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Un nécessaire malentendu - Page 79

  • Deux extraits du "carnet des morts"

    sur Poezibao : http://poezibao.typepad.com/poezibao/2011/04/anthologie-permanente-claude-chambard.html

     

    sur Littérature de partout : http://litteraturedepartout.hautetfort.com/archive/2011/04/08/claude-chambard-carnet-des-morts.html

     

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    quelques livres dans la vitrine de la librairie Mollat

     

  • Isabelle Baladine Howald, "La Douleur du retour"

    la_douleur_du_retour.png André du Bouchet est enterré dans le cimetière de Truinas, modeste commune de la Drôme. Philippe Jaccottet a consacré un livre à l’enterrement, à la mémoire de son ami poète, à ce qui les réunissait, au « chagrin qui est une espèce de joie », Truinas, le 21 avril 2001, aux éditions de la Dogana. Ce livre est absolument saisissant qui interroge la poésie devant la mort.

    Quelques années plus tard Isabelle Baladine Howald – qui a lu le livre – a demandé à un couple de ses amis de l’emmener au cimetière de Truinas. Elle marche à petits pas, précautionneux ce qui lui donne une ampleur infinie que le paysage doucement lui restitue en l’acceptant absolument. Elle escalade le muret « un carré d’herbe entre ces vieux murs, une douzaine de tombes éparses ». Le nom sur une ardoise, l’écriture toujours. Que peut la poésie ? Déplacer « vers l’exactitude dans le déplacement lui-même. » C’est tout l’enjeu de ce mince livre qui s’inscrit résolument dans la réflexion que mène Isabelle Baladine Howald « comme sous l’effet d’un souffle » et que son écriture, si personnelle – fragile, friable, souple… – nous restitue  – sens, forme, langue, sentiment. Indispensable en ces temps de disette.

    Claude Chambard

     

    Isabelle Baladine Howald

    La Douleur du retour

    La Cabane

    20 p. ; 6 €

    http://www.editionsdelacabane.fr/

     

  • Le CIPM en danger, réagissons !

    arton91.jpg2013 Marseille capitale européenne !

    Afin de faire profiter chacun de cet évènement, la subvention attribuée par la municipalité au CIPM – Centre International de Poésie Marseille – sera amputée cette année de 30 000 euros.

    Marseille, capitale du paradoxe ! Signez cette lettre à M. Gaudin, ci-devant sénateur maire de la dite ville & pésident du groupe UMP au Sénat.

     

    Lettre ouverte à Monsieur Jean-Claude Gaudin, sénateur maire de la Ville de Marseille


    À l’heure même où le « coup d’envoi » de l’année capitale était donné par l’ensemble des collectivités territoriales, réunies avec enthousiasme autour du projet porté par Monsieur Bernard Latarjet lors de la conférence de presse du 24 février dernier, nous apprenions que la subvention octroyée par la Ville au centre international de poésie Marseille [cipM] serait amputée en 2011 de 30.000 euros.

    Nous sommes stupéfaits et outrés qu’une telle décision – dont la motivation n’a pas été donnée à ce jour – soit prise au moment même où il est demandé aux structures culturelles de la Ville de se mettre « en ordre de marche » pour relever le défi 2013, faisant fi des engagements pris solennellement par l’ensemble des collectivités – dont la Ville – de maintenir, à minima, les budgets de fonctionnement de nos structures.

    Nous en appelons à votre responsabilité, Monsieur le Sénateur Maire, ainsi qu’à celle de nos élus à la Ville de Marseille, pour revenir sur cette décision qui, non seulement hypothèque ses projets engagés pour 2013, mais de plus, mettrait en péril le fonctionnement et les activités d’une structure qui, depuis plus de vingt ans, oeuvre à la promotion de la poésie contemporaine, aux plans local, national et international – notamment à travers des coopérations et des échanges fructueux et continus avec les pays du pourtour méditerranéen.

