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Un nécessaire malentendu - Page 78

  • Deux raisons de s'inquiéter pour la poésie !

    La pétition à propos de la mise à mal des commissions par M. Colossimo — ci-devant président — du Centre national du livre & la lettre du Centre international de Poésie Marseille à la mairie de Marseille qui supprime chaque année un peu plus son soutien.

    Appel pour le retrait du projet Colosimo

     

    Le fait qu’un nouveau président de la Commission Poésie du Centre National du Livre n’ait toujours pas été nommé à ce jour confirme qu’une liquidation de ladite commission est à l’étude. Elle ne sera pas présentée comme telle, bien entendu, il s’agira certainement de moderniser les structures inadéquates. Si ces manœuvres, engagées sous l’ère sarkozyste, devaient se poursuivre dans le bien plus « normal » encadrement actuel, ce serait le signe certain de la continuité programmée de toutes les régressions imposées par le Marché à la grande Culture. Nous écrivains, poètes, et éditeurs soussignés, estimons vital le maintien d’une commission Poésie afin d’éviter la domination d’un genre sur un autre : enviée par les poètes et écrivains de la plupart des pays, l’existence de cette aide a permis à de nombreux éditeurs, qu’ils soient puissamment implantés nationalement depuis longtemps ou qu’ils vivotent en Province grâce au bénévolat, de publier des livres qui n’auraient jamais pu voir le jour sans elle ; elle a permis à des poètes de ne pas mourir dans le plus total dénuement, et ce n’est pas une image. Mais il s’agit de bien plus que de la défense de ces livres passés et à venir : il s’agit de préserver un espace dans lequel notre langue puisse continuer à se questionner, à se penser, à se rêver. C’est pourquoi nous demandons le retrait de tout projet de “fusion des commissions”.


    Premiers signataires

    Nadine Agostini. Laurent Albarracin. Pierre Alferi. Jacques Ancet. Christian Arthaud. Edith Azam. Jean-Marc Baillieu. Jean-Christophe Bailly. Jacques Barbaut. Isabelle Barbéris. Michaël Batalla. Stéphane Batsal. Philippe Beck. Christian Bernard. Stéphane Bérard. Patrick Beurard-Valdoye. Daniel Biga. Julien Blaine. Philippe Blanchon. Eric Blanco. Jean-Pierre Bobillot. Philippe Boisnard. Oscarine Bosquet. Fabrice Bothereau. Yves Boudier. Frédéric Boyer. Magali Brazil. Christophe Bregaint. Pascale Breysse. Charles-Mézence Briseul. Mathieu Brosseau. Olivier Cadiot. Didier Cahen. Nicole Caligaris. Didier Calleja. Fabrice Caravaca. Benoît Casas. Laurent Cauwet. Claude Chambard. Sonia Chiambretto. Marc Cholodenko. David Christoffel. Michel Clavel. Françoise Clédat. Francis Cohen. Pascal Commère. Guillaume Condello. Benoît Conort. Jean-Gabriel Cosculluela. Marie Cosnay. Fabienne Courtade. Jean-Patrice Courtois. Jean Daive. Jacques Darras. Ludovic Degroote. Michel Deguy. Jean-Michel Delacomptée. Florence Delay. Henri Deluy. Philippe Denis. Maryline Desbiolles. Yves di Manno. Yann Dissez. Olivier Domerg. Suzanne Doppelt. Franck Doyen. Ariane Dreyfus. Eric Dubois. Patrick Dubost. Antoine Dufeu. Sylvie Durbec. Stéphanie Eligert. Antoine Emaz. Jean-Michel Espitallier. Etienne Faure. Claude Favre. Bruno Fern. Christophe Fiat. Bertrand Fillaudeau. Christophe Forgeot. Frédéric Forte. Dominique Fourcade. Alain Freixe. Alain Frontier. Jérôme Game. Christian Garcin. Isabelle Garron. Albane Gellé. Jean-Louis Giovanonni. Eric Giraud. Liliane Giraudon. Jean-Marie Gleize. Guy Goffette. Goria. Sylvie Gouttebaron. Fred Griot. Frédérique Guétat-Liviani. Gérard Haller. Georges Hassomeris. Alain Hélissen. Tristan Hordé. Eric Houser. Isabelle Baladine Howald. Antoine Jaccottet. Hugues Jallon. Alain Jeanmougin. Manuel Joseph. Jacques Jouet. Anne Kawala. Patrick Kéchichian. Ronald Klapka. Abigail Lang. Carole Lataste. Emmanuel Laugier. Frédéric Léal. Olivier Le Lohé. Claudie Lenzi. Samuel Lequette. Daniel Leroux. Pierre Le Pillouër. Hubert Lucot. Aurélie Loiseleur. Claude Lutz. Yves Mabin Chennevière. Sabine Macher. Eric Maclos. Cyrille Martinez. Jérôme Mauche. Nelly Maurel. Jean-Pascal Medurio. Dominique Meens. Michèle Métail. Ginette Michaud. Jacques-Henri Michot. Yvan Mignot. Michaël Moretti. Sandra Moussempès. Joseph Mouton. Jean-Luc Nancy. Sylvie Nève. Bernard Noël. Stéphane Nowak Papantoniou. Opaline Opalia. Jean-Pierre Ostende. Yves Pagès. Jean-Baptiste Para. Anne Parian. Florence Pazzottu. Charles Pennequin. Mathias Pérez. Pascal Perrat. Marc Perrin. Xavier Person. Eric Pessan. Eric Pesty. Serge Pey. Gérard Pfister. Jean-Claude Pinson. Emmanuelle Pireyre. Virginie Poitrasson. Emmanuel Ponsart. Pascal Poyet. Christian Prigent. Martine Pringuet. Franck Pruja. Dominique Quélen. Nathalie Quintane. Fabienne Raphoz. Shoshana Rappaport-Jaccottet. Yves Ravey. Alain Rebours. Katy Rémy. Elisabeth Rigal. Cécile Richard. Alain Robinet. Florian Rodari. Antonio Rodriguez. Jacques Roubaud. Claude Royet-Journoud. James Sacré. Caroline Sagot-Duvauroux. Jean-Luc Sarré. Isabelle Sauvage. Ryoko Sekiguchi. Françoise Stiegler. Gwenaëlle Stubbe. Nicolas Tardy. Yannick Torlini. Vincent Tholomé. Yoann Thommerel. Florence Trocmé. Françoise Valéry. Adeline Van Rompu. Véronique Vassiliou. Jean-Charles Vegliante. Alain Veinstein. André Velter. Didier Vergnaud. Christiane Veschambre. Pierre Vilar. Jean-Jacques Viton. Christian Vogels. Dorothée Volut. Vincent Wahl. Catherine Weinzaepflen. Gilles Weinzaepflen.


