UA-62381023-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Ludovic Degroote, « José Tomás »

    ludovic degroote,josé tomás,unes

    « pourquoi ferais-je un poème s’il n’y a pas à en faire – aligner les vers ne fabrique qu’un alignement de vers ; je n’ai pas de théorie sur ce qu’il faudrait faire de plus ; le poème en soi ne porte rien de mieux : il ne porte que si c’est devenu un poème : ce qui fait basculer dans le poème – j’en reviens toujours au même

     

    les mauvais poèmes qu’on pourrait faire sur la tauromachie, le torero, le toro : ils se pressent à la porte ; on peut y glisser un picador ou un banderillero : ça ne fait pas de mal et ça joue couleur locale ; la chute parfaitement adapté à la mort : n’oublions pas les métaphores et les symboles : ça profite à l’esprit

     

    pendant ce temps, josé tomás a laissé son corps à l’hôtel : ce sont ses propres mots

     

    il faudrait parler des accidents : non pas l’accident qui vous mène à l’infirmerie des arènes, mais celui qui crée un angle lorsque vous écrivez, qui vous embarque soudain dans une direction inattendue et imprévisible – l’accident est une propriété de l’art : choisir ou non de l’intégrer pose un problème qui rejoint la question du risque

     

    je suppose que josé tomás n’est pas cantonné à ce qu’il évalue que permet le toro : il doit se tenir disponible à un imprévu qui ouvrirait une possibilité qu’il ne pouvait deviner, et dont la surprise laisse entendre qu’elle ne pourrait l’être, alors qu’elle rompt avec ce qui précédant autant qu’elle s’inscrit dans une logique de l’imprévisibilité

     

    chez l’artiste, l’errance peut provoquer l’accident – pas dans l’arène

     

    beaucoup d’errances dans la vie peuvent mener à écrire »

     

    Ludovic Degroote

    josé tomás

     Éditions Unes, 2014

    Signe du toro du 21 octobre 2012 : http://www.dailymotion.com/video/xuhq3d_signes-du-toro-speciale-jose-tomas-integrale-21-10-12_tv

  • Michel Jullien, « Yparkho »

    jullien_site-168x252.jpg

    « La journée fut sans panne, sans venue, pas de factage, simplement un propriétaire d’olives descendu le matin du village de Zakros à deux-roues avec une turbine de refroidissement serrée entre ses cuisses, modèle tracteur, des fois qu’Ilias eut d’occasion la pièce équivalente, d’un autre modèle, mais non, si l’on pouvait quelque chose pour cette turbine, non, et il reprit sa route en direction de Xerokambos, moins déçu que surpris par cette chanson braillée dans l’atelier – il la racontera partout, à Zakros et plus loin, partout où l’on connaît Ilias : “Mais puisqu’il est sourd !” Ce fut tout, aucun autre mouvement au pas des deux maisons, sinon en début d’après-midi, une péripétie infinitésimale. Quelques chats s’étaient lovés dans la gaine de deux pneus amoncelés (pour la fraicheur, contre la touffeur de midi et l’inverse aussi, pour toute cette chaleur prisonnière du caoutchouc noir, l’ambiguïté thermique où les chats sont bien), l’un somnolant au rez-de-chaussée, deux autres à l’étage supérieur. Leur sieste fut soudain contrariée par un léger remuement, Maria étant venue s’asseoir sur les pneus, son pouf personnel au pas de la porte, de quoi vivre la petite éternité de l’heure, très faible alarme en vérité n’obligeant à rien d’autre que le prolongement du sacré repos, puis un second remous moins d’une minute après, aussi ténu, plus faible encore, la vieille se relevant, retournant chez elle tripoter son fichu, si peu de chose en soi, pas de quoi alerter la paix d’un somme. Elle aurait pu s’attarder davantage, sans compter, rester assise sur son siège pneumatique jusqu’à l’heure d’aller mettre la table, mais un coup de vent lui avait soufflé en plein visage, séance tenante, et son foulard se mit à faire n’importe quoi, dans son cou et sur son front, le nœud avec. Elle y mit les mains mais la robe fit pareil ; elle retint la robe et le foulard reprit son envol. Alors, comme elle n’a plus la tête d’accomplir deux choses à la fois – un bras retenant le voile, l’autre son vêtement –, elle décampa des pneus. Le chemin est si court jusqu’à sa porte qu’elle disparut debout comme qui va à quatre pattes. »