    Nous rappelons ici que le cipM, c’est, chaque année :
    • Une soirée hebdomadaire de lectures données par des auteurs
    • La publication de 12 cahiers consacrés à ces auteurs invités
    • La publication de deux numéros d'une revue critique de poésie de plus de 300 pages
    • La publication d'ouvrages bilingues présentant les textes d’auteurs étrangers et français, résultant d'ateliers de traduction collective ; avec notamment des poètes de la Méditerranée [Syrie, Liban, Maroc, Algérie, Egypte, Palestine, Catalogne…]
    • La publication de livres
    • Une dizaine d’expositions
    • Un colloque
    • Quatre résidences d’auteurs, de plusieurs mois chacune ; dont deux résidences organisées au Maroc et au Liban.
    • Des stages et des ateliers de lecture et d’écriture pour les jeunes publics
    • Des événements co-produits avec de nombreux partenaires culturels du territoire
    • Un site internet ressource ...

    De plus, le cipM a constitué une bibliothèque, dont le fonds – ouvert gracieusement au public – est riche de plus de 50.000 livres, revues, documents sonores et vidéographiques, dont la rareté et la diversité en font un centre de ressources unique en France [nous en voulons pour exemple la donation par Jacques Roubaud de sa bibliothèque américaine]. Le cipM est aujourd'hui en pourparlers avec la Bibliothèque Nationale de France pour en devenir un pôle associé dans le domaine de la poésie.

    Son équipe est constituée de 7 permanents [6 équivalents temps plein], ce qui représente un minimum pour mener à bien toutes ces missions.

    Par ce courrier, nous venons exprimer notre solidarité inconditionnelle à l’égard d’une structure dont le travail mené sur ce territoire est vital pour les auteurs, artistes, revues, éditeurs, et essentiel pour les publics de la poésie contemporaine ainsi que pour ses partenaires culturels, d’ici et d’ailleurs.

    Une partie de la programmation 2011 du cipM est déjà annulée – notamment les rencontres Poésie & Rock qui devaient se tenir en mars, en partenariat avec le GRIM, sur plusieurs lieux de rencontres et de concerts [cipM, Bibliothèque de L'Alcazar, L'Enthropy, La Machine à Coudre, L'Embobineuse…].

    Ces annulations seront accompagnées de licenciements si cette baisse annoncée n'est pas corrigée.

    Nous exprimons donc notre détermination à combattre une décision que nous jugeons dangereuse pour l’avenir de la création contemporaine à Marseille, dont la poésie est l’une des composantes fondamentales.

    Nous vous prions de croire, Monsieur le Sénateur Maire, à l’assurance de nos sentiments respectueux,


    Signer la pétition en ligne

    http://www.petitionenligne.fr/petition/lettre-ouverte-a-monsieur-jean-claude-gaudin-senateur-maire-de-marseille/974

  • "carnet des morts", extrait, pages 64 & 65

    Les rêves nous entraînent souvent dans l’inattendu, l’incroyable voire l’impossible.


    Pinocchio au long nez chevauchant un âne blanc, un tigre de papier tente des les avaler ; une mouette rieuse ouvre, sans clef, une boîte de sardines ; le lièvre de Mars distribue les œufs pour Pâques en avril ; le roi Dagobert met sa culotte à l’endroit & Ravaillac lui prête son poignard pour trancher une belle pomme rouge que vient de lui donner la vilaine sorcière aux ongles longs ; une capitale qui pleure les sanglots longs des vies perdues le long des caniveaux nauséeux ; une laitière sans pot au lait cajolant une vache aveugle qu’un train a renversé; écoute distraite de son propre éloge funèbre sur une radio culturelle...


    Encore une nuit en plein jour.

    Les routes des rêves paraissent libres.

    Un chemin plein de traquenards est hors temps.

    Ce n’est pas une récompense.

    Un entêtement. Une impossible réconciliation. Au bord de la rivière.

