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  • Luo Fu, « En raison du vent »

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    DR

    «  En raison du vent

     

    Hier j’ai longé la rivière

    Sans me hâter jusqu’à

    L’endroit où les roseaux se penchant pour boire

    Et j’ai demandé à la cheminée

    D’écrire pour moi dans le ciel une longue lettre

    Sans doute un peu confuse

    Mais mon intention

    Était aussi claire que la chandelle à ta fenêtre

    Qu’on y trouve un peu d’ambiguïté

    C’est bien difficile à éviter

    En raison du vent

     

    Que tu comprennes ou non cette lettre n’a pas d’importance

    L’important c’est qu’il faut

    Avant que les chrysanthèmes n’aient complètement fané

    Que sans tarder tu te mettes en colère, ou que tu ries

    Que sans tarder tu prennes dans le coffre cette fine chemise qui est à moi

    Que sans tarder tu peignes à ton miroir cette noire et souple séduction qui est la tienne

    Et qu’ensuite avec l’amour de toute une vie

    Tu allumes une lampe

    Je suis un feu

    Qui à tout moment peut s’éteindre

    En raison du vent »

    1981

     

    Luo Fu

    En raison du vent

    Traduit du chinois (Taïwan) par Alain Leroux

    Circé, 2017

    http://www.editions-circe.fr/livre-En_raison_du_vent-588-1-1-0-1.html

     

  • Joël Cornuault, « Tes prairies tant et plus »

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    DR

     

    « Que si le temps aux trousses

    – vieilles faux

    que vous faut-il encore

    roses noires squelettes piquants ? –

    il reste tant de ces temps

    d’allégresse suffisamment douce

    pour ne pas nous exploser

    tu es faite comme un moineau de cerisier

    une moinelette de sorbier –

    mais intense assez

    pour faire feu à fleur et à fourrure

    des quatre fers dans le cœur

    cela tient à l’esprit

    que tu as distribué

    sur nos heures

    ton affluence de dons

    – tu parles du haut d’un printemps

    Dans mon sac à pie tes diamants ont chu

     

    Je l’ai senti si fort hier

    ce courant

    ce courant de cavalcade

    dans le plus grand secret

    d’une parfait générosité

    et que cette influence

    digne des fleurs de jasmin et des perce-neige réunis

    est ta création

    – belle comme une horloge qui a perdu ses aiguilles

    une goutte de parfum sur la nuque à l’attention du fiancé

    quand il s’endort contre la fiancée –

    ta graine au jardin

    dans ce désert

    désert de fées

    ta veille au grain d’Éden

     

    À longueur de jours nos mille et une nuits »

     

    Joël Cornuault

    Tes prairies tant et plus

    Dessins de Jean-Marc Scanreigh

    Pierre Mainard, 2018

    http://pierre-mainard-editions.com/boutique/grands-poemes/tes-prairies-tant-et-plus/

  • Franck Venaille, « Visage du condottiere »

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    DR

     

    « D’une douleur prégnante je cherche la raison

    quand cesserai-je de porter à mon cou cette pancarte

    où s’étale le mot : “c.o.u.p.a.b.l.e” ?

    Pourrais-je enfin vivre et penser, agir, aimer et caresser

    la chair de l’autre sans me croire installé

    sur le bûcher de souffrir ?

    D’une blessure ancienne suinte le pus.

    Quelque chose se tord et ricane en moi.

    Peut-être la vision que j’ai de l’infini.

    Peut-être ce qui perdure en moi de primitif.

    Rien que la sensation d’être cet homme désigné

    fatigué de tirer l’attelage des jours.

    Çà ! Ma douleur !

    Ne pouvons-nous pas ajouter un brin de comique à nos rapports ?

    (je me contenterai d’un pétale d’humour).

    Déjà : on installe devant moi cette bouilloire.

    Déjà : dans mon uniforme d’officier du 54e régiment des Trop Sensibles

    je prie ma compagne de partager, avec moi, le breuvage fort !

    C’est alors qu’un cheval avance sa tête par la fenêtre blonde ouverte

    avec harmonie ses longs cils se mêlent aux broderies du rideau.

    Ah ! Montagnes bleues peintes par l’Éternel !

    Ah ! Mélodie rose de la fleur de lupin !

    La douleur est bien là : n’est-elle pas organiquement mienne ?

    Mais j’en fais don au pasteur intègre du village.

    Et c’est d’un air léger que je termine de boire,

    alors que

    pour moi seul, cette femme entière

    soulève sa voilette.

     ——————————————————————

    En ces après-midi où surgissaient les merles

    – petits orateurs agités et pugnaces –

    je ne demandais rien d’autre à la vie que cela

    partager avec eux le silence capiteux

    me laisser abuser par leur si incompréhensible joie

    et

    pourquoi pas ?

    à mon tour étendre sur ma douleur mes ailes noires

    afin de la cacher au regard d’autrui

    en ces après-midi où surgissaient les merles.

    D’une chambre à l’autre

    en leurs fenêtres ouvertes

    passait, bon compagnon : le vent d’avril !

    J’étais ce condottiere venu pour régner sur quelques icônes

    forcément chastes. Ce soldat adossé à cet arrole noir

    lui servant de rempart – main nue qui se tend au passage d’une jupe –

    Rien que moi !

    Tout de moi !

    En ces après-midi où s’agitaient qui vous savez.

    Elle était donc douce et lumineuse cette vie !

    Pourquoi, soudainement, cette étrange odeur glissant dans les couloirs ?

    Et d’où venait, rauque et rauque, cette roux rauque, qui :

    s’élançait

    contournait

    s’immisçait partout, si rauque ?

    De quelle poitrine ? Ça je le saurai.

    De quels poumons ? On me le confiera.

    De quel appartement avec vue sur le lac ?

    Rauque et rauque cette toux signalant à toutes et tous

    que, parmi eux, un être souffrant, sur sa couche, mal respirait.

    En ces après-midi où surgissaient les merles. »

     

    Franck Venaille

    Tragique

    Obsidiane, 2001, rééd. Poésie/Gallimard, 2010