lundi, 22 mars 2021
Un autre monde : Claude Chambard
Les livres occupent chaque recoin de la maison, entassés, rangés. La bibliothèque est un palais. Nous sommes attablés dans la salle à manger. Le café est chaud. Je sais déjà que je ne pourrai pas tout raconter de cet amour des livres qui rend cet homme si vivant, son regard si brillant et son rire si clair. Claude Chambard est un insatiable lecteur. Un lecteur veilleur et généreux.
Propos recueillis par Lucie Braud
Vous souvenez-vous du premier livre que vous avez eu entre les mains ?
Claude Chambard : Je m’en souviens et je l’ai toujours. Tout ce qui était à moi a pourtant disparu lorsque ma grand-mère a vendu la maison de famille. Par un extraordinaire hasard, ce livre a survécu et je l’ai retrouvé après sa mort. C’est ma marraine qui me l’avait acheté à la Noël 1954 qui précéda mon entrée au cours préparatoire : Histoire de Monsieur Colibri (Gründ, écrit par Marcelle Guastala et imagée par Suzanne Jung, 1947). […]
La suite de cet entretien dont m'honore Lucie Braud est ici http://1autremonde.eu/project/claude-chambard/
accompagné trois lectures audios de brefs extraits, par mes soins, de Vie secrète de Pascal Quignard, L'Orphelin de Pierre Bergounioux & Les Corps vulnérables de Jean-Louis Baudry & d'une poignée de photographies prises par Lucie de ma bibliothèque avant son rangement dit "du confinement".
Bonne lecture & mille mercis à Lucie Braud & à son association L'Autre monde.
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dimanche, 28 février 2021
Michel de Montaigne, « De la solitude »
« C’est assez vescu pour aultruy ; vivons pour nous au moins ce bout de vie ; ramenons à nous et à nostre ayse nos pensees et nos intentions. Ce n’est pas une legiere partie que de faire seurement sa retraicte : elle nous empesche assez, sans y mesler d’aultres entreprinses. Puisque Dieu nous donne loisir de disposer de nostre deslogement, préparons nous y ; plions bagage, prenons de bonne heure congé de la compaignie ; despetrons nous de ces violentes prinses qui nous engagent ailleurs et esloignent de nous.
Il fault desnouer ces obligations si fortes ; et meshuy* aymer cecy et cela, mais n’espouser rien que soy ; c’est à dire, le reste soit à nous, mais non pas ioinct et collé en façon qu’on ne le puisse despendre sans nous escorcher et arracher ensemble quelque piece du nostre. La plus grande chose du monde, c’est de sçavoir estre à soy. »
* maintenant
Michel de Montaigne
Essais, livre I, chapitre XXXVIII
Bon anniversaire Michel de Montaigne, 28 février 1533
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mercredi, 24 février 2021
Thomas Bernhard, « Un enfant »
« Les grands-pères sont les maîtres, les véritables philosophes de tout être humain, ils ouvrent toujours en grand le rideau que les autres ferment continuellement. Nous voyons, quand nous sommes en leur compagnie, ce qui est réellement, non seulement la salle, nous voyons la scène et nous voyons tout, derrière la scène. Depuis des millénaires les grands-pères créent le diable là où sans eux il n’y aurait que le Bon Dieu. Par eux nous avons l’expérience du spectacle entier dans son intégralité, non seulement du misérable reste, le reste mensonger, considéré comme une farce. Les grands-pères placent la tête de leur petit-fils là où il y a au moins quelque chose d’intéressant à voir, bien que ce ne soit pas toujours quelque chose d’élémentaire, et, par cette attention continuelle à l’essentiel qui leur est propre, ils nous affranchissent de la médiocrité désespérante dans laquelle, sans les grands-pères, indubitablement nous mourrions bientôt d’asphyxie. Mon grand-père me sauva du morne abrutissement et de la puanteur désolée de la tragédie de notre monde, dans laquelle des milliards et des milliards sont déjà morts d’asphyxie. Il me tira suffisamment tôt du bourbier universel non sans un processus douloureux de correction, heureusement la tête en premier, puis le reste du corps. Il dirigea mon attention suffisamment tôt mais effectivement il fut le seul à l’avoir dirigée, sur le fait que l’homme a une tête et sur ce que cela signifie. Sur le fait qu’en plus de sa capacité de marcher, la capacité de penser doit commencer aussitôt que possible. »
Thomas Bernhard
Un enfant
Traduit de l’allemand par Albert Kohn
Gallimard, 1984 (première édition allemande, 1982)
pour le 24 février 1890
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samedi, 20 février 2021
Gustave Roud, « Ô mère… »
« Ô mère, c’en est fini de ces questions remâchées au long des ans, dans l’usure de toute résignation, comme une herbe d’amertume.
Ô mère, un oiseau m’a donné la seule réponse. De deuil en deuil, il a fallu toute une vie, toute ma vie pour recevoir enfin ce don immérité : le secret qui va nous joindre.