    La tête en flammes, le cœur en feu, le corps en nage dans la neige.

    Blanc sur blanc = noir.


    Lorsque je me réveille la neige a presque complètement fondu.

    Le ciel est bleu, il fait presque doux.

    Douze bâtons sont à mes pieds.

     

    Une légère fumée s’élève derrière mon barda.

    De l’encens brûle lentement dans une demi-coquille de Grande Nacre.

    Pas de traces de pas dans la neige jaunissante.

    Je décide de m’installer là pour un temps. Je tends la toile cirée entre les basses branches & la terre herbeuse, je cale le tout avec des grosses pierres.

    J’amasse des mousses, des brandes, des feuilles, de jeunes branches, je déroule le duvet sur cette surface hasardeuse mais à peu près sèche. J’allume un petit feu. Il monte droit. Un tremblement dans les branches. Le clapot de l’eau. Le crépitement du petit bûcher. Les croassements des corbeaux & des corneilles. Le temps s’évapore dans le temps.

    Un rouge-gorge (Erithacus rubecula) vient chaque jour me visiter. D’abord de loin, puis de jour en jour un peu plus près. Il sautille, il agite sans cesse ses ailes & sa queue, il pique les vers de terre & les avale goulûment. Je lui jette les petites baies que je trouve, quelques miettes de pain, il approche, il approche. Le matin, dressé sur une branche dégagée, il chante.

    rouge-gorge.jpg

    Claude Chambard

    carnet des morts

    couverture de François Matton

    le bleu du ciel

    15x19,5, 112 pages illustrées , 14 €

    ISBN : 978.2.915232.72.1

  • Claude Chambard & Hubert Lucot à la librairie Mollat, 9 mars 2011

    Dans le cadre du Printemps des poètes

    la librairie Mollat

    a le plaisir de vous inviter à rencontrer

     

    Claude Chambard

    à propos de

    Carnet des morts

    qui vient de paraître aux éditions le bleu du ciel

     

    &

     

             Hubert Lucot        

    à propos de

    Le noyau de toute chose

    qui vient de paraître aux éditions P.O.L

     

    Le mercredi 9 mars à 18h

    au 91, rue Porte-Dijeaux

    à Bordeaux

     

  • Juste la paix – extrait d'un travail en cours « sans lieu, ni date »

    Cet homme fut un monstre de lâcheté & d’ignorance.

    Voilà ce qu’il a fait graver sur sa pierre tombale. Pierre noire & froide, pierre convenue, pierre imbécile de cimetière ni tout à fait pareille, ni tout à fait une autre, nous sommes identiques devant la mort répètent, reniflent, les bien-pensants de droite, de gauche, du centre & du reste…

    ¿ Por qué no te callas ?, a-t-il crié à son reflet, à son double inversé,  dans la glace, ce soir d’un automne aussi lugubre que le fonds de la casquette d’un dictateur modèle courant.

    & sur cette plaque de granit lustré, noire comme la pierre idiote que l’on a posé sur la tombe de Marcel Proust au Père Lachaise à des fins de réfections, sur cette page d’un livre noir moins drôle qu’une page de Tristam Shandy, moins profonde qu’une encre lithographique, moins dure que le cœur d’un sans cœur, il se recueille sur lui-même. Vaguement. Il se recueille vaguement. Que se recueillerait-on sur soi-même sans craindre ses propres remarques, les pires car si elles ne font jamais très mal sur l’instant, elles durent souvent plus que celles des autres, les intrus, les faux-amis, les jesaistout, les chefs, les sous-chefs, les moinsquerien et les plusquetout… pareil, tout pareil, tous pareils.

    J’aurais du la faire fabriquer en calcaire de Bourgogne, ça a tout de même une autre gueule, pense-t-il. Cet artisan auxois m’aurait gravé un beau Didot, ah merde, ça aurait ressemblé à quelque chose, à une page, voilà à une page, mais ça…

    Je veux juste avoir la paix, pense-t-il. Pas des cachets roses, pas des cachets bleus, pas des simulacres ou des contournements, pas des remèdes, pas des béquilles, pas des bons sentiments, pas des effusions, juste la paix sous la dalle.

