dimanche, 24 juin 2018
Yang Wan Li, « Pour remercier Wu Te hua, commissaire du thé de Chian chow, qui m’a envoyé une nouvelle édition d’un recueil de Su Tung po* »
Ma Yuan (actif 1190-1225), Promenade sur un sentier de montagne au printemps (détail), peinture, encre et couleurs sur soie. Musée du Palais, Taipei
« L’or jaune, le jade blanc, des perles claires comme la lune, des chansons limpides, des danses merveilleuses, une jeune beauté à renverser une ville, les autres ont tout cela, moi seul n’ai rien. Comme Hsiang yu** je n’ai que quatre murs pour m’entourer. À part cela j’ai aussi une étagère de livres. Si elle ne suffit à me rassasier, au moins elle rassasie les termites argentés. Un vieil ami au loin vient de m’envoyer un recueil de Tung po. Les vieux livres quittent tous la natte pour lui céder la place. Quand j’étais enfant, espiègle, pour les cent choses je n’étais pas paresseux, mais quand il s’agissait d’étudier, exprès je me levais tard. Mon père se fâchait, blâmait son fils sot et m’ordonnait, l’estomac affamé, de dévorer de vieux livres abimés. Avec la vieillesse pour les dix mille choses je suis à la traîne derrière les autres. Quand avec nonchalance je prends un vieux livre pour occuper mes yeux malades, dès qu’ils rencontrent le livre mes yeux malades se brouillent. Les caractères gros comme des mouches deviennent de vieux corbeaux. Mes yeux malades, que peuvent-ils donc faire avec de vieux livres ? Quand je feuillette un vieux livre, tout le temps je soupire. Ce recueil de Tung po je l’ai déjà, mais avant d’arriver au dernier chapitre ma main s’arrête. L’encre est imprimée de façon floue, le papier n’est pas bon. Ni bon papier, ni bonne calligraphie. Mais le texte vient d’être gravé sur du bois de jujubier de Fu sha. La gravure fidèle, vigoureuse et svelte ne trahit pas l’original. Le papier est comme un cocon de couleur de neige qu’on sort d’une bassine de jade, les caractères comme le dessin des oies sauvages du givre sur les nuages d’automne. Avec la vieillesse mes deux yeux voient comme à travers le brouillard, quand ils croisent des saules, quand ils croisent des fleurs, ils ne les remarquent même pas. Mais chaque fois qu’il croisent un beau livre neuf, toute la journée ils l’apprécient, ne veulent plus le quitter. Tung po est encore plus fou que moi, il a refusé d’échanger sa veste de toile grossière pour devenir l’un des trois ministres. De son pinceau surgit un langage étonnant, à balayer les chevaux ordinaires de dix mille générations. Vieil ami, tu t’apitoies, comme en vieillissant je deviens plus obtus, au lieu de m’envoyer un élixir pour soigner mes os malades, tu m’envoies ce livre pour me bousculer un peu. Je gratte ma tête blanche jusqu’à ce que la lampe bleue s’éteigne. »
* Poète, peintre, 1037-1101
** Chef militaire de la fin de la dynastie Qin, 232-202 av. J.-C. Selon la légende il se serait décapité lui-même.
Yang Wan Li
Le son de la pluie
Traduit du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 1988
http://www.moundarren.com/poeteschinois/yangwanli
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mardi, 19 juin 2018
Yang Wan Li, « Dans la Barque sous la neige, fatigué je m’endors »
« J’ai construit un petit studio, de la forme d’une barque, aussi l’ai-je appelé la Barque du pêcheur sous la neige. Aujourd’hui j’y étudie, fatigué m’endors. Brusquement le vent entre dans la pièce, remue dans le vase les fleurs de prunier si parfumées. Réveillé en sursaut, je compose ce poème.
une petite chambre, la fenêtre claire, la porte à moitié fermée
lisant un livre je m’endors, tout engourdi
impudentes les fleurs de prunier me dérangent
exprès elles dégagent leur parfum pour briser mon rêve »
Yang Wan Li – 1127-1206
Le son de la pluie
Poèmes traduits du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 1988
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mercredi, 30 août 2017
Wen Cheng ming, « Fin de l’année, une éclaircie après la neige…»
Wen Zhengming, Garden of Pleasure in Solitude (獨樂園圖),
National Palace Museum, Taipei
« fin de l’année, une éclaircie après la neige, de mon ermitage en montagne je promène mon regard
assiégé par le froid, je ne franchis pas la porte
je brûle de l’encens, enchanté de cette oisive quiétude
le soleil de l’aube éclaire bols et tasses
la lumière flottante monte le long du pilier
les bambous élancés ne résistent pas au vent,
leur jade vert ne cesse de bruisser
un sentiment de sérénité déborde de mon visage
au réveil de l’ivresse mon poème aussitôt j’achève »
Wen Cheng ming (Wen Zhengming) – 1470-1559
In Éloge de la cabane
Poèmes choisis et traduits du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 2009
jeudi, 16 mars 2017
Li Po, « Jour de printemps, après l’ivresse évoquant mon sentiment »
Li Po par Liáng Kǎi
« vivre en ce monde est comme un grand rêve
à quoi bon se fatiguer ?
aussi tout le jour je suis ivre
je m’effondre et m’allonge sur le perron
au réveil je regarde dans la cour
un oiseau chante parmi les fleurs
dis-moi, quelle saison est-ce ?
