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  • Philippe Lacoue-Labarthe, « phrase »

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    photo in Philippe Lacoue-Labarthe, Altus
    un film de Christine Baudillon et François Lagarde (Hors-Œil éditions)

     

    «  Phrase X

    (« les morts »)

     

    « Ceux-là, sans visage identifiable, mais

    ceux-là, ils sont venus,

    ils se sont assis autour de la lampe, ils ont

    dit qu’ils étaient de passage mais ils

    ont demandé pourquoi nous refusions

    pratiquement de nous

    départir. Ils parlaient

    à voix plutôt basse, de façon retenue,

    sans colère ; ils étaient, lui, elle,

    fatigués, très inquiets ;

    ils pensaient que rien n’arriverait plus

    désormais qui pût donner un semblant

    de véridiction à l’immense rumeur, à

    cet écho pierreux (à la cendre, disaient-ils).

    Ils ne se plaignaient pas, ils demandaient

    simplement qu’on les crût, lui, son chapeau

    sur la tête, les mains adressées, elle,

    ombrageuse (ou fière aussi bien), belle sans doute,

    qui du fond de son âge, de ses yeux devenus gris, de ses larmes,

    invoquait, alors qu’il n’osait rien dire,

    non pas réparation, mais la justice

    simplement, qu’on exécutât

    les lois connues de tous, les lois

    qui gouvernent notre insignifiance, le mal

    et notre infirmité. Ce n’est pas vraisemblable,

    non, disait-elle, ce qui nous est arrivé,

    ce n’est pas vraisemblable : vous savez

    bien, vous savez que nous n’avions rien fait,

    et vous n’en parlez plus, jamais, jamais.

     

    Et lui, à peine audible : nous

    sommes les témoins que dans la honte vous récusez. 

     

    (17 décembre 1988-29 février 1996) »

     

    Philippe Lacoue-Labarthe

    Phrase

    Collection « Détroits »,

    Christian Bourgois, 2000

     

     

  • Ruan Ji, « Ce que j’ai au cœur »

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    « Profonde était la nuit. Le sommeil me fuyait.

    Je me levai, m’assis, jouai sur ma cithare.

    Sur les minces rideaux se reflétait la lune.

    Et un zéphyr très doux faisait frémir ma robe.

    Une oie solitaire pleura dans la broussaille ;

    Un oiseau en criant passa aux bois du nord.

    J’ai erré çà et là. Qu’espérais-je donc voir ?

    Seul un chagrin profond a tourmenté mon cœur. »

     

    Ruan Ji (201-263, période des Trois royaumes)

    Ce que j’ai au cœur est composé de 183 poèmes, celui-ci est le premier

    Traduit par François Martin

    In Anthologie de la poésie chinoise

    La Pléiade, Gallimard, 2015

  • Yannick Torlini, « Camar(a)de »

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    « travaille. toujours travaille tous jours ton peu qui : se déforme éternise dans l’attente se (encore, encore attenter ton corps éternise), déforme. ton peu qui devient mais : sueurs, arthroses, cargaisons de solitudes calcifient, adossées à l’outil encore, adossé. camarade, perclure ton corps à la ruine des frondaisons, n’achèvera pas le doute. qui, n’achèvera rien, s’éternisera anxieux camarade : poumone l’anxieuse asphyxie jusque. cette muqueuse que tu nommes. exister pour.

     * * *

    ne cède jamais (au grand : jamais), ta langue, à la boue. à la (probable). glaireuse attente qui. guette et avance, ta langue dans, fragmentée, condensée, asphyxiée (percluse dans), percluse l’anxiété de. avance fragmentaire crèverie camarade creuse (ton lit, ton rien, ton reste) : ta fragmentaire crèverie, du début de jour. du début de jamais. pasjamais. »

     

    Yannick Torlini

    Camar(a)de

    Éditions Isabelle Sauvage, 2014