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Écrivains

  • Claude Esteban, « Un doigt posé sur la bouche »

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     « Je m’aperçois que je n’ai écrit nulle part que j’aimais le silence. Mais comment parler du silence, sinon en l’enfreignant déjà avec des mots? Peut-être qu’il suffirait de le faire entendre, telle une mélodie muette, par le truchement d’un regard, d’un geste sans brusquerie, d’une connivence. C’est ce que font, je crois, si loin de nous, ces hommes qui se retirent dans des cloîtres ou qui s’enfoncent à jamais dans le désert. Mais ceux-là ont fait profession de silence, ils vivent au-dedans de lui, comme enclos derrière leurs murailles ou dans l’immensité du sable, ils ne savent presque plus rien du silence, puisqu’ils ignorent ou méprisent son contraire, celui qui nous assaille sans cesse, le bruissement continu du monde et ses pouvoirs sur nous, et son tragique, et sa beauté peut-être. Car le silence n’est pas un don du ciel, c’est pour chacun une conquête. Il est exclu du temps et de l’espace, et cependant il cherche à y trouver son lieu, il creuse dans l’horizontalité lassante du devenir, des puits, des galeries secrètes, toute une géologie de l’en-bas qu’un rien déconcerte. J’aime le silence parce qu’on l’épouse furtivement, au terme d’une espérance infinie, et que les biens qu’il nous accorde, pour dérisoires qu’ils apparaissent aux yeux de tous les acteurs de l’immédiat, ne peuvent se comparer à aucun autre. Que les silencieux, s’ils consentent à m’écouter, me comprennent. Je ne veux rien leur soustraire, je marche avec respect vers leur demeure. Moi aussi j’ai vécu, j’ai beaucoup parlé, peut-être que je parle encore, mais c’est à présent comme si je me souvenais de choses très anciennes et qu’elles fussent devenues si légères qu’en les ramenant sur mes lèvres ou dans ma pensée, elles dérangeaient à peine un ordre immuable. Je ne me souviens plus si le silence était un dieu chez les Grecs, ces inventeurs merveilleux du Verbe. Je crois qu’il existe, là-bas, quelque image d’un jeune homme, le doigt posé sur sa bouche, et qui sourit. C’est le seul dieu que je révère, les autres, et surtout ceux qui ont voulu que leurs paroles fussent consignées dans un livre, les autres me sont étrangers. Ils ne prêchent pas le silence, mais le mutisme, le bâillonnement des âmes, l’interdit. Le silence est un papillon qui va d’une fleur à l’autre, une abeille qui butine patiemment son nectar et qui le dépose, au soir, dans une ruche invisible. Que je sois, même un instant, ce papillon, cette abeille, que je n’entende plus rien sinon les battements de mon cœur. Que les arbres et les étoiles m’accompagnent et qu’il y ait ce frémissement du rien dans l’immense, et que je m’endorme à la fin dans cette musique. »

     

    Claude Esteban

    Janvier, février, mars — pages

    Farrago, 1999

  • Denise Levertov, « Septembre 1961 »  

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    « C’est l’année où les anciens,

    les grands anciens

    nous ont laissés seuls sur la route.

     

    La route mène à la mer.

    Nous avons les mots dans nos poches,

    d’obscures indications. Les anciens

     

    nous ont ravi la lumière de leur présence,

    nous la voyons s’éloigner sur la colline

    et sur l’autre versant disparaître.

     

    Ils ne sont pas mourants,

    ils se sont retirés

    dans une douloureuse solitude

     

    apprenant à vivre sans les mots.

    E.P. “Cela ressemble à la mort” ­— Williams : “Je ne peux

    vous décrire

     

    ce qui m’est arrivé” —

    H.D. “incapable de parler.”

    Les ténèbres

     

    se tordent dans le vent, les étoiles

    sont minuscules, l’horizon

    est cerné par la lueur confuse de la ville.

     

    Ils nous ont dit

    que la route mène à la mer,

    ils ont mis

     

    le langage entre nos mains.

    Nous entendons

    le bruit de nos pas chaque fois qu’un camion

     

    nous a croisés dans la lueur éblouissante des phares

    nous laissant un nouveau silence.

    On ne peut atteindre

     

    la mer par cette interminable

    route de la mer, à moins

    de la quitter enfin, nous semble-t-il,

     

    à moins de suivre

    la chouette qui glisse là-haut, silencieuse

    d’un vol oblique, passe et repasse,

     

    se perd dans la forêt profonde.