    & & &

     

    Lettre ouverte
    à l’Adjoint au Maire de Marseille,
    chargé de l’action culturelle des musées, des bibliothèques et du Museum
    M. Daniel Hermann


    Suite à notre tract dénonçant les nouvelles baisses de subvention de la Ville votées pour notre structure, nous venons de lire votre première réponse dans un article de La Marseillaise, daté du 30 mai 2012.

    Étrangement, votre discours est exactement le même que celui de l’année dernière, ainsi que celui de 2009, et pour le même motif… Moins 10 000 € en 2009, moins 30 000 € en 2011, moins 30 000 € à nouveau en 2012… et toujours les mêmes arguments…

    Morceaux choisis :
    • 30 avril 2008, Marseille L’Hebdo : «… le cipM ! Moi qui adore la poésie, je viens de découvrir ce lieu unique ».
    • 23 juillet 2009, Libération : « Le cipM, je les ai baissés (…). Ils sont logés gratis et si je leur enlève 10 000 €, ils ne sont pas morts. Pourtant, j’aime bien la poésie. Mais ils peuvent faire un petit effort ».
    • 28 février 2011, La Marseillaise : « Et comme le cipM est particulièrement bien financé par la Ville avec 230 000 €, j’ai un peu rogné leur financement ».
    • 2 mars 2011, Marseille L’Hebdo : « Question subventions, le cipM est un des mieux lotis et ils sont logés gratuitement. Je dois rééquilibrer les budgets car la Région a diminué ses subventions à plusieurs associations ».
    • 7 mars 2011, La Provence : « Ce n’est pas une attaque en règle contre la poésie ; d’ailleurs ils sont logés gratuitement à la Vieille Charité. Quand la Région enlève ses subventions, je suis bien obligé de compenser... Je rééquilibre, je prends un peu aux uns pour donner aux autres ».
    • 30 mai 2012, La Marseillaise : « Le cipM n’est pas en péril quand j’enlève 30 000 € sur 490 000 € au total, en comptant les subventions de toutes les collectivités. Le cipM est très bien aidé, de plus il est logé gratuitement à la Vieille Charité, ils disposent de financement pour 2013 ».

    C’est sans doute ce qu’on appelle le comique de répétition :
    il ne nous amuse plus.



    Quand vous répétez que « le cipM est très bien aidé », vous omettez de dire, que la Ville ne cesse de diminuer sa participation depuis plus de 15 ans (1996 : 305 000 € ; 2012 : 200 000 €) alors que cette structure est unique dans son genre, au niveau national comme au niveau européen. C’est ce qu’on appelle communément, et trop souvent à Marseille, gâcher une chance.

    Quand vous dites que le cipM « est logé gratuitement à la Vieille Charité », vous passez un peu vite sur les tentative à répétition de la Ville, depuis 8 ans, de nous faire quitter ce site sur tous les prétextes, sans bien sûr vouloir même étudier sérieusement une possibilité de relocalisation… Or le cipM, créé à la demande de la Ville en 1990, est bien logé par elle depuis son origine.

    Quand vous dites que le cipM « dispose de financement pour 2013 », vous semblez oublier que Marseille-Provence 2013 décide de façon indépendante de financer des actions nouvelles pour l’année 2013. Mais il est difficile de programmer des actions nouvelles quand le budget habituel d’une structure culturelle s’effondre, à la suite de vos choix. La Charte de Marseille-Provence 2013, que la Ville a signée pour obligation de respecter, précise bien pourtant que le budget est « constitué exclusivement de mesures nouvelles (...) sans réduction des budgets structurels préexistants ».