     

    Michel Jullien

     Yparkho

     Verdier, 2014

    Le nouveau site de Verdier : http://editions-verdier.fr/

  • Joël Baudry, « Dimanches, un dimanche »

    9782356080752.jpg

    La banlieue est un dimanche infinissable

     

     « Le terrain de football ennuie les pieds des sportifs – il détermine une surface précise de mélancolie inavouée non reconnue – il marque des points de repère dans l’effroyable des quotidiens – il finit la journée seul abîmé sous les crampons – encore un dimanche de mort et les sportifs au “Bar du Sport” boivent des anis et s’engueulent.

     

    Le mur tient la rue le regard n’a rien à mordre – derrière le mur une bourgeoise famille habite la banlieue – comme souvent en banlieue aucune porte ne trahit le mur – puis à la fin sommes-nous à l’intérieur ou à l’extérieur du crépuscule permanent.

     

    Le bistrot s’accoude sur son bar et s’endort le verre à moitié vide pendant ce temps la radio pend le temps.

     

    Les jardins n’en finissent pas de se rapetisser autour du cabanon qui en mère poule compte les poireaux les navets et les maraudes – hier un homme a tiré sur un voleur de carottes – un bidon bleu en matière plastique sert de réserve à eau – un panneau précise que le jardin comme tous les jardins de banlieue s’appelle “Pièges”.

     

    Sur une aire de stationnement dans une roulotte une femme vend des frites des saucisses et de la bière en boîte : c’est un dimanche vers dix-sept heures trente en banlieue : un homme trempe ses doigts dans une sauce rouge il attend lundi où il n’aura plus rien à attendre. »

     

    Joël Baudry

    Dimanches, un dimanche
    L’Escampette, 2014

  • Claude Dourguin, « Villes saintes »

    Dourguin.jpg

     

    « Villes protégées, interdites, inaccessibles, villes données,

    offertes quand on prête écoute au chemin et à la voix qui tombe des arbres.

    *

    Enceintes silhouettées entre ciel et colline, bleues, ocres, roses, rouges – bienheureux peintres.

     

    De la dureté à la douceur. Guerriers et rêveurs. Des mathématiques à Dieu. Des chevaliers du Temple à François d’Assise.

     

    Regardez, là-bas, cette échancrure du ciel soudain : c’est elle, la voici.

    *

    On approche de la ville sainte – qui ne le sentirait ? La voie se resserre. Le chemin se raidit, s’escarpe, devient sentier en lacets. Enn deviné, l’ultime rétrécissement de la porte.

     

    Là-bas je serai apaisé

    ma soif sera étanchée

    la fatigue et la poussière du chemin

    s’envoleront

    là-bas je serai nouveau-né

    *

    En quête de l’exigeant refuge, le pas tenace, d’invincible lenteur se concilie une à une les ombres du chemin.

     

    Sentiers accrochés à la montagne. Ravins. Escaliers à anc de précipice, passage en surplomb.
    Au bord du gouffre, la ville, parce qu’elle est la main qui retient d’y tomber ? »

     

    Claude Dourguin

     Villes saintes

     Coll. Vérité intérieure, dirigée par René Daillie

    Solaire/Fédérop, 1987

  • Julien Blaine, « 2013 »

    Parce que je ne puis me décider, puisque reproduire une page, la recopier, serait une ineptie, voici le livre. Il faut se le procurer.

    IMAG1140.jpg

  • Virginia Woolf, « Sur les inconvénients de ne pas parler français »

    Virginia-Woolf-001.jpg

     