     

    Mais devant nous la route

    se déploie, nous comptons les

    mots dans nos poches, nous nous demandons

     

    ce que sera la vie sans eux, nous ne

    cessons de marcher, nous savons

    que la quête sera longue, parfois

     

    il nous semble que le vent de nuit

    apporte l’odeur de la mer... »

     

    Note : E.P., Ezra Pound. Williams, William Carlos Williams.

    H.D., Hilda Doolittle.

    Denise Levertov

    Un jour commence

    Traduit de l’anglais et préfacé par Jean Joubert

    Les cahiers des brisants, 1988

  • Denise Levertov, « Le secret »

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    « Deux jeunes filles découvrent

    le secret de la vie

    dans le brusque vers d’un

    poème.

     

    Moi qui ne connais pas le

    secret j’ai écrit

    ce vers. Elles

    m’ont fait dire

     

    (par une tierce personne)

    qu’elles l’avaient trouvé

    sans préciser ce qu’il était

    ni même

     

    de quel vers il s’agissait. Sans doute

    maintenant, plus d’une semaine

    après, elles ont oublié

    le secret,

     

    le vers, le titre du

    poème. Je les aime

    d’avoir trouvé ce que

    je ne puis trouver,

     

    et parce qu’elles m’aiment

    à cause de ce vers que j’ai écrit

    et parce qu'elles l’ont oublié,

    si bien que

     

    mille fois, jusqu’à ce que la mort

    les trouve, elles pourront

    le redécouvrir dans d’autres

    vers

     

    dans d’autres

    événements. Et parce qu’elles

    veulent le connaître

    parce qu’elles

     

    présument qu’un tel secret

    existe, oui,

    pour cela

    avant tout je les aime. »

    Denise Levertov

    Un jour commence

    Traduit de l’anglais et préfacé par Jean Joubert

    Les cahiers des brisants, 1988

  • Denise Levertov, « La rose »

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    (pour B. L.)

     

     

    « Dans la verte Alameda, près des fontaines,

    un vieillard, les mains

    serrées derrière son pauvre dos

    à pas lents va de rose en rose, s’arrête

    pour méditer, respirer le parfum, et moi

    qui le suis à distance, je découvre

    la rose dorée, couleur d’abeille, odeur de miel,

    la rose rouge, contralto, les roses

    couleur de nuage à l’aube, de neige au clair de lune,

    couleurs que seules savent les roses,

    mais nulle rose

    comme la rose que je vis dans ton jardin. »

     

    Denise Levertov

    Un jour commence

    Traduit de l’anglais et préfacé par Jean Joubert

    Les cahiers des brisants, 1988

  • Claude Margat, « Peindre un paysage »

    claude margat,

    Claude Margat, carnet chinois

     

    « Peindre un paysage c’est s’inscrire dans son histoire mais c’est également tenter de saisir sa ligne que. J’aimerais que mes paysages peints ne reflètent qu’eux-mêmes. J’aimerais seulement que mon intention coïncide avec l’intention qui s’exprime à travers eux. Ce besoin de coïncidence me reconduit chaque fois vers l’exercice d’écriture d’une part, et d’autre part vers une multiplication des états du paysage. C’est bien la fréquentation régulière d’un espace qui conduit à en saisir l’esprit général, sa forme constante et le vêtement de ses transformations. La vision qui relie le présent au passé, c’est l’image du sans image. À la longue, le peintre devient lui-même le lieu de métamorphose du paysage. Doit-on alors considérer que le paysage n’est plus qu’un prétexte à l’autoportrait ? Et parallèlement, est-ce un hasard si le martin-pêcheur au plumage de feu et d’azur apparaît précisément à l’heure du jour où dominent rouge et bleu ? La nature aime le beau et la cruauté l’indiffère. La cruauté d’ailleurs est un élément essentiel de la beauté, elle est même ce qui en valide le sens. Ne pas inclure la cruauté dans la beauté, refuser de voir à quel point l’une et l’autre sont intimement liées, c’est délibérément choisir le camp du kitch et de la niaiserie contre celui du réel. Le laid devient alors cette expression du beau à laquelle il manque une dimension. Vous ne pouvez par exemple admirer pleinement la beauté d’un rapace en plein vol si nous n’acceptez pas de le voir déchiqueter en plein vol la proie vivante qu’il emporte dans ses serres. L’exigence parfaite se tient de ce côté parce que s’y exprime l’économie naturelle du monde, celle qui tient encore lorsque s’effacent les illusions. »

     

    Claude Margat

    Réminiscences, in « Daoren, un rêve habitable »

    La Différence, 2009

     

    Aujourd'hui, 24 juillet 2025, Claude aurait 80 ans.