    Pendant ce temps, notre structure se bat pour développer ses activités, trouver de nouveaux soutiens institutionnels – de la part de l’État, de la Région, du Département –, multiplier les partenariats avec des structures culturelles en France et à l’étranger.

    Cette nouvelle accélération du désengagement de la Ville, moins 60 000 € en deux ans, n’est donc pas justifiable par vos approximations à répétition. Elle nie tout le travail de développement – structurel, financier et surtout culturel – du cipM, compromet la programmation 2012 engagée, et sape ses efforts pour 2013.

    Aujourd’hui, nous nous interrogeons sérieusement sur les motivations réelles de ces diminutions. Nous ne vous demandons pas d’aimer la poésie, comme vous le dites souvent. Nous attendons simplement que vous soyez un élu sérieux et responsable, dans vos décisions comme dans vos propos.

    C’est pourquoi nous vous demandons de corriger cette baisse de subvention dès 2012 et également, si cela vous est possible, un peu de respect pour le travail de fond mené par cette structure depuis 22 ans.

    Emmanuel Ponsart et l’équipe du cipM

  • Hugo Pernet, "Poésie simplifiée"

    picture.jpgD’abord faire glisser avec d’infinies précautions le bandeau titre qui scelle le livre vert d’eau afin de pouvoir faire bruisser les pages. Beaucoup de blancheur et au cœur une image en quadrichromie d’un otage — suppose t’on — à peine libéré, bandeau sur l’œil et couverture de survie dorée sur les épaules, micro à la main (une image du poète enfin libre ?).

     

    Poésie simplifiée, ou comment, en éliminant toujours, laisser peu de place au sens et dans ce vide, voir ce que de petites propositions peuvent activer d’un reste de langue. Langue de peu, langue de l’absence de l’auteur. Poésie simplifiée, Hugo Pernet le revendique, doit beaucoup au travail inlassable de Claude Royet-Journoud et inlassablement donc à partir de minuscules propositions — ce qui reste quand on a pelé le texte — il exprime la couleur — voire son absence — plutôt que la pulpe ou le jus.

    En Garamond et en Helvetica Neue, chaque partie tente l’impossible pari du « pas d’histoire », et pourtant « écrire est devenu une tâche/ménagère ».

    On range le bandeau entre les pages du livre, la couverture est muette, Hugo Pernet a disparu dans le livre où on voudra bien le glisser et, régulièrement, le changer de place. C’est sa liberté chèrement gagnée.

     

    Claude Chambard


    Hugo Pernet

    Poésie simplifiée

    ENd Éditions

    104 p. ; 12 €

    http://endeditions.com/


    Cet article a paru initialement dans ccp n° 21

     

  • Lyn Hejinian, "Gesualdo"

    lynhphoto.JPGMartin Richet sait toujours repérer l’inattendu et il excelle à le traduire. Ce mince livre commence en ré et se termine en « mesure pointillée » en la et ré fusionnant les [nos] voix. Carlos Gesualdo, musicien et assassin, ou l’inverse, mais fidèle, « une aptitude aux motifs, au couplage » — Gesualdo  « un nom ne doit pas annoncer une intention ».

     

    L’écriture de Lyn Hejinian est d’une rare complexité et d’une rare flamboyance. Elle entraine le lecteur sur des chemins qu’il n’envisageait même pas, c’est dire si elle est nécessaire. «  Je suis singulier et dépendant, d’un message plus urgent de l’artifice à une expression vivante. » Un effet de musique, un effet  de sauvagerie, un effet de désir, un effet de vacillement — page  5 coda —, une aventure  d’amour qui suggère la fin, sans réplique.

     

    Mêlant, entremêlant — fine et savante tapisserie, rugueuse et soyeuse à la fois — l’autobiographie du compositeur italien et sa musique, avec une précision et une exactitude rares, Lyn Hejinian donne ici un des textes les plus troublants qui soit, véritable « Contorsion en douceur, le rythme est immobile, un langage ultérieur guidé par la consolation ou le soulagement. »

     

    Claude Chambard


    Lyn Hejinian

     Gesualdo

    Traduit  de l’américain par Martin Richet

     Éric Pesty Éditeur

     16 p. ; 9 €

    http://www.ericpestyediteur.com/

     

    Cet article a paru une première fois dans CCP  n°20, cipM, octobre 2010

  • Jacques Estager, "Je ne suis plus l'absente"

    jacques esatger,je ne suis plus l'absente,lanskineNous avions quitté Jacques Estager après quelques livre somptueux suivi d’un long silence et voici qu’il réapparait avec ce très beau livre Je ne suis plus l’absente.

     

    On y retrouve d’emblée les thèmes et quelques personnages – si j’ose dire – des livres précédents. Le chaume (bleu) y a sa place naturelle et revient ici comme point d’ancrage d’une syntaxe à nulle autre pareille. Car Jacques Estager à sa place personnelle dans le paysage de la poésie, une place où chaque pierre, chaque rose, chaque ronce, chaque chaume, chaque épi de blé, chaque silhouette, chaque main, chaque ange sont au cœur d’un dispositif de langue qui se renverse sans cesse pour éclairer la nuit qui est déjà la lumière dans la suite des jours.