“dans le vent du printemps chante le loriot”
ému par cela je suis pour soupirer,
mais devant le vin me sers à nouveau
je chante à haute voix, attendant la lune claire
quand mon chant s’achève mon sentiment est apaisé »
Li Po (701-762)
Buvant seul sous la lune
Traduit du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 1988
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samedi, 13 février 2016
Li Po, « Buvant seul sous la lune »
Li Po, portrait imaginaire par Liang Ka, XIIIe siècle
Deux traductions d'un même poème
« un pichet de vin au milieu des fleurs,
je bois seul, sans compagnon
levant ma coupe je convie la lune claire
avec mon ombre nous voilà trois
la lune hélas ! ne sait pas boire,
et mon ombre ne fait que me suivre
compagnes d’un moment, lune et ombre,
réjouissons-nous, profitons du printemps
je chante, la lune musarde
je danse, mon ombre s’égare
encore sobres ensemble nous nous égayons
ivres chacun s’en retourne
mais notre union est éternelle, notre amitié sans limite
sur le Fleuve céleste là-haut nous nous retrouverons
Li Po
Buvant seul sous la lune
Poèmes traduit du chinois par
Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 1998
&
« Pichet de vin posé parmi les fleurs.
Boire tout seul privé de compagnon.
Levant ma coupe, je salue la lune
Nous sommes trois : elle mon ombre et moi.
La lune cependant ne sait pas boire
L’ombre non plus qui m’a toujours suivi.
Mais buvons à mon ombre et à la lune
C’est l’éphémère joie de ce printemps.
J’entonne un chant – la lune suit mon rythme
Je danse l’ombre danse au même pas.
L’éveil et la joie pure d’être ensemble.
L’ivresse dissipée chacun se quitte.
Errants à tout jamais liés et seuls
Les retrouvailles dans la Voie lactée. »
Ombres de Chine
Douze poètes de la dynastie tang (680-870) et un épilogue
Choix, traduction et commentaire André Markowicz
Inculte / dernière marge, 2015
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samedi, 09 janvier 2016
Lu Yu, « Le vieil homme qui n’en fait qu’à sa guise »
« Me lamentant de manquer de vin (74 ans)
nul besoin d’endiguer le Fleuve Jaune,
nul besoin de déterrer les tripodes de la dynastie Chou
je souhaite seulement qu’à la maison le vin coule à flot,
jour et nuit ivre à ne pas m’en réveiller
nul besoin d’une coiffe grande comme une corbeille à vanner les céréales,
je souhaite seulement que mon corps soit robuste et en bonne santé,
et du matin au soir boire sans cesse du vin
la Création peu clémente,
chaque jour me met à l’épreuve,
faisant en sorte que, dans ma coupe en bronze,
des mois durant la poussière s’accumule
en cette vie, lorsque j’ai du vin pour la désinvolture je deviens sans rival
cent rouleaux manuscrits se remplissent comme si le vent et la pluie faisaient rage
la Création voudrait-elle m’embarrasser avec la sobriété,
la folie du vieil homme lorsqu’il est sobre, vous ne la connaissez pas encore »
Lu Yu
Le vieil homme qui n’en fait qu’à sa guise
Poèmes choisis et traduits du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 1995, rééd. 2012
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lundi, 06 octobre 2014
Lu Yu, “Le vieil homme qui n’en fait qu’à sa guise”
étudiant les livres
à l’écart je me suis réfugié, au bord des fleuves et des lacs,
séjournant sagement au milieu du vent et de la pluie
le papier neuf à la fenêtre est extrêmement blanc
dans le poêle chaud le feu rouge vif rougeoie
marque-pages et étuis de livres je viens à l’instant d’arranger
la prononciation et la forme des caractères j’étudie en détail
si je ne meurs pas tout de suite et surmonte la décrépitude,
pendant dix années encore je me consacrerai à l’étude
Lu Yu
Le vieil homme qui n’en fait qu'à sa guise
traduit du chinois par Cheng Wing fun & Hervé Collet
Moundarren, 1995
en remerciant Lambert Schlechter depuis Eschweiller
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