    Ainsi nous le fêtons !

  • Claude Margat, « Peindre un paysage »

    claude margat,

    Claude Margat, carnet chinois

     

    Claude Margat, « Peindre un paysage »

     

    « Peindre un paysage c’est s’inscrire dans son histoire mais c’est également tenter de saisir sa ligne mélodique. J’aimerais que mes paysages peints ne reflètent qu’eux-mêmes. J’aimerais seulement que mon intention coïncide avec l’intention qui s’exprime à travers eux. Ce besoin de coïncidence me reconduit chaque fois vers l’exercice d’écriture d’une part, et d’autre part vers une multiplication des états du paysage. C’est bien la fréquentation régulière d’un espace qui conduit à en saisir l’esprit général, sa forme constante et le vêtement de ses transformations. La vision qui relie le présent au passé, c’est l’image du sans image. À la longue, le peintre devient lui-même le lieu de métamorphose du paysage. Doit-on alors considérer que le paysage n’est plus qu’un prétexte à l’autoportrait ? Et parallèlement, est-ce un hasard si le martin-pêcheur au plumage de feu et d’azur apparaît précisément à l’heure du jour où dominent rouge et bleu ? La nature aime le beau et la cruauté l’indiffère. La cruauté d’ailleurs est un élément essentiel de la beauté, elle est même ce qui en valide le sens. Ne pas inclure la cruauté dans la beauté, refuser de voir à quel point l’une et l’autre sont intimement liées, c’est délibérément choisir le camp du kitch et de la niaiserie contre celui du réel. Le laid devient alors cette expression du beau à laquelle il manque une dimension. Vous ne pouvez par exemple admirer pleinement la beauté d’un rapace en plein vol si nous n’acceptez pas de le voir déchiqueter en plein vol la proie vivante qu’il emporte dans ses serres. L’exigence parfaite se tient de ce côté parce que s’y exprime l’économie naturelle du monde, celle qui tient encore lorsque s’effacent les illusions. »

     

    Claude Margat

    Réminiscences, in « Daoren, un rêve habitable »

    La Différence, 2009

     

    Aujourd'hui, 24 juillet 2025, Claude aurait 80 ans.

    Ainsi nous le fêtons !

  • Marcel Proust, « Journées de lecture (début) »

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    « Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. Tout ce qui, semblait-il, les remplissait pour les autres, et que nous écartions comme un obstacle vulgaire à un plaisir divin : le jeu pour lequel un ami venait nous chercher au passage le plus intéressant, l’abeille ou le rayon de soleil gênants qui nous forçaient à lever les yeux de la page ou à changer de place, les provisions de goûter qu’on nous avait fait emporter et que nous laissions à côté de nous sur le banc, sans y toucher, tandis que, au-dessus de notre tête, le soleil diminuait de force dans le ciel bleu, le dîner pour lequel il avait fallu rentrer et pendant lequel nous ne pensions qu’à monter finir, tout de suite après, le chapitre interrompu, tout cela, dont la lecture aurait dû nous empêcher de percevoir autre chose que l’importunité, elle en gravait au contraire en nous un souvenir tellement doux (tellement plus précieux à notre jugement actuel que ce que nous lisions alors avec amour) que, s’il nous arrive encore aujourd’hui de feuilleter ces livres d’autrefois, ce n’est plus que comme les seuls calendriers que nous ayons gardés des jours enfuis, et avec l’espoir de voir reflétés sur leurs pages les demeures et les étangs qui n’existent plus. »

     

    Marcel Proust
    Journées de lecture, 1919

     

  • Emmanuel Merle, « Le regard et la voix »

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    « Est-il temps encore d’aimer celui qui n’a été enfant qu’une seule fois ?

    Aimer geste et regard, adhérer, avec l’aile immense du soleil, à ce qui de toujours a semblé tête baissée ?

    Nous remercions cette eau, l’enfant et moi, et, pétrifiée dans cet écoulement, l’image assoiffée et claire d’une pierre, immobile comme un plein instant.

    Dire l’autre, c’est difficile. Un rebord, et l’espoir fou d’une main sur la poitrine, qui retiendrait.

     

    …………

     

    Je voudrais être le présent, ligne de partage des eaux, et signe indéchiffrable de leur éploiement.

    Je ne désire pas le sens, je cherche le corps, son dévalement, je demande ma pleine incarnation.

    De la neige à l’estuaire, mon sang, Des vallées veinées rouges, et des oiseaux pour y boire.