     

    dalle bourgogne massangis.jpg

     

    Claude Chambard

    26 mai 2008 – 3 mars 2011

     

  • Enrique Vila-Matas, Étrange façon de vivre

     

    « Moi, j’étais un homme dont les jours particulièrement mémorables brillaient par leur absence. Mais, en ce jour d’hiver, tout avait l’air de se dérouler de façon parfaitement anormale, ce jour avait, semblait-il, pour vocation de se transformer en l’un de ceux que, avec le temps, notre mémoire finit par retenir comme des longues journées, et sur lesquels il nous arrive même — comme je le fais, depuis des jours, ici à Premià, à l’ombre de ce mûrier centenaire — d’écrire ; oui, nous écrivons sur eux, obsédés par ce jour où notre vie tout entière a pris, en quelques secondes, une orientation décisive, nous écrivons parce qu’il ne nous reste rien de mieux à faire que de nous en souvenir et nous écrivons que nous nous en souviendrons toujours. Nous ne vivons plus, nous nous contentons d’écrire sur lui : étrange façon de vivre. »

     

    vila-matas,bourgois,gabastou,titresEnrique Vila-Matas

    Étrange façon de vivre

    Traduit de l’espagnol par

    André Gabastou

    Christian Bourgois, 2000,

    réédition coll. Titres n° 97

     

  • Boris Pasternak, Le Poème en février

    pasternak,robin,anarchie,jean-paul rocher,févrierTraduit par Armand Robin dans Poèmes de Boris Pasternak  aux éditions Anarchistes en 1946.

    Réédité dans  le Combat libertaire par les éditions Jean-Paul Rocher en 2009.

     

     

     

    pasternak1.jpgLE POÈME EN FÉVRIER

    Février. Prendre un encrier, pleurer !
    Dans les sanglots écrire sur février
    Tout le temps que la goguenarde boue met
    À devenir sur le printemps d’encre un reflet.

    Prendre un cab. Pour deux tiers d’un rouble,
    Via les sonneries au ciel, le cri des roues.
    Rouler jusqu’où l’averse est alarme
    Encore plus criarde qu’encrier, larme.

    Tout autour, dans la neige fondante cent creux d’encre,
    Bourgade par les freux croassants défoncée.
    Et plus il y a de contingent, plus sûre en l’encre
    Des sanglots la poésie est agencée.

  • Bernard Manciet, Ampelos

    Bernard_Manciet_04-Fellonneau-couve-4.jpgLe manuscrit de ce livre était sur la table de travail de Bernard Manciet lorsque la mort s’en est venue le chercher. Les dieux ont-ils pleuré ? Quelques vivants (pour encore peu de temps) sans aucun doute… La disparition de Manciet est la fin de quelque chose de plus grand que lui, la fin d’un modèle de résistance aux prés carrés. Mais l’arbre, qui parfois cachait la forêt, n’est pas encore coupé, c’est à peine si quelques feuilles sont recroquevillées. Les poètes occitans, des nouvelles générations, doivent trouver ici le modèle et savoir le dévorer et le dépasser.

    Le chant, la célébration, la langue, n’ont pas de particularismes locaux, ils sont de toujours et maintenant, d’ici et d’ailleurs, dans toutes les langues, la grandeur de la poésie est à ce prix. Manciet l’avait bien compris. Ce dernier volume en est la preuve encore, au travail dans les langues, pour une unique réussite. « Il faut mourir en couleurs terribles – que cau color-morir pauruc », écoutez la langue chanter, « dormir ne pas dormir mais/rêver le rêve – dromir non pas dromir mès/saunejar lo saunei », écoutez la langue bruire, « dans la chair luisante de la nuit/le jeune impétueux se repose/il dort dans la vision/toutes les sources de sa chair/parlent dans la vieille parole – debs la carn lusenta de la nueit/lo hodre joen se repausa/que dròm dens la vision/las dotz tota de sa carn/parlan dans la vielha paraula », écoutez la langue éternelle de Manciet, c’est-à-dire la langue éternelle de la poésie du monde entier.