Ô mère, écoute : il n’y a plus d’ailleurs. »
Gustave Roud
Requiem
Payot, 1967 – actuellement disponible dans la collection Mini Zoé
pour le 20 février 1926
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dimanche, 14 février 2021
Gustave Roud, « Le rameau de cerisier »
Fenêtre à Carrouge, photographie de Gustave Roud
« Nos années, l’une après l’autre, élèvent autour de nous un palais de miroirs profonds, la source d’une grandissante féérie. Chaque cycle de saisons laisse en nous sa trace – qui diffère de toutes les autres et compose avec elles un accord toujours plus riche : est-il impossible d’imaginer une longue vie devenue si chargée de ces résonances temporelles qu’elle soit, dans une certaine mesure, victorieuse du temps lui-même ? Chaque instant nouveau (et périssable) éveillant à travers la mémoire les instants semblables qui le précédèrent, l’homme écouterait sans fin (au cœur d’une sorte de Présent perpétuel et magique) vibrer ensemble les harmoniques de son passé.
Ce rameau de cerisier sauvage qu’avril une fois encore jette au milieu de nos glaces imaginaires, cette petite chose nue et pure comme une seule note très limpide, tue aussitôt que chantée, mille échos temporels s’en emparent et l’orchestrent. De trois corolles les jeux du souvenir font naître un arbre immense, un orage de pétales, d’abeilles et d’odeur. Celui qui suffoque enfin sous le délice de cette floraison spirituelle faut-il lui reprocher comme un crime la pensée qui le hante, née sournoisement d’une attente jamais lasse. “Il faut que l’herbe et la fleur des champs soient fauchées et se flétrissent pour être sauvées par l’homme. C’est lorsqu’une chose n’est plus qu’elle commence à exister pour lui : l’absence, condition de la possession véritable, le périssable, substance de l’éternel”. »
Gustave Roud
Les fleurs et les saisons
Photographies de l’auteur
Édition préparée et postfacée par Philippe Jaccottet
La Dogana, 1991
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vendredi, 12 février 2021
Gustave Roud, « Le bois-gentil »
photogramme du film de Michel Soutter, Gustave Roud, poète, 1965
« Un petit arbuste aux lisières des forêts, aux pentes des ravins, parmi les broussailles des clairières, dans les jeunes plantations de hêtres et de sapins. Mais pour le promeneur d’avant-printemps, qui se repose sur la souche humide et ronde, couleur d’orange, des fûts fraîchement sciés, ce n’est tout d’abord qu’une gorgée d’odeur aussi puissante qu’un appel. Il se retourne : là, parmi le réseau des ramilles, à la hauteur de son genou, ces deux ou trois taches roses, d’un rose vineux, le bois-gentil en fleur ! Qu’il défasse délicatement les branches enchevêtrées, qu’il se penche sur l’arbrisseau sans en tirer à lui les tiges, car un geste brusque ferait choir les fleurs rangées en épi lâche, par petits bouquets irréguliers à même l’écorce lisse d’un gris touché de beige. Chacune, à l’extrémité d’une gorge tubulaire, épanouit une croix de quatre pétales charnus, modelés dans une cire grenue et translucide, dont les étamines aiguisent le rose, au centre de la croix, d’un imperceptible pointillis d’or. Et de chacune pleut goute à goutte ce parfum épais et sucré comme un miel où chancelante encore de l’interminable hiver s’englue irrésistiblement la pensée.
Mais qu’il tienne couteau en poche, celui qui voudrait cueillir le bois-gentil ! À tenter de le rompre avec ses seuls doigts, il ne parvient qu’à déraciner toute la plante ou sinon, c’est une baguette nue qui lui reste dans la main, avec des lanières de tenace écorce déchirée et leur odeur vireuse, comme celle de certains champignons mortels.