    « On ose à peine le dire, mais c’est vrai : personne ne connaît le français, hors les Français eux-mêmes. Un Anglais sur deux lit le français, ils sont nombreux à le parler, d’aucuns l’écrivent et ils sont quelques-uns à prétendre – et qui les contredirait ? – que c’est la langue de leurs rêves. Mais pour connaître une langue il faut l’avoir oubliée, et c’est là une étape que l’on ne peut atteindre si l’on n’a pas inconsciemment absorbé les mots dès l’enfance. Lorsque nous lisons une langue qui n’est pas la nôtre, notre conscience en éveil attire notre attention sur le chatoiement superficiel des mots, mais jamais elle ne tolère qu’ils s’enfoncent dans cette région de l’esprit où de vieilles habitudes et des instincts enfouis, en les tournant et retournant, leur façonnent un corps bien différent de leur visage. C’est ainsi qu’un étranger possédant ce que l’on appelle une maîtrise parfaite de l’anglais peut écrire un anglais grammatical et un anglais musical – il écrira souvent, en vérité, tel Henry James, un anglais plus raffiné que celui des indigènes – mais jamais un anglais si inconscient que nous y sentions le passé du mot, ses associations, ses attaches. Il y a une bizarrerie dans chacune des pages que Conrad a écrites. Individuellement, les mots sont justes, mais leur assemblage a quelque chose d’incongru.

    Donc, bien que le nombre de livres français lus chaque année par des Anglais soit sans doute très élevé, l’interprétation de ces livres, si on la soumettait aux critiques français, semblerait souvent étrangement loin du compte. De même, il est toujours amusant de voir ce qui plaît au goût français dans la littérature anglaise, ou de recevoir de leurs critiques quelque version étrange, un rien bancale, de réputations anglaises, quelque vision brillante mais fantaisiste du caractère anglais. L’extrême brio des vies de Shelley et de Disraeli racontées par M. Maurois provenait en partie de la nouveauté dont il les dotait. Une nouveauté d’autant plus frappante qu’il y avait là sans doute un grain de vérité masqué par la coutume.

    C’est la nouveauté, et l’étrangeté, et le fait même que nous soyons conscients et non pas inconscients qui font de la lecture de livres français une habitude si répandue chez les Anglais, qui rendent la littérature française si stimulante, si revigorante, si neuve pour nos esprits. »

     

    Virginia Woolf

     Sur les inconvénients de ne pas parler français

     traduit de l’anglais par Christine Le Bœuf

     précédé de Bravez l’interdit par Alberto Manguel

    Coll. Le cabinet de lecture, L’Escampette, 2014

  • Lambert Schlechter, « Je est un pronom sans conséquence »

    DSCN1014.jpg

    Lors de la remise du prix Batty Weber, 8 octobre 2014
    photo © Sophie Chambard

     

     

    « avec la chemise blanche

    je mets une blanche écharpe

     

    gesticulation pour me protéger

    imparable tactique contre le sort

     

    dans le bleu du ciel rayonne l’astre

    l’univers est serein et impassible

     

    fourmis et abeilles s’affairent

    tout suit inexorablement son cours

     

    je suis un pronom sans conséquence »

     

    Lambert Schlechter

    Je est un pronom sans conséquence

     Phi, 2014

  • Michaël Glück / Susanna Lehtinen, « Mon chien »

    Sans titre.jpg

    « Un chien sans laisse toujours traverse les coulisses. Où ai-je lu ce proverbe, pense-t-il ? Je déteste mon chien particulièrement depuis qu’il parle et prétend me dicter ma conduite, depuis qu’il s’est mis en tête et en voix de commenter le moindre de mes gestes, bref depuis qu’il me tient en laisse. Je n’ignore pas que tous les chiens, ou presque, tiennent leur maître (ou leur maîtresse, il ne faut pas écarter cette hypothèse) en laisse, c’est une image convenue et tout autant indiscutable, mais tous les chiens ne parlent pas ou, du moins, n’en font pas comme le mien étalage.

     

    Le problème avec monchien c’est dit-il. Quand dit-il se permet une intrusion entre monchien et moi, quand il s’interpose entre nous, c’est grand vent de panique et de colère, tumulte et rage et je crois bien que l’animal dont les lèvres se retroussent sur des canines menaçantes, oui, je crois bien que l’animal le plus terriant, c’est moi. Dit-il.

    (Sauf que mes canines, dit-il, un autre, c’est une ction, un travail de faussaire, du grand art mais faux et usage de faux.)

    Vous avez vu.

    L’air de rien, hein.

    Sournois dit-il. »

     

     Michaël Glück

     Mon chien

     Illustrations Susanna Lehtinen

    Cousu Main, 2013

    http://susannalehtinen.com/

    http://editionscousumain.blogspot.fr/