr/on-en-parle/post/claro-in...
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samedi, 05 octobre 2013
Marc Mauguin, « Ponts coupés »
Gérard
(extrait)
« Alors pour rien de ce qui m’entoure venant de si loin jusqu’à aujourd’hui et peut-être demain, je ne trouverai plus de mot ? Ni mot ni voix désormais. Bien fini cette fois. Accepter. Cesser de m’asseoir à ma table tous les matins, après avoir pris mon café dans la cuisine pour ne pas l’éveiller, puisqu’il dort encore. Cesser de chercher, à tâtons dans la nuit, le stylo pour écrire sur le dos de ma main une phrase avortée des ténèbres. Trouver des occupations du matin jusqu’au soir, sans rien dire à personne. Le cinéma, la bibliothèque. Ou rien. Marcher dans les rues, passer le temps jusqu’à son retour. Rentrer un peu avant. Faire semblant. Tu as bien travaillé aujourd’hui ? C’est lui qui pose la question depuis quelques semaines, moi jamais, comme si ce que je faisais était le plus important alors que j’essaie de sourire. Quelques pages aujourd’hui. Des gribouillages. Il rit. Tu me feras lire ? Avant, il ne posait pas ces questions. Quand il rentrait j’écrivais encore, sans m’apercevoir que le jour était tombé. Dans le noir, de travers et à toute vitesse, guidé seulement par le contraste de l’encre foncée sur le papier blanc. Je m’arrêtais au milieu d’une phrase. Continue, je ne veux pas te déranger. Il parcourait, j’ignorais depuis combien de temps, les lignes par-dessus mon épaule. Puis s’éloignait sans rien dire, passait dans une autre pièce. Je n’entendais plus rien. Un moment après, je sentais sa main sur mon cou ; la nuit était tombée depuis longtemps. Il faut venir dîner. Les mêmes mots que ceux de maman. Il riait comme devant quelqu’un qu’on réveille, qui revient doucement à la vie avec l’empreinte du rêve dans les yeux. Tu es un insecte ! Mets tes lunettes. Riait encore. »
Marc Mauguin
Ponts coupés
L’Escampette, 2013
Trentième page pour fêter les vingt ans de L’Escampette
11:03 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : marc mauguin, ponts coupés, l'escampette
mardi, 01 octobre 2013
Mohammed Bennis, « Fleuve entre des funérailles »
Lettres
« f.l.e
ce sont ceux-là que j’ai retrouvés isolés dans la moitié d’un cercle qui tournait dans un mouvement lié à la rotation du soleil ils avaient laissé une marque blanche à la chaux afin d’aviver le désarroi et pour qu’il ne reste de toute chose que de l’eau qui s’écoule tandis que les mots lui confient leurs désirs assurés de l’empreinte de leurs tatouages sur les âmes qu’habitent ceux qui passent
e.u.v
je t’ai déjà ordonné de mélanger l’eau au safran de teindre tous les ruisseaux en bordure du fleuve en bleu coupé de blanc et de plonger la charpente des ponts dans la rivière qui a forme de canal prends toute la quantité d’encre noire à ta disposition et entre avec en ville du côté du silence toute sa splendeur se verra
u.v.e
cette nuit ta brise t’accueillera comme elle a reçu avant toi l’étranger qui s’est enquis auprès du vieillard de ceux qui ne reviennent jamais de leur perplexité il ne lui a montré que des débris observe la raideur de ces deux battants de porte derrière il y a le chant des tiens au milieu de ceux qui avaient été surpris par la terre nue ils lui ont dit nous sommes venus à toi par temps de canicule et de froid extrême sans nous en soucier privés de toi nous ne sommes que miséreux »
Mohammed Bennis
Fleuve entre des funérailles
Traduit de l’arabe par Mostafa Nissabouri
L’Escampette, 2003
Vingt-neuvième page pour fêter les vingt ans de L’Escampette
15:33 Publié dans Écrivains, Édition | Lien permanent | Tags : mohammed bennis, fleuve entre des funérailles, mostafa nissabouri, l'escampette