     

    Depuis son premier livre Une pierre sous la rivière, en 1971, Jacques Estager ne déroge jamais à son entreprise qui pourrait être résumé par ceci page 37 : « et déjà moi je suis transparent sinon je ne suis pas » que pourrait aussi bien prononcer une des voix de Histoire cent. C’est cette entreprise qu’il reprend ici, jamais abandonnée sans doute, plus sereine peut-être, plus sauvage pourtant, où l’auteur plus que jamais est présent paraphant le livre de ce « j’ » qui prend et ouvre toute la place à tous les livres à venir.

     

    Claude Chambard

     

    Jacques Estager

     Je ne suis plus l’absente

     Lanskine

     48 p. ; 10 €

     

     

    Cette article a paru initialement dans CCP n° 21

     

  • Claude Dourguin, "Chemins et routes"

    Dourguin_Claude.jpg« Il m’arrive de rêver d’un livre des chemins, catalogue et dictionnaire à la fois, qui évoquerait, recenserait sans du tout prétendre faire œuvre savante, les figures diverses des chemins, leurs histoires, leurs particularités géographiques. », écrit Claude Dourguin au début du second tiers de son livre très à la lisière, très ancien et très original pourtant, dans une langue absolument maîtrisée qui ne se paye pas de mots, une langue de terre et de rocaille, de chemins donc et de routes, de sentes, de passages ténues, de territoires encore inexplorés, de cartes hasardeuses, d’itinéraires perdus, retrouvés, sur les traces de quelques illustres prédécesseurs… car si on est seul sur la route on n’y est pas pour autant solitaire.

     

    L’écriture advient ici par surcroit, la première aventure étant celle de la marche, de la découverte, de l’extension de soi-même peut-être. Il s’agit d’être quitte de ce que tous les lieux que l’on a habités un instant ou quelques jours nous ont donné.

     

    Des écrivains, des peintres, des musiciens, sont convoqués par Claude Dourguin, avec  qui elle est en empathie, avec qui elle se perd et se trouve, avec qui elle partage la route un moment et le secret aussi du cabinet où l’on travaille à écrire le livre des chemins que les éditions Isolato viennent de publier.

    Claude Chambard


    Claude Dourguin

     Chemins et routes

     120 p. ; 20 €

     Isolato

     

    Article initialement publié dans CCP n° 22

     

  • Jean Roudaut, « Autre part »

     

    AVT_Jean-Roudaut_5180.jpgFerme ses livres. Les regroupe. Range ses documents, ses photocopies, ses stylos. Allons. Pressons. On ferme. Porte son paquet de livres. Fait la queue pour reprendre sa carte. Revient à sa place. Enle son manteau. Prend sa serviette. L’ouvre au contrôle. Rend son carton. Salue l’abbé Eines. S’éloigne. La cour dans une nuit de loup. Le froid noir. Les pierres sur le sol comme des dalles funéraires. Peu à peu effacées. Les mots manquant. Des inscriptions lacunaires. Creuser dans la pierre de la façade des feuilles, des fruits, des lézards pour attendre le printemps. Dans moins d’un mois. Faire de chaque pierre un blason. Autour des fenêtres, de longs serpents enroulés. Dans les fenêtres des statues agenouillées face à face, les mains sur les épaules, les visages accolés. La façade, comme celle de S. Cristobal de Las Casas au Mexique, ondulant, s’avançant vers le soleil prochain, se retirant, se resserrant dans la pluie. Tenture dans le vent. Les colonnes torsadées poussent au-delà des toits leur vis sans n. La cour sans herbe, sans eau, sans arbre. S’arrête sous le porche. La salle de garde. Allume une cigarette. Cherche de la monnaie. Achète le journal. Lit : « Le journal a les lecteurs qu’il mérite. » Le jette. Acheter ailleurs un autre journal. La lourde porte déjà à demi fermée. Une phrase effacée. Inaudible. Répéter. Recopier. Écrire.

     

    Jean Roudaut

    Autre part

    Coll. Le Chemin

    Gallimard, 1979

    Photo de Jean Roudaut : © : David Collin

     

  • Lucie Braud, "Ferdinand"

     

    100_2187.JPG[…] J’ai huit ans. Un polo blanc et par-dessus, un pull bleu marine sans manche et col en V. Ferdinand a fait apporter le piano droit dans notre maison. Il a suivi le camion dans sa voiture. Il observe l’installation dans notre bureau, au rez-de-chaussée avec une fenêtre qui donne sur le jardin. Un monsieur viendra pour l’accorder, pour que je puisse jouer. Ferdinand a dit le piano sera bien ici. Maman a trouvé un tabouret à ma taille et une méthode pour débutant. Je ne connais pas les notes, je joue des mélodies simples à l’oreille, j’essaie de reproduire les gestes de maman.