    Je voudrais un immense consentement. »

     

    Emmanuel Merle

    Dernières paroles de Perceval

    L’Escampette, 2015

  • Dominique Meens, « Un oiseau d’hiver (extrait) »

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    « Qu’y a-t-il entre le crépuscule et l’aube, entre l’aube et le crépuscule ? Le roux dans le brun de l’oiseau d’hiver : une aube ? Un crépuscule ? Aujourd’hui est le passé de demain, demain le futur d’hier. Le roux dans le brun de l’oiseau d’hiver : un crépuscule, hier, pour une aube, demain ? Ou l’aube passée d’un crépuscule ? Le rouge-gorge est revenu comme jadis frapper le carreau de votre cuisine. Allons ! Tu ne vois pas ? C’est l’hiver ! J’ai froid, j’ai faim ! Tu veux m’entendre ? Nourris-moi, ouvre ta fenêtre que j’aille me réchauffer sur ton lutrin. Tous sont partis... Presque tous, je te l’accorde, mais qui chante ? Qui ? Qui te préserve un printemps sous la main, te démontre que l’hiver est le destin d’avril comme la bûche est celui du feu ? Qui te détourne de sombrer dans la nuit, t’exerce à la patience, te laisse deviner que l’aube se mêle au crépuscule ? L’oiseau s’installe, bavard comme jamais. Vous l’écoutez, vous ne pouvez vous empêcher de l’écouter. Chaque matin, chaque soir, le partisan des soleils tomates reprend sa leçon, que vous écoutez, que vous ne pouvez vous empêcher d’écouter. Bientôt, vous la connaissez sur le bout des doigts. Les jours passent. Les jours passent et vous découvrez, un soir, que le chant de votre hôte n’est pas sans mélancolie. Vous n’avez pas encore votre idée là-dessus, vous l’écoutez un peu moins attentivement, tout au plus, de crainte que le soupçon de tristesse que vous avez cru déceler chez votre ami ne vous gagne, ne vous bouscule définitivement dans l’état où il vous avait trouvé. Les jours passent, chaque soir, chaque matin, le rouge-gorge vous étourdit, vous impose ses soleils couchants, ses aubes verglacées. Il vous arrive, à l’occasion, de douter, la tonalité chagrine que vous avez remarquée vous semble un regret, un deuil peut-être dont il ne vous a rien dit, un secret que votre hospitalité ne mérite pas. A vrai dire, vous ne comprenez pas grand-chose au baragouin qu’il pépie de temps à autre, plutôt le matin, ou vers le soir, perché sur votre bureau. Entre l’aube et le crépuscule, il y a tout de même le jour, vous dites-vous –  mais c’est un merle qui vous a soufflé cette incroyable consolation ; entre le crépuscule et l’aube, la nuit, vous dites-vous – cette fois le merle ne vous a rien chanté, vous n’êtes plus si bête, tout simplement, pensez-vous. Tu entends ? lui demandez-vous un peu plus tard. Oui, dit-elle, c’est un merle, n’est-ce-pas ? En effet, un merle. Voilà un oiseau qui ne se répète pas, ajoutez-vous, plus intéressant, en fin de compte, que le rouge-gorge, tu ne trouves pas ? Tu dis ça tous les ans, répond-elle, et : j’ai cru voir des crocus, hier, par ici. Allons voir. »

     

    Dominique Meens

    Ornithologie du promeneur

    Allia, 1995

  • Michael Palmer, « Notes pour Echo Lake 7 »