    Claude Chambard


    Bernard Manciet
    Ampelos
    Bilingue : français/occitan
    Traduit de l’occitan par l’auteur et Guy Latry
    14x21 ; 80 p. ; 13 €  – isbn : 978.2.914387.92.7
    L’Escampette éditions

  • Un jour de fatigue

    Des mots de James Lee Burke pour viatique afin de ne pas sombrer (?)

    arton2152.jpg


    “Qu’est-ce que je peux dire ? On vit une époque de malades. Tu veux mon opinion ? Ouvre donc quelques colonies pénitentiaires au pôle Nord, là où vivent les pingouins. Débarrasse-toi de tous ces salopards de merde et ramène-nous donc un peu de propreté avant que la ville tout entière ne se transforme en chiotte.”

     

    James Lee Burke

    Dans la brume électrique avec les morts confédérés

     Traduit de l’américain par Freddy Michalski

    Rivages, 1999

  • Bon anniversaire Sophie

    Aujourd'hui c'est l'anniversaire de Sophie.

    Pour le fêter un extrait d'un récit en cours :

     

    ancolie.jpgEn début d’après-midi, le soleil ayant tenté une légère mais certaine percée, Lucien se met au boulot dans son potager. Gabrielle fait la sieste. Il sème en godets, repique, bine et bichonne. Il cueille sur ses deux lilas un bouquet bleu et blanc pour la table de la salle à manger. Il réduit de moitié les tiges qu’il a coupées. Lucien ne laisse rien au hasard dans son potager, un peu jardin quand même, mais pas trop.

    Quand ils étaient petits les enfants demandaient toujours pourquoi il n’y avait pas de pelouse dans leur jardin. Immanquablement Gabrielle disait, en fronçant les sourcils pour se donner l’air sévère :                  

    – La pelouse, c’est bon pour les jardins de richards et nous nous n’avons pas un jardin, mais un potager.

    Lucien ne relevait pas.

    Et Georges ronchonnait :

    – Pour jouer au foot il faut bien un peu de pelouse quand même. On ne peut jamais jouer au foot ici.

    Et il regardait son père en coin. Mais Lucien ne voulait pas se disputer avec Gabrielle. Après tout, la maison venait de la famille de sa femme, alors il n’allait pas s’opposer, non, il se sentait plus locataire que propriétaire, il savait bien qu’il vivait chez sa femme, son beau-père lui avait assez fait sentir.

    Mais Lucien sait qu’il y a dans son potager des bruissements d’ailes qui en font un jardin, un vrai jardin, un lieu où l’on peut entendre des rires frais, des rires sains, où l’on peut avoir le joli sourire d’un chasseur de papillons… lorsque sa femme n’y est pas.

    Elle n’y vient du reste pas souvent. Tout au plus pour un tour, court chaque midi et plus long le dimanche soir, bras passé dans celui de son mari qui lui nomme tout ce qui y pousse, tout ce qui bientôt sera consommé à la table familiale.

    Ce matin, pour la première fois, les ancolies se sont ouvertes fières et délicatement dessinées au bout de leurs longues tiges souples. Les fleurs du saint-Esprit la veille de Pâques, Lucien aime cette coïncidence. Il les montre à Gabrielle lors du petit tour de midi. Puis ils rentrent déjeuner, des œufs au vin avec un peu de polenta.