    C’est dimanche. Jeanne et Ferdinand sont venus déjeuner. Papa et maman ont aménagé le grenier en salle de jeux. Il y a aussi nos bureaux, un cadeau de Jeanne et Ferdinand. En pin vernis. Un plateau sur des tréteaux. Et une lampe d’architecte noire offerte par papa. Après le repas, nous allons jouer. Ferdinand monte l’escalier. Il s’assoit à mon bureau. Mon cartable est ouvert. Je lui tends mon cahier de poésie. J’ai illustré Le Dormeur du Val. Il regarde. Il attend. Je récite, raide comme un I.

    Ferdinand me montre ce qu’il a trouvé, des pointes de flèches, des silex taillés, des gros des petits. Il me raconte. Quand il a fini, il attrape un sac de toile et y range une partie de son trésor. Il y a un dessin sur le sac, un chasseur armé d’une lance. Il me dit c’est pour toi. J’ai accroché le sac derrière mon bureau. J’ai étalé les silex devant moi. La pierre est douce. Du caramel au beurre salé.

    J’ai neuf ans. C’est l’été. La maison est fraîche. Je suis assise dans l’escalier en bois qui mène à la chambre de Ferdinand. Au-dessus de moi, les casquettes de Ferdinand sont accrochées. Elles sont toutes pareilles, des caquettes de marin, plates avec une visière, bleues presque noires. L’intérieur est satiné et matelassé. Je voudrais en attraper une et la mettre sur ma tête. Depuis la quatrième marche, je peux tendre le bras et choisir. Mais je reste assise à les regarder. Ferdinand s’est endormi dans le salon, devant la télé. Sur son fauteuil, il se tient bien droit.

    En face de la chambre de Jeanne et Ferdinand, il y a une porte. Elle mène dans le grenier sous les combles. Je n’y suis jamais allée. Ferdinand est devant la porte. Je suis derrière Ferdinand. Il me dit viens. Il y a deux pièces. L’une est tapissée d’étagères remplies de bocaux, de provisions, de boîtes en cartons, de vêtements rangés dans des plastiques transparents. L’autre pièce est fermée par une porte. Ferdinand l’ouvre. Les murs sont recouverts de bâches noires opaques et luisantes comme des sacs poubelle. La lumière est rouge. Il y a des cordes tendues entre les parois, des gros bidons remplis de liquide, des bacs, un appareil que je n’ai jamais vu. Ferdinand me montre. J’imite ses gestes. Des images apparaissent sous nos doigts.[…]

    Lucie Braud

    Ferdinand

    Coll. Alter & Ego

    Éditions de l’atelier In8

    32 p. 4 €

    isbn : 978.2.36224.017.1

    http://editions.atelier-in8.com/catalogue/collection-alter-a-ego/ferdinand/?category_id=3&flypage=flypage.tpl

    photographie : Claude Chambard

     

  • Stacy Doris, 21 mai 1962 — 31 janvier 2012

     

    Kildare001.jpgSynopsis de Kildare :


    Sheila est une animatrice de talk show dont le brio ne saurait compenser son minable sens du timing. Adulée malgré tout, pleine de karma, d’ambitions et de fric, elle part en quête de vies antérieures au cours de chirurgies bénignes (simple routine), sous l’effet d’anesthésies (locales).

     

    À partir du scénario arcadien d’une opération, la conscience de Sheila bascule à travers une série de vies antérieures (surtout les siennes) sous l’apparence (dans un ordre non chronologique) d’une petite voleuse, de Bénédicte (capturée par les pirates), d’Évelyne “Bouche-à-pipes”, de la fée Clochette (des chaumières), de Miss Kermesse, d’une contorsionniste, puis d’Elle-même — mais téléportée sur Mars, et autres archétypes de championnes.

     

    Après une brève interview, un examen de conscience, quelques réminiscences, et un voyage dans le Temps (retour involontaire sur le film de sa vie), Sheila tombe enfin sur le vrai New Age (futur et post-nucléaire) où, réincarnée en Carmen, elle joue le rôle principal (celui du Bien) dans une lutte conte Kildare le docteur fou, en pleine conquête de l’univers (du moins ce qu’il en reste). En raison de transmutations, de l’ambiguïté d’un esclave, et d’autres contre-temps, le duel finit en match nul (avantage Sheila malgré tout). Kildare est dissous (l’est-il vraiment ?).

     

    Enfin bref, de toutes façons, en une triomphale union de chômage et de béatitude, dans l’esprit d’être pour et contre à la fois, Sheila fusionne avec la demie-vie (putride, puante) de Kildare toujours en décomposition, donnant naissance (avant qu’il soit trop tard) à un prodigieux chœur d’infirmières interchangeables en quelque sorte (90.60.90) qui, accompagnées de leur toujours fidèle serviteur-géniteur Klink, s’envolent vers l’éternité pastorale du gaz hilarant.