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    « Ainsi ceci était l’histoire est une histoire lune gibbeuse 1 h 10 du matin il tombe du côté du monde d’un pont oui dieu m’a fait pas une dent dans ma tête quoi d’autre le chien gris aboie pendant que sphère à l’intérieur de sphère rouille à côté de la clôture dieu anonyme moi vexé mais je me réveillai puis parti bras gauche replié derrière mon dos ciel clair au-dessus ainsi ceci est ceci et les lucioles sont une partie de cela les criquets araignées blanches débris de la forêt de cèdres dans laquelle il se cachait pluie tantôt tombant ensuite soleil chimique ensuite pluie encore signifiant hiver restes de la forêt dans laquelle il avait vécu minuscule fleur jaune rayée de bleu tout petits doigts et poignets figures étoile-croisée au milieu mots et sang confondus feuilles pas vertes mais ternes et branches sombres enroulées et emmêlées nous grimpâmes au sommet d’une colline obscurcie par la brume nous nous assîmes et parlâmes rien de plus emmitouflés coups de fusils à quelques kilomètres de là brise légère parfumée au romarin et à la sauge chien gris qui aboie à un rocher tombé de haut pendant la lecture d’un livre circulaire rêve chinois rouillant contre la clôture sphère dans sphère dans sphère la limite est trois une maintenant une alors une quoi ou quand cheveux et yeux considérés simplement comme éléments de la composition jour que nous assumons suivrait jour un vous un moi un il-elle-ça ruisseau boueux au-dessous d’une fenêtre quai rats jouant dans arc-de-lumière un signe de tête de godet et un Mincka Mauss paysage dans lequel les figures apparaissent rarement golondrina golonfina et le reste ci-gît Dupont-Chose ses mots étaient bleus et ses dessous roses moineau faucon à peine plus grand que votre palme signe qui se vide s’asseyant et parlant rien de plus n’est tombé du côté du monde lui-même bras tendu pour protéger son visage chien gris aboyant à l’horloge qui se brise en éclats de verre au-delà du mur de la cour suivi par un rire moi-même nous vîmes passer avec des yeux protégés de la lumière l’amant avec des ailes de griffon agenouillé dans une attitude de prière des vagues retombant au pied de notre lit ont été elles ont été malades un peu malades trois soleils traversant un ciel d’hiver moi-même en veste de velours bleu flânant près de la fenêtre à demi-ouverte fantôme suivant l’un tient une lampe l’autre une épée et une éponge bleue comme si c’était des montagnes de rouille paroles cassées après langage vaste rire sans dents mots ouverts après le langage bleu comme si c’était un salut ou une fin subite une marque indiquant quel bleu comme si c’était une lettre rouge comme si c’était un nom écrit à l’envers. »

     

    Michael Palmer

    Notes pour Echo Lake

    Traduit de l’américain par Sydney Lévy & Jean-Jacques Viton

    Spectres Familiers, 1992

  • Florence Delay, « La séduction brève »

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    « Le baiser court est infiniment plus vif et troublant que le baiser long qui est une fin en soi et c’est pourquoi la nouvelle, forme brève, séduit, à l’opposé du roman si long qu’il faut y revenir, y demeurer, et qui parle d’amour. La séduction est liée à des moments brefs, détachables et détachés du cours de l’existence, sorte de création artificielle, électrique, proche de la ré-création. Je n’en ai pas le sentiment tragique. Il est hélas de plus en plus rare d’être troublé puisqu’à l’imitation des écrits qui parlent d’écriture, les femmes, les hommes, parlent de plus en plus volontiers librement d’eux-mêmes à des fins confessionnelles. Se raconter dans l’espoir d’être guéri au lieu d’attendre d’être blessé, d’être compris au lieu d’être rapté, ne plus considérer l’autre comme un miroir, une fontaine, mais comme un analyste, aplanit terriblement le monde. 

    Dans ces circonstances il ne reste plus qu’à essayer de troubler et passer de l’état d’être séduit à celui de séducteur, activité joyeuse, non convenue, légère au sens de non pesante, qui met la durée en péril. »

     

    Florence Delay

    La séduction brève

    Collection « Comme », dirigée par Bernard Noël

    Les Cahiers des Brisants, 1987 – repris en 1997 aux éditions Gallimard

     

    Chère Florence, je garde les beaux souvenirs, chez vous à Paris, à Bordeaux, Biarritz, Saint-Étienne-de Baïgorry,  à Dax, à Madrid, autour des si doux Seins de Ramón Gómez de la Serna (le dessin que vous m‘avez donné est là, tout près), aux arènes…, nos longues conversations, votre si beau sourire, nos amis merveilleux : Michel Chaillou, Jacques Roubaud, Francis Marmande…, et tous vos livres épatants.

    Si chère Florence, vous nous manquez tellement déjà.

     

  • Constantin Cavafy, « Corps, souviens-toi »

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    « Souviens-toi, souviens-toi non seulement de l’ardeur

    Avec laquelle on t’a aimé, non seulement des lits

    Sur lesquels tu t’es étendu, mais aussi de ces désirs

    Qui brillaient clairement pour toi, qui tremblaient

    Dans la voix et qu’un obstacle quelconque a rendus vains.

     

    Aujourd’hui que tout cela appartient au passé,

    Il semble presque que tu te sois abandonné

    À ces désirs, corps. Souviens-toi comme ils brillaient

    Pour toi, dans les yeux, et comme ils tremblaient,

    Pour toi, dans la voix ; souviens-toi. »

     

    Constantin Cavafy

    Poèmes

    Présentation et texte français par Henri Deluy

    Fourbis, 1993