     

    * * *

     

     

    Tchang-seng a travaillé toute sa vie. Il a chanté les louanges du président Mao, de la Longue Marche (pendant laquelle il est né), de l’Armée populaire de libération, du Grand Bond en avant — pendant lequel comme des millions d’autres il a bien faillit mourir de faim —, de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. Il a été maltraité par les Gardes rouges et il ne leur en tient pas rigueur, il a lu tant et plus le Petit livre rouge, puis il a loué les politiques de réformes économiques, secrètement apprécié les manifestations de la place Tian’anmen, et aujourd’hui, après la fermeture de l’usine de papier, il est de force à la retraite et vit tant bien que mal avec 966 yuans mensuel et 30 mètres carrés de terre derrière la maison, que son père avant lui habitait, où il fait pousser quelques légumes et quelques fleurs pour l’harmonie, dont une vraie collection d’ancolies qu’il hybride tant et plus avec une patience rare et des résultats étonnants. Ses voisins ne le prennent guère au sérieux sauf madame Tching a qui il offre, à la saison, des bouquets de sa fleur préférée. Elle en porte toujours une dans un sautoir en forme de bonnet de fou pour contrecarrer les sorciers et les mauvais sorts. Tchang-seng aime cette fleur qui ne supporte pas  d’être disciplinée… lui qui a tellement dû l’être, tout au long de son existence, pour avoir une chance de vivre encore. Madame Tching aime bien son voisin qu’elle prend pour un simple mais qui cultive de si belles fleurs et de si bons légumes dans son minuscule terrain.

    C’est la Neurasthénine qui a maintenu Tchang-seng en vie. Depuis ses dix-huit ans il en prend chaque jour, plusieurs fois, et le liquide lui laisse autour de la bouche un rond jaunâtre, comme après une chique de tabac.

    C’est la Neurasthénine qui a maintenu Tchang-seng en vie et le désir pour Madame Tching. Un désir secret car Tchang-seng se disait qu’on ne pouvait certainement pas posséder une telle femme lorsque l’on était un ouvrier si modeste, un moins que rien que le temps et les tâches les plus ignobles épuisaient. Quelle femme aurait bien pu le désirer, lui, ne serait-ce même que le regarder, avec sa bouche maculée de jaune, ses dents  gâtées, ses mains calleuses et si rêches, si épaisses, si lourdes. Des mains pour piocher, couper, frapper, pas des mains pour caresser. Les caresses, voilà quelque chose que Tchang-seng ne connaissait pour ainsi dire pas. Sa mère l’avait abandonnée pendant la Longue Marche dans la cour d’une ferme. Il avait été, tant bien que mal, élevé là par un couple rustre mais qui l’avait nourri sans rechigner, mais sans affection non plus.  Plus tard, la conscription sauvage, sans limite, les longues années d’armée l’avaient éloigné de ce monde pour un univers encore plus dur. Il avait gravi les montagnes du Tibet, tiré sans vergogne sur la population, c’est la guerre lui avait-on dit, ne réfléchis pas, fais ce que tu dois. Puis il était revenu dans la modeste exploitation agricole de la province de Hunan, à deux pas du fleuve Yangzi Jiang, et l’homme lui avait donné son nom, était devenu son père. Aujourd’hui la ferme avait disparu et seuls quelques mètres carrés derrière la masure lui rappelaient sa jeunesse lorsqu’il courait de l’étable aux champs.

    Extrait de : Une ancolie jamais n'abolira le hasard

  • Jean-Pierre Ostende - Et voraces ils couraient dans la nuit

    arton22832-bc6fe.jpgUn nouveau livre de Jean-Pierre Ostende à paraître le 2 février aux éditions Gallimard, voilà une bonne nouvelle.

    Et voraces ils couraient dans la nuit.

    En plus l'auteur s’est amusé à faire une bande annonce que l’on peut voir sur Dailymotion, histoire de donner envie.

    En tous cas on attend avec impatience la sortie du livre.

    http://www.dailymotion.com/video/xgh84n_jean-pierre-ostende-et-voraces-ils-couraient-dans-la-nuit_creation