Gustave Roud
Les fleurs et les saisons
Photographies de l’auteur
Édition préparée et postfacée par Philippe Jaccottet
La Dogana, 1991
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samedi, 30 janvier 2021
Un matin, simplement un matin
© Sophie Chambard
pour fêter l’anniversaire de Sophie, ce 30 janvier
Un matin, simplement un matin, frais, un peu ensoleillé, les oiseaux sont de la partie, l’enfant est vivante, elle fait des petits baisers avec ses petites mains potelées & son petit sourire transperce la bêtise & la méchanceté, tu sais, elle dit les mots d’amour, elle dit framboise & pistache d’Égine, elle mâche lentement, on pourrait croire qu’elle déguste déjà ses souvenirs, elle ne pleure pas ou alors lorsqu’il n’y a personne, elle rit souvent en regardant les papillons aller de fleur en fleur, aspirant les sucs qui arrondiront son ventre, elle parle de vie, ce n’est pas facile une vie, elle sait déjà que c’est une tâche très ardue qui nécessite que l’on partage la grâce du chat qui s’étire
Claude Chambard
inédit, extrait de Un matin, en cours
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samedi, 12 décembre 2020
Un présent,
© : cchambard
pour mon merveilleux filleul Valère,
ce 12 décembre 2020
Un présent, enveloppé dans un papier d’hier, que l’on utilisera demain, un présent, c’est l’enfance qui revient, c’est un jour sans brouillard, une soupe sans caillou, de la neige à Noël — Pâques aux tisons, Noël au balcon —, c’est dormir tout habillé & se réveiller frais comme un nouveau baptisé, s’endormir comme un saint & se réveiller comme un diable, un présent c’est une promenade au bord du canal, sa petite main dans une bien large & rassurante, croiser péniches & boulonnais sans changer d’époque, cueillir des fruits mûrs sur des arbres généreux de toute éternité, c’est le texte bienvenu avant même d’avoir été écrit
Claude Chambard
inédit, extrait de Un matin, en cours
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dimanche, 06 décembre 2020
Je rêve de trouver, un matin…
Shi Tao, vers 1700
pour fêter l’anniversaire de mon ami Tristan Hordé,
ce 6 décembre 2020
Je rêve de trouver, un matin, le journal intime du merle & à l’hiver celui de son ami le rouge-gorge – le rossignol chante trop pour avoir le temps de noter quoi que ce soit, il est déjà ivre de lui-même –, ce serait comme un voyage au monastère du Dragon Bleu, le style en serait leste & sans mauvaise contrainte, dix mille mots y bâtiraient quelques phrases essentielles, je ne divulguerais rien, même sous la torture, comme il est d’usage de dire, le merle est un frère des coteaux du sud, le rouge-gorge des coteaux du nord, leurs journaux, ceux qui m’intéressent, disent les embuscades & les tranquillités du jardin & des forêts de la Chique
Claude Chambard
inédit, extrait de Un matin, en cours
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vendredi, 04 décembre 2020
Un matin, dévaler encore…
pour fêter l’anniversaire de mon ami Lambert Schlechter,
ce 4 décembre 2020
Un matin, dévaler encore, la page & la vie, descendre le pichet de vin du vieux Li Po avec l’ami Shen Fu, toujours boire avec un compagnon & chanter avec lui dès que la lune se lève pour égayer le ciel sans limite comme l’amitié, loin de notre pays natal, vieux camarade, nous essayons de ne pas laisser la tristesse nous envahir, il fait frais, allumons le vieux poêle, le cœur est voyageur, d’est en ouest, de rivière en rivière, cette douceur de vivre près des vignes, tout à côté des forêts, nous avons marché longtemps, songeant à nos amis éparpillés qui sont enfin rentrés chez eux, nos livres se confondent, c’est la voix qui est l’identité du poème
Claude Chambard
inédit, extrait de Un matin, en cours
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jeudi, 19 novembre 2020
Bernard Noël, « La chute des temps »
Bernard Noël, 27 novembre 2010, bibliothèque Mériadeck, Bordeaux ©CChambard
Ritournelles 11, Le corps écrit.
[…] l’avenir n’est pas un jour plus un jour
il est maintenant
oh dis-je
si tu ne veux pas de moi
le toi ne pourra te revenir
pas plus que ton image de moi
ne pourra sortir de toi
nul n’est en soi hormis les anges
ton image criera en moi
oh injuste
injuste et mon souffle emportera
le visage qui sur ton visage était
la beauté de mes yeux
et il restera tout à dire encore
de notre vivant puis tu marcheras
sur mon ombre poussant
du pied ce petit tas de mots
le désir
le désir fut ce glissement
vers l’immédiate éternité
le cœur
battant le venir battant
pour que la forme du présent
soit la même que ce battement
quel amour les pierres blanches
autour du lit et l’air
entre les doigts coulant
un silence la peau de l’œil
fraîche les mains cousant
une lumière
je n’écrirai plus
disais-je et tu me répondais
il faut que vive de nous
ce qu’aucune peau ne protège
et qui n’a pas même de chair
pour en mourir […]
Bernard Noël
La chute des temps
Textes/Flammarion, 1983, réédition Poésie/Gallimard, 1993
Aujourd'hui Bernard Noël a 90 ans. Bon anniversaire Bernard.
Dédicace spéciale à Sophie, depuis 1973.
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dimanche, 08 novembre 2020
Lu Guimeng & Pascal Quignard
Quand le temps ne permet pas, un chinois & une photographie à la rescousse.
Deux poèmes de Lu Guimeng, dans la si belle Anthologie de la poésie chinoise publiée,sous la direction de Rémi Mathieu, à La Pléiade, en 2015. Ici, en bonus, un envoi vers un petit traité de Pascal Quignard – comme on peut le lire sur ma note au crayon –, ”Petit traité X”, Vie de Lu, qui se termine ainsi – ce qui n'est pas rien pour les lecteurs de ce travail à nul autre pareil – : ”Les poissons et les berges, les théiers, les reflets et les eaux regrettèrent sa barque silencieuse.” Bonne lecture.
Les Petits traités de Pascal Quignard, initialement publiés partiellement aux éditions Clivages (entre 1981 et 1984), furent publiés magnifiquement dans leur intégralité à la Galerie Maeght en 1990, et repris depuis en Folio.
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