UA-62381023-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Salvatore Quasimodo, « Presque un madrigal »

    salvatore-quasimodo-9449401-1-402.jpg

    DR

     

    « Le tournesol penche vers le couchant

    et précipite déjà le jour dans son

    œil en ruines, le ciel d’été

    s’épaissit et courbe déjà les feuilles et la fumée

    des chantiers. Il s’éloigne avec le cours

    sec des nuages et le cri des foudres

    cet ultime jeu du ciel. Une fois encore,

    et depuis tant d’années, ma mie, il y arrête la mue

    des arbres serrés dans l’enceinte

    du Naville*. Mais c’est toujours notre jour

    et toujours ce soleil qui s’en va

    avec le fil de son rayon affectueux.

     

    Je n’ai plus de souvenirs, je ne veux plus me souvenir ;

    la mémoire se relève de la mort,

    la vie est sans fin. Chaque jour

    est le nôtre. Il en est un qui s’arrêtera pour toujours,

    et toi avec moi, quand tu paraîtras en retard.

    Ici, sur la digue du canal, en balançant

    les pieds comme des enfants,

    nous regardons l’eau les premières branches dans

    sa couleur verte qui s’assombrit.

    Et l’homme qui s’approche en silence

    ne cache pas un couteau dans ses mains

    mais une fleur de géranium. »

     

    * Le Naville est un canal navigable en Lombardie (ndb)

     

    Salvatore Quasimodo

    « La vie n’est pas un songe » (1949) in Ouvrier de songes

    Traduit de l’italien et préfacé par Thierry Gillybœuf

    La Nerthe, 2007

    http://librairielanerthe.blogspot.com/2010/03/salvatore-quasimodo-ouvrier-des-songes.html

  • Olivier Domerg, « La méthode Vassivière »

    martigues-11.jpg

    © Brigitte Pallagi

     

    « […] Toute cette enfance enviait

    la rumeur de la forêt et du lac

    * * *

    Poèmes jetés,

                       structures téméraires.

     

    Le charivari des oiseaux.

     

    Depuis les pâturages

    les clôtures vagabondent.

     

    Lumière intrinsèque

    du paysage,          

                     structurations de la campagne

    tonitruante :

     

    page magique telle l’ardoise.

    La vie

             chaque jour poursuivie.

    * * *

    Le brouillard qui se lève

    sur les champs.

     

    Toute chose ramenée

    à une forme

                       opaque.

     

    Le cri des colverts

    s’interpellant.

     

    Nous avions appris ces mots

    ruraux et les avions oubliés.

    * * *

    Par la suite, nous pensions

    que le lac intense

    était la “lumière de ce monde”.

     

    Personne ne nous avait démentis

    à ce sujet.

     

     

    Nous nous dirigions vers ce bois

    baptisé “de sculptures”,

     

    nous pénétrions dans la forêt

    et nous marchions

                               jusqu’à ce

    qu’un changement s’opère.

     

    Qui s’opérait,

                         de fait. »

     

    Olivier Domerg

    La méthode Vassivière

    Dernier Télégramme, 2018

    http://www.derniertelegramme.fr/La-methode-Vassiviere

  • Jeanne Gatard, « L’esquif »

    jeanne_gatard_-_pr_site.jpg

    DR

     

    « La barque lieu permanent

     

    La barque, lieu perpétuel, conque des paroles, engrange, garde le passage de ceux qu’elle a passés.

    Bac de toutes les traversées, mémoire de la mémoire. Tamis, elle écope et garde le grand vermoulu, gris de bronze après les siècles de pluie, devenu vert-de-gris de l’Aurige. Le petit corps de gaulois assis fait corps avec ce gris de bronze, autant que le trop petit cavalier sur le cheval archéologique d’Athènes, hors d’échelle.

    Ce léger décalage suffit à l’émotion. Le rapport de l’homme à la barque est tel, elle qui n’arrête pas de changer de taille, de David en Goliath.

     

    Elle a des ailes d’Hermès, a pris les flèches de tous les fous. Criblée des trous des balles, c’est la barque mitraillée, devenue légère.

    Noire au départ, elle est blanche de tous les regards qui comptaient sur elle. C’est la barque restée ronde, lourde d’oubli. Elle attend ceux qui l’attendent.

     

    Barque de tous les départs, elle n’est plus à quai, a dérivé, courbe dans le gris plomb qui l’entoure. De plomb, l’eau est devenue gypse et mercure.

    Sur le mercure liquide, elle prend tous les risques, glisse, portant ses passagers.

    Les flèches blanches ne l’ont pas coulée, elles l’ont aérée.

     

    La perplexité en haute précision a pris la gifle du réel à travers le plan de mer et la multitude de ses pans écroulés.

    Là pour un certain temps, un long laps vraiment, la barque recommence sa résonance.

     

    Barque tam-tam, barque tambour, tonneau de Diogène, devenue ventriloque, elle n’est pas loin. Du fond de la conque, chacun raconte ce qu’il a vu.

     

    Barque à trois voix dont les timbres ricochent le long des rivières.

    Parfois au bord des larmes, elle inonde de compréhension.

     

    Lieu fixe, elle flotte encore, n’est pas éperdue puisqu’elle est le lieu. Lieu dans le lieu, hors limites et plus fluide, elle s’allège tant elle est concentrée et rayonne dans son ombre. »

     

    Jeanne Gatard

    L’esquif

    Dessins en couleurs de l’auteur

    Tarabuste, 2012

    http://www.laboutiquedetarabuste.com/fr/catalogue-exhaustif

    https://gatardjeanne.wixsite.com/jeanne-gatard-site