     

    (trompettes)

     

    Stacy Doris

    Kildare

    (esquisse bariolée d’un tas de trucs incroyables)

    traduit et adapté de l’américain par l’auteur & Juliette Valéry

    Format américain, 1995

     

    Stacy Doris en français :

    Paramour, traduit par Anne Portugal & Caroline Dubois, P.O.L, 2009

    Parlement, P.O.L, 2005

    Le temps est à chacun, traduit par Martin Richet, Contrat Main, 2002

    Une année à New York avec Chester, P.O.L, 2000

    Paramour, traduit collectivement à la Fondation Royaumont, Créaphis, 1999

    La Vie de Chester Steven Wiener écrite par sa femme, P.O.L, 1998

    Kildare, traduit par l’auteur & Juliette Valéry, Format américain, 1995

    Une vidéo de Stacy lisant La Vie de Chester Steven Wiener écrite par sa femme http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=BIo5tMBFaHs

     

  • Bernard Vargaftig, Nancy 24 janvier 1934 — Avignon 27 janvier 2012 & l'éternité

    Bernard Vargaftig

    Le lieu exact — ou la peinture de colette deblé

     

    Vivantes

    Les orties ô même l’orage

    Et l’absence

    Et les galets vont si vite

     

    Même l’enfance

    Tout-à-coup et la cour

    Plus terrible où le mur craque

    Et le gouffre

     

    Et les arbres

    Qui dévalent jusqu’au vent

    Comme jamais

    Regardaient le langage

    ………………………………………

    Tant de fois

    Les roches le lieu exact

    La prairie et

    Quand il manque une page

     

    Tomber tomber

    Était comme un murmure

    Et le vent se précipite

    Et l’espace

     

    Loin derrière

    Effaçant pente et parfum

    Immensité

    Que l’horizon saisit

    ………………………………………

    Ah plus d’oubli

    Et l’instant qui commence

    Un récif

    Que tout aurait fait bouger

     

    Vent et lumière

    La plage dénouée

    Un murmure et si lointaine

    L’étendue

     

    Où sans cesse

    Avalanche dans le sens 

    Le rosier comme

    Mortellement échappe

     

    […]

     

    les trois premières pages debernard vargaftig,colette deblé,à passage

    Le lieu exact

    ou la peinture de colette deblé

    imprimé au plomb

    en Garamond corps 10

     en mars 1986 par mes soins
    à 15 exemplaires sur

    Gravure du Moulin de Larroque

    enrichis d’une peinture de Colette Deblé

     & à 300 exemplaires sur vélin blanc

     à Passage, Bordeaux

    isbn : 2.905391.11.5

     

     

     

  • Friedrich Hölderlin, "En bleu adorable"

     En bleu adorable

     

     
    hölderlin,du bouchet,en bleu adorableEn bleu adorable fleurit
    Le toit de métal du clocher. Alentour
    Plane un cri d’hirondelles, autour
    S’étend le bleu le plus touchant. Le soleil
    Au-dessus va très haut et colore la tôle,
    Mais silencieuse, là-haut, dans le vent,
    Crie la girouette. Quand quelqu’un 
    Descend au-dessous de la cloche, les marches, alors
    Le silence est vie ; car,
    Lorsque le corps à tel point se détache,
    Une figure sitôt ressort de l’homme.
    Les fenêtres d’où tintent les cloches sont
    Comme des portes, par vertu de leur beauté. Oui,
    Les portes encore étant de la nature, elles
    Sont à l’image des arbres de la forêt. Mais la pureté
    Est, elle, beauté aussi.
    Du départ, au-dedans, naît un Esprit sévère ;
    Si simples, sont les images, si saintes,
    Que parfois on a peur, en vérité, 
    Elles, ici, de les décrire. Mais les Célestes,
    Qui sont toujours bons, du tout, comme riches,
    Ont telle retenue, et la joie. L’homme
    En cela peut les imiter.
    Un homme, quand la vie n’est que fatigue, un homme
    Peut-il regarder en haut, et dire : tel
    Aussi voudrais-je être ? Oui. Tant que dans son cœur
    Dure la bienveillance, toujours pure,
    L’homme peut aller avec le Divin se mesurer
    Non sans bonheur. Dieu est-il inconnu ?
    Est-il, comme le ciel, évident ? Je le croirais
    Plutôt. Telle est la mesure de l’homme.
    Riche en mérites, mais poétiquement toujours,
    Sur terre habite l’homme. Mais l’ombre
    De la nuit avec les étoiles n’est pas plus pure,
    Si j’ose le dire, que
    L’homme, qu’il faut appeler une image de Dieu.
    Est-il sur la terre une mesure ? Il n’en est 
    Aucune. Jamais monde
    Du Créateur n’a suspendu le cours du tonnerre.
    Elle-même, une fleur est belle, parce qu’elle
    Fleurit sous le soleil. Souvent, l’œil
    Trouve en cette vie des créatures
    Qu’il serait plus beau de nommer encore,
    Que les fleurs. Oh ! comme je le sais ! Car
    À saigner de son corps, et au cœur même, de n’être plus
    Entier, Dieu a-t-il plaisir ?
    Mais l’âme doit
    Demeurer, je le crois, pure, sinon, de la Toute-Puissance avec ses ailes 
    approche
    L’aigle, avec la louange de son chant
    Et la voix de tant d’oiseaux. C’est
    L’essence, c’est le corps de l’être.
    Joli ruisseau, oui, tu as l’air touchant
    Cependant que tu roules, clair comme
    L’œil de la Divinité par la Voie Lactée,
    Comme je te connais ! des larmes, pourtant,
    Sourdent de l’œil. Une vie allègre, je la vois dans les corps mêmes
    De la création alentour de moi fleurir, car
    Je la compare sans erreur à ces colombes seules
    Parmi les tombes. Le rire,
    On le dirait, m’afflige pourtant, des hommes
    Car j’ai un cœur.
    Voudrais-je être une comète ? je le crois. Parce qu’elles ont
    La rapidité de l’oiseau ; elles fleurissent de feu,
    Et sont dans leur pureté pareilles à l’enfant. Souhaiter un bien plus 
    grand,
    La nature de l’homme ne peut en présumer.
    L’allégresse de telle retenue mérite elle aussi d’être louée
    Par l’Esprit sévère qui, entre
    Les trois colonnes souffle, du jardin.
    La belle fille doit couronner son front
    De fleur de myrthe, parce qu’elle est simple
    Par essence, et, de sentiments.
    Mais les myrthes sont en Grèce. 

    Que quelqu’un voie dans le miroir, un homme,
    Voie son image alors, comme peinte, elle ressemble
    À cet homme. L’image de l’homme a des yeux, mais
    La lune, elle, de la lumière. Le roi Œdipe a un 
    Œil en trop, peut-être. Ces douleurs, et
    D’un homme tel, ont l’air indescriptibles, 
    Inexprimables, indicibles. Quand le drame
    Produit même la douleur, du coup la voilà. Mais 
    De moi, maintenant, qu’advient-il, que je songe à toi ?
    Comme des ruisseaux m’emporte la fin de quelque chose, là,
    Et qui se déploie telle l’Asie. Cette douleur,
    Naturellement, Œdipe la connaît. Pour cela, oui, naturellement.
    Hercule a-t-il aussi souffert, lui ?
    Certes. Les Dioscures dans leur amitié n’ont-ils pas,
    Eux, supporté aussi une douleur ? Oui,
    Lutter, comme Hercule, avec Dieu, c’est là une douleur. Mais
    Être de ce qui ne meurt pas, et que la vie jalouse,
    Est aussi une douleur.
    Douleur aussi, cependant, lorsque l’été
    Un homme est couvert de rousseurs —
    Être couvert des pieds à la tête de maintes taches ! Tel
    Est le travail du beau soleil ; car
    Il appelle toute chose à sa fin. Jeunes, il éclaire la route aux vivants,
    Du charme de ses rayons comme avec des roses.
    Telles douleurs, elles paraissent, qu’Œdipe a supportées,
    D’un homme, le pauvre, qui se plaint de quelque chose.
    Fils de Laius, pauvre étranger en Grèce !
    Vivre est une mort, et la mort est aussi une vie.
     

     

    Friedrich Hölderlin
    Traduction André du Bouchet
    in Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 1977

     

     

     

  • Jean Daive, Intégrale et latéralité, Jean-Pierre Bertrand, Une approche phénoménologique

     

    0b0da7836a0a448f82c6a629eb54366f_publication_20100514172641.jpgMalgré ses deux titres et ses deux auteurs le cipM publie bien un seul livre constitué de trois éléments : un trait sinueux de Jean-Pierre Bertrand, des réflexions (des poèmes) de Jean Daive, un entretien entre Jean Daive et Jean-Pierre Bertrand, le tout discontinu, d’arrêts en reprises, vers la rencontre, vers la fin provisoire du trait, du livre.

     

    Il faut voir l’extraordinaire travail de Jean-Pierre Bertrand — miel, citron, papier, mine de plomb ou graphite, acrylique, plexiglas, boîtes à sel en fer blanc, or, sucre, cirage, eau chaude… entremêlements sans fin —, travail poursuivi de jour en jour, jusqu’à, par exemple, dans la chapelle de la Salpêtrière, l’installation dans l’exposition de citronniers autour d’un miroir octogonal. Ce travail est sans équivalence, à l’écart, en équilibre, et échappe le plus souvent à l’interprétation ce qui n’est pas pour me déplaire. Ainsi du trait à la mine de plomb qui traverse ce livre, s’interrompt, reprend, dont on peut soupçonner qu’il a été fait en ne levant la main qu’une fois afin de mieux contraindre le livre à l’explosion, à donner aux textes l’espace infini — aussi mince que l’air entre deux feuilles — « Mon travail a à voir avec le papier. ». Ce travail n’est ici visible qu’à travers les mots  et ce mince trait de crayon mais il est aisé de le découvrir ailleurs.

     

    « C’est le propre de l’œuvre d’art : une démultiplication de par le monde. Il n’y a plus de livre, il n’y a que des pages sans ordre. La notion de charnière est liée à l’arrivée du livre, à l’alliance judéo-chrétienne. Je veux dire que l’alliance commence avec le livre. Dans l’Ancien Testament, la charnière était invisible. L’arrivée du livre se fait avec la charnière. Ce que je montre n’est ni le rouleau, ni le livre, mais les pages d’un livre démultiplié de par le monde. » En ceci, Intégrale et latéralité me semble pouvoir être  considérée comme la pensée visible de l’artiste. Son audace aussi, la multiplicité de ses travaux, de ses approches — peintre — ce n’est pas aussi simple : « beaucoup de mes pièces s’appellent “mixed mediums” » —, écrivain, photographe, cinéaste. L’entretien qui date de 1985 à l’occasion d’une exposition à Beaubourg — est publié pour accompagner l’exposition  « De ce qui se fera, De ce qui sera fait » que le cipM a proposé du 21 mai au 27 juin 2010 — et on découvre Jean-Pierre Bertrand à travers ce que Jean Daive l’amène à dire, sans peser, ni le presser jamais — soulignant dans ses textes en aparté ce qui lui semble la véritable chimie de l’œuvre. Crusoë — source, on s’en souviendra comme d’un élément fondateur d’un travail où l’accélération, l’imprévu, l’idée, la forme, la surface — « une idée c’est déjà énorme, une forme, c’est énorme » — sont les éléments d’une histoire, d’un conte, résolument risqué, résolument moderne — au sens rimbaldien.

     

    Claude Chambard

     

     

    Jean Daive, Intégrale et latéralité/ Jean-Pierre Bertrand, Une approche phénoménologique

     cipM

     88 p. ;  50 €

     Cette chronique a paru une première fois dans CCP n° 20

  • Jean-Paul Michel, "Je ne voudrais rien qui mente dans un livre", "La torpeur des labeurs et des bagnes…"

     « Le poème est un ciel. Le dernier ciel possible. »

     

    jean-paul michel,je ne voudrais rien qui mente,dans un livre,« la torpeur des labeurs et des bagnes… »,flammarion,le cadran lignéCertains, au seuil du recueil, se contentent de rassembler. Jean-Paul Michel ne saurait se contenter de cela. Tel un savant jardinier, il taille, arrose, bouture, plante, rempote, greffe… C’est que Je ne voudrais rien qui manque, dans un livre est un ensemble marcescent, dans lequel l’auteur reprend, réordonne, coupe, ajoute, retranche, accole, exhume, disperse pour mieux réunir les textes qui composent son œuvre depuis l’orée des années 80 jusqu’à l’an 2000 – les précédents (1976-1996) étant réunis dans Le plus réel est ce hasard et ce feu, chez le même éditeur en 1997, édition revue et corrigée en 2006 – et que l’on a lu – différents – au fur et à mesure de leur parution, à quoi s’ajoute, ici, des cahiers inédits, pages sorties du purgatoire, lignes venues des limbes de textes improbables, abandonnés, à peine commencés peut-être.

     

    On retrouve ainsi dans ce fort volume la surprise qui nous saisit à chacun des livres de Jean-Paul Michel.  On retrouve cette césure des vers, ces mots coupés sans tiret, ces aller à la ligne rythmant comme respiration de l’homme quand il lit, voire quand il parle, cette métrique particulière qui est la marque même du Poète.

     

    La Vieille, le Héros, l’Alighier (pour Dante je suppose), le Chœur, Michelena*, Michel**, le Fils***, le Père, convoqués personnages, narrateurs, figures… et « un chemin de Noms » – que l’on ne prononcera à sa place – tous sont convoqués pour les sauver de la mort (peut-être)… Ici, le poème se fait récit – dans le sens de fable –, donne à lire ce qui emballe la langue et qui est affaire de justice et de justesse comme rarement à l’œuvre dans la poésie contemporaine. « Le poème est un ciel. », c’est ici d’une rare pertinence.

     

    « Écrire est une poursuite une Chasse », « Les hommes ont oublié les jeux grâce auxquels ils apprirent à lire, autrefois. Cet oubli leur fait croire que lire, ils l’ont su toujours ! », c’est entre ses deux propositions que se tient, sans doute, le travail de Jean-Paul Michel et on mesurera dans les prochains ouvrages à paraître – entre autre un ensemble longtemps médité sur la poésie – ce qui reste à découvrir d’un des auteurs les plus pertinents, les plus exigeants, au travail depuis le milieu des années 70.

     

    En parallèle, paraît aux jeunes éditions Le Cadran ligné, un livre d’une page de texte, soigneusement réalisé, sous le titre « La torpeur des labeurs et des bagnes… », constitué d’un fragment de la page 105 de Je ne voudrais rien qui mente, dans un livre.

     

    Claude Chambard

     

    Jean-Paul Michel

    Je ne voudrais rien qui mente, dans un livre

    312 p. ; 19,50 €

    Flammarion, coll. Poésie

     

    « La torpeur des labeurs et des bagnes… »

    8 p. ; 3 €

    Le Cadran ligné

     

     

    * Nom sous lequel le poète publia ses premiers livres.

    ** Page 115, Michel apparaît ici – préfiguration du retour au nom d’état civil – pour la première fois.

    *** Le Fils, apprête à la mort, son chant (où apparaît, on vient de le voir, pour la première fois le « personnage » Michel) publié en 1981 à la William Blake & Co., maison d’édition créée par l’auteur qui est aussi éditeur et typographe.

     Cette chronique a paru une première fois dans CCP